Le grand retour du retour de la newsletter

Newsletters are the new réseaux sociaux. C’est devenu un marronnier sur internet : l’info-lettre fait son grand retour et remet au goût du jour le mail, qu’on n’a toujours pas réussi à tuer (ce n’est pas faute d’avoir essayé). Mike Isaac (@MikeIsaac) du New York Times, signe une tribune dans l’ère du temps où il affirme que si les lettres numériques regagnent en popularité, c’est aussi parce que nous commençons à en avoir marre des réseaux sociaux.

Certes, la newsletter n’est pas un phénomène nouveau, c’est vieux comme le web et souvent, c’est plutôt un cheveu sur la soupe. On en reçoit trop, on peine à s’en désinscrire assez vite pour compenser le flot des nouvelles qui arrivent parfois sans qu’on sache vraiment quand on y a souscrit. Et pourtant, nous dit Mike, la newsletter revient en force : elle séduit plus que le feed (ou « mur » sur Facebook) dont on se lasse à force de pubs, d’engueulades, d’imprécisions, de bulles de filtres.

Le passage à la newsletter est d’autant plus net qu’il se fait après une longue période d’ouverture via les réseaux sociaux. Pendant des années, Mark Zuckerberg nous promettait un monde plus connecté (le village global, la communauté, etc.). Par milliards, nous avons afflué sur Facebook, Twitter et les autres. Photos de chats, commentaires, démocratie, pas démocratie, on connaît la suite. Ce que constate Mike Isaac, c’est que la nouvelle étape migratoire prend maintenant la direction de canaux plus privés : Slack, messagerie chiffrées, même Facebook a prévu de se focaliser sur les conversations privées plutôt que sur les posts. Il y a plusieurs raisons à cela. Le marché d’abord, en a raz la casquette de perdre son temps en ligne nous dit Mike, qui oublie peut-être que c’est aussi une question d’âge et de statut social. Mais admettons. Après tout des études ont bien prouvé que les gens qui ne chargent pas leur téléphones dans leur chambre sont plus heureux que ceux qui le font. Par ailleurs, il est devenu évident que le temps passé en ligne est en grande partie du temps volé, et cela a indéniablement conduit à une forme de désenchantement numérique caractérisé un rejet massif de certaines technologies, c’est le fameux « techlash ».

En réponse à ce trop plein, il y a eu quelques initiatives intéressantes. En 2015, Rue89 ouvrait le sujet en l’illustrant avec Brief.me, une sorte d’agrégateur de news à consommer au petit déjeuner. On pourrait aussi parler de Time to sign off (TTSO), « la voiture-balai de l’info ». Puis ce fut le tour des newsletters sectorialisées : mode, cuisine, cinéma, etc. Le tout facilité par l’essor de plates-formes comme Mailchimp, qui mettent la conception de messages esthétiques à la portée de n’importe quel internaute un peu motivé. Il reste selon moi que ces deux exemples (Brief.me et dans une moindre mesure TTSO) répondent peut-être uniquement au phénomène du FOMO (Fear of missing out) : elles concatènent l’info pour ceux qui n’ont pas le temps de lire les journaux et qui ont peur de rater les buzz du moment. Ce sont des revues de presse améliorées. Ce qui leur manque, c’est encore peut-être un ton, une personnalité, voire une véritable ligne éditoriale afin de livrer des analyses plus approfondies, même fugaces.

Donc, si on assistait en 2015 au retour de la newsletter, le retour du retour est un peu différent : il est éditorialisé, voire incarné. Mike Isaac a quelques mots rigolos sur la question : « pour moi, un type qui écrit des mails en pyjama depuis chez lui offre une relation personnelle importante entre l’auteur et son audience ». Il raconte comment depuis le lancement de sa propre newsletter (The Dump), il a pu échanger des messages avec certains lecteurs, sur un ton qui n’aurait pas eu sa place sur Twitter : « cette connexion directe créé un sentiment de fidélité difficile à générer depuis un site internet ou un réseau social ». Un nouveau bon de 10 ans en arrière nous ramène à l’ère pré-Facebook où l’essentiel de nos échanges se faisaient par chaînes de mails, le Comic sans MS était encore en vigueur et les smileys fortement recommandés. Blague à part, j’en suivais personnellement un nombre impressionnant, souvent menées par des individus volubiles et engagés. Et il y avait bien sûr les hoax du type : « transférez ce message à 10 de vos amis pour sauver cette fillette de 7 ans atteinte du cancer ». Fillette qui a eu 7 ans de 2001 à 2006 environ – il fallait alors écrire individuellement aux envoyeurs pour leur demander de nous retirer de cette liste imbécile. L’histoire ne ferait-elle que recommencer ?

