France et Royaume-Uni : deux conventions citoyennes pour le climat, différences et perspectives communes

Alors que la Convention Citoyenne sur le Climat a été plutôt médiatisée en France, nous n’avons pas tant eu l’occasion de nous arrêter sur sa cousine au Royaume-Uni, la « Climate Assembly », organisée sous la pression de mouvements tels que Extinction Rebellion, et avec le soutien de parlementaires. A partir du texte de la chercheuse et facilitatrice Claire Mellier et Rich Wilson, directeur de l’OSCA, je retrace ici, en français, quelques points de comparaison entre les deux assemblées.

Les assemblées citoyennes sous forme de « mini-publics » (un panel de citoyens tirés au sort, qui rencontrent au cours de plusieurs week-end un certains nombre d’experts et formulent des recommandations sur un thème donné), sont mises en place depuis les années 1980 dans de nombreux pays. Elles servent entre autres choses à pallier le manque de confiance dans les processus démocratiques traditionnels, à rééquilibrer les débats en tenant compte de l’avis de « simples citoyens », à mieux prendre en considération le long terme – et lutter contre la fameuse « myopie » des démocraties.

A propos de la forme des conventions citoyennes

Les deux assemblées diffèrent tout d’abord légèrement sur la forme. 108 citoyens tirés au sort au UK, contre 150 en France. Côté budget, la Convention Citoyenne sur le Climat française (CCC) a coûté 5 millions d’euros, soit quasiment dix fois plus que la Climate Assembly (CA). La CCC a en revanche duré 9 mois, contre 4 pour la CA. Notons que de telles assemblées, qui brassent des sujets aussi variés et complexes, pourraient tout à fait durer nettement plus longtemps.

Enfin, les deux assemblées ont planché par groupe sur des thématiques similaires : consommer, se loger, se déplacer, se nourrir, etc. Notons que les citoyens de la CCC ont décidé de mettre à l’agenda eux-mêmes le sujet du numérique, qui a fait l’objet d’une partie dédiée du rapport final : « accompagner l’évolution du numérique pour réduire ses impacts environnementaux ». Ce dernier point nous renseigne sur un constat plus général qu’établissent Claire Mellier et Rich Wilson : l’assemblée française a été relativement moins dirigée que celle du Royaume-Uni, dans le sens où les citoyens ont eu – toujours relativement – plus de latitude pour imposer leurs sujets et organiser leurs groupes de travail.

Notons également que les attendus des deux formats diffèrent. En France, la question posée aux tirés au sort est « « comment réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40% dans un esprit de justice sociale ? ». Au Royaume-Uni : « Comment le Royaume-Uni peut-il réduire ses émissions de gaz à effet de serre à zéro en 2050 ? ».

France / Grande Bretagne : autres différences clés

L’article détaille ensuite huit différences notables entre les deux formats. Je reviens rapidement sur les questions budgétaires : elles signalent sans doute une ambition différente des deux côtés de la manche. Les montant des financement détermine, en partie au moins, le champ des possibles pour les citoyens tirés au sort. Pêle-mêle, voici les autres points qui ressortent :