Casey Newton, un autre journaliste qui rédige presque chaque jour une newsletter sur le monde de la tech (The Interface) livre un témoignage proche de celui de Mike : il rappelle qu’avec une newsletter : « tu n’as pas besoin de te battre avec un algorithme pour atteindre ton audience ». Selon lui, le format permet de retisser tout un tas de liens qui avaient disparu avec le web social ! Une tendance qui n’a pas échappé à une nouvelle race de Start-ups, les « NAASes » pour Newsletters-as-a-service, comme Substack ou Revue qui rendent possible une monétisation de ces contenus débarrassés du bruit de Facebook ou Twitter. On apprend au passage que Luke O’Neil, un auteur indépendant, facture 6,66 dollars par mois l’abonnement à sa newsletter « Welcome to Hell World », parmi ses 4000 souscripteurs, 700 ont sorti la carte bleue.

Substack et Revue

Je constate aussi, à titre personnel, que l’abonnement à la newsletter reste un critère important pour mesurer le taux d’engagement du site www.maisouvaleweb.fr. Plus que les visites, les tweets ou autre, récolter un mail (et en prendre soin bien sûr), est un acte intime. Après quelques années passer à ne faire qu’y relayer mes article, j’essaie à présent d’en faire un exercice un peu plus éditorialisé et mensuel : c’est un format supplémentaire, plus privilégié et qui, pour reprendre les réflexions de Mike Issac, donne lieu à énormément d’échanges passionnants en direct avec des lecteurs (ma dernière newsletter en date est par là, vous pouvez vous y inscrire facilement depuis ce site, elle compte aujourd’hui 1640 abonnés).

Pour finir, Mike Isaac signale qu’en s’abonnant à quelques bonnes newsletter, il a renforcé son hygiène des réseaux sociaux sans les abandonner pour autant. Ma routine matinale a aussi changé depuis quelques mois : plutôt que de scroller l’infini d’un flux inintéressant depuis mon canapé, je scrute paisiblement quelques newsletters le temps d’un café. Celle de Stéphane Shultz par exemple (fondateur chez 15marches (@15marches) – pour s’inscrire c’est par là) qui prend le soin de récolter et de discuter les articles importants sur le monde de la tech et de la mobilité. Techtrash (@TechTrashFr) évidemment, la Gorafi de la tech qui, sous ses airs potaches dépasse en qualité la plupart des analyses des phénomènes numériques. Celle de Casey Newton (@CaseyNewton), déjà citée plus haut, est également une véritable petite mine d’or.

Bref, avant que les newsletters ne nous fatiguent de nouveau, il y a de la place pour quelques personnes intéressantes.

Image en tête d’article : copie d’écran de l’excellentissime site Techtrash.

Irénée Régnauld (@maisouvaleweb), pour lire mon livre c’est par là, et pour me soutenir, par ici.

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Hubert Guillaud
5 années il y a

La newsletter ressemble effectivement depuis un certain temps à une forme de repli, une alternative aux réseaux sociaux, aux aggrégateurs disparus et même aux sites web (beaucoup de newsletters n’ayant pas forcément une visibilité en ligne), avec parfois même une forme de schizophrénie entre un site payant et fermé et des lettres d’informations, elles, très ouvertes (comme les newsletters de la techreview : https://go.technologyreview.com/newsletters ). Reste que ce « grand retour » est surtout un retour de plus (c’est loin d’être la première fois qu’on nous l’annonce et qu’il a lieu) qui montre surtout la difficulté à développer du multisupport pour nombre d’artisans de l’information qui finissent par activer un format plutôt que trop de formats : il y a aussi de très bons sites web (RealLife ou Logic par exemple), qui vont eux aussi privilégier un support plutôt que plusieurs. En fait, cela montre surtout que le multisupport est pour beaucoup difficile.

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