  1. La CCC a directement été « sponsorisée » par Emmanuel Macron, alors que la CAUK n’avait l’appui que de certains parlementaires. Cette dernière avait avant tout pour objectif d’éclairer les décideurs publics. En France, la CCC avait une réelle vocation politique puisque directement liée à l’exécutif. Elle a été accompagnée par des juristes chargés de transposer ses recommandations dans le droit de façon crédible. Ce que l’article ne précise pas en revanche, c’est que le sponsoring d’Emmanuel Macron est à double tranchant, étant donné son rôle particulier dans la Ve République (dès lors, peut-on réellement parler de « sponsoring » ?).
  2. Le poids de la société civile a plus compté en France. La mise à l’agenda de certains sujets s’est aussi faite sous l’impulsion de représentants de la société civile (voir le comité de gouvernance). Au UK, ce sont des comités parlementaires qui ont décidé de l’agenda, ce qui leur a valu un certain nombre de critiques de la part d’associations telles que Greenpeace. Cependant, c’est oublier un peu vite que la CCC n’a pas abordé le sujet du nucléaire, qui n’était pas dans son mandat, révèlent les organisateurs – il conviendrait de se demander pourquoi.
  3. Dans la même veine, les tirés au sort de la CCC ont pu, à la marge, influencer la sélection des thèmes discutés (le numérique disions-nous), et sortir de leurs prérogatives (par exemple en demandant un moratoire sur l’accord commercial UE-Canada (CETA). Au Royaume-Uni, la Climate Assembly n’a pas pu sortir de son agenda, ni de son rôle qui était avant tout d’informer les décideurs, et non pas de peser sur l’agenda politique ou la forme du processus.
  4. En France, les citoyens tirés au sort ont été encouragés à ouvrir le dialogue avec le grand public. Au Royaume-Uni, les organisateurs ont souhaité que ceux-ci restent le plus indépendant possible, et on ne les a pas poussés à s’exprimer publiquement. Il conviendrait de comprendre si cette dernière stratégie présente une quelconque utilité, dans la mesure où les citoyens qui acceptent de participer à de tels panels sont rarement représentatifs d’une quelconque moyenne, et souvent relativement plus sensibilisés aux questions qu’on leur pose que les autres… Dès lors, quelle est cette « indépendance » que l’on a souhaité préserver ?
  5. Les groupes de travail ont été régulés de façon bien plus structurée au Royaume-Uni, où des facilitateurs pouvait par exemple distribuer la parole. Les groupes de la CCC française se sont en relativement plus auto-organisés. Il serait intéressant de comprendre dans quelle mesure cela a pu ou non empêcher ou faciliter des prises de parole…
  6. Au Royaume Uni, il a été demandé aux citoyens tirés au sort d’évaluer des politiques publiques prédéterminées. Tous les citoyens n’ont pas pu s’exprimer ni voter sur tous les sujets. En France, la CCC a consisté à formaliser de nouvelles propositions de politiques publiques, qui ont été votées en plénières. La plupart des propositions ont recueilli un large soutient des tirés au sort (souvent avec plus de 95% de vote pour).
  7. La Convention Citoyenne sur le climat, bien que l’on puisse regretter qu’elle n’ait pas été plus médiatisée, est tout de même dans l’esprit de 7 français sur 10. Par ailleurs, à l’exception de la réduction de la vitesse sur autoroute à 110km/h, les français sont approuvent massivement ses conclusions générales (74% selon un sondage Odoxa). Utile à rappeler au passage : pour 38% des français, le réchauffement climatique reste « une hypothèse sur laquelle les scientifiques ne sont pas tous d’accord » (étude de l’ADEME Représentations sociales du changement climatique : 20 ème vague). Au Royaume-Uni, la Climate Assembly ne s’est pas réellement donné un tel objectif, ce qui interroge quant à la perception du format par les citoyens, et la légitimité qui lui est implicitement attribuée.

Améliorer les conventions citoyennes

Claire Mellier et Rich Wilson posent ensuite deux questions : les recommandations suffisent-elles à atteindre les objectifs annoncés ? Seront-elles implémentées ? Il est bien évidemment difficile de répondre pleinement à la première, même si on peut s’avancer à dire que les recommandations répondent y répondent toujours mieux que le statu quo. Quant à leur bonne implémentation, les « jokers » d’Emmanuel Macron sur de nombreuses recommandations de la CCC nous donnent déjà une partie de la réponse (un site internet a été mis en place pour suivre l’application des mesures).

Il faut également considérer que la compréhension des phénomènes climatiques évolue. Ses impacts sur certaines régions s’affinent, et les conclusions d’une seule convention ne sauraient donc s’appliquer une fois pour toute sans tenir compte de ces évolutions. Les auteurs proposent une dizaine de pistes pour améliorer les formats des conventions citoyennes. Parmi celles-ci, le besoin d’ancrer dans les esprits la nécessité de changements systémiques, dont les effets devraient être compris localement. Les problématiques d’adaptation aux changements climatiques (insécurité alimentaire, transformation du paysage, etc.), n’ont pas été suffisamment traités lors des différentes assemblées, rappellent les auteurs. 

Sur un versant plus méthodologique, les auteurs insistent sur le fait que les futures assemblées doivent être irréprochables du point de vue méthodologique. Le choix des experts, le nombre de personnes tirées au sort… les modalités dans leur ensemble doivent être de la qualité la plus haute. Par ailleurs, ces assemblées gagneraient à être mieux connues. Si 7 français sur 10 ont eu vent de la CCC, il en reste 3 qui n’en n’ont pas entendu parler. Cela est encore plus valable au Royaume-Uni, ou la Climate Assembly est restée plutôt discrète dans les médias – y compris dans les médias français. Cette médiatisation doit-elle même s’accompagner d’une meilleure mise en visibilité des mouvements revendicatif à l’endroit du climat – et des nouvelles normes qui émergent dans la société (par exemple la honte de prendre l’avion, ou « Flygskam ») qui dénote un changement important dans les mentalités.

Ces différents points rejoignent de près ceux que nous avions formulés dans une note préparée dans un groupe de travail présidé par Eric Vidalenc, Gouverner la transition écologique : démocratie ou autoritarisme, avec le Think tank la fabrique écologique. Nous y discutions plus directement le concept même de liberté, en spécifiant que celle-ci est avant tout une manière de se fixer des limites en commun. Par ailleurs, et c’est peut-être ce qui fait manque encore aux propositions de Claire Mellier et Rich Wilson : nous avons besoin d’une vraie justice climatique. Le débat autour du crime d’écocide (devenu un « délit d’écocide« ) est à ce titre un signal intéressant, mais ne doit pas occulter le fait que nous avons besoin d’une plan grande judiciarisation des questions climatique. Il est déjà possible de mettre en cause les États pour non-protection de l’environnement et inaction dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais il n’existe toujours pas de tribunal international climatique susceptible de juger les acteurs qui ne respectent pas leurs obligations. Sur un autre versant, nous avons besoin d’assurer que les décisions prises en vue de lutter contre le dérèglement climatique soient, elles aussi, justes. Ce point ressort très clairement dans l’étude de l’ADEME citée plus haut, que nous reprenions dans notre note : « si l’on regarde les attentes des français pour apprécier l’acceptabilité de changements radicaux de mode de vie, deux conditions apparaissent incontournables : la justice et l’implication dans les prises de décisions ».

Enfin, et c’est sans doute un préalable : s’il faut encourager les mouvements sociaux qui permettent de faire bouger les lignes institutionnelles, il faut également combattre tous les mécanismes qui tendent à empêcher leur éclosion. C’est sans doute le grand paradoxe de l’époque présente dans les pays occidentaux : aux mouvements citoyens qui se font entendre sur les questions climatiques et sociales (« fin du monde, fin du mois »), répondent des durcissements sécuritaires qui signalent un refus complet de les voir émerger, de la part de certains gouvernements. Signalons que c’est justement parce que des mouvements pour le climat se sont radicalisés qu’ils ont enfin pu occuper l’espace médiatique. Les actions de désobéissance civile, au Royaume-Uni et en France, sont vitales pour faire évoluer l’agenda politique des gouvernants et la forme des institutions.

Quels effets auront des lois liberticides, comme la récente Loi Sécurité globale, sinon de décourager ces mouvements ? Ou de les réduire à fil invisible de radicaux prêt-à-tout, livrés à la vindicte de (certains) médias qui ne souhaitent y voir que de la violence ? Une violence qui s’exerce avant tout contre eux.

Pour lire les propositions de la Convention citoyenne sur le climat (lien).
Pour lire les propositions de la Climate Assembly (lien).

Irénée Régnauld (@maisouvaleweb), pour lire mon livre c’est par là, et pour me soutenir, par ici.

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