L’armée des 12 clics, épisode IV : cliquer, mourir.

Drapeau du grand clic

Dans l’épisode précédent, Brice rejoint Mélissa et Luke à un afterwork sur les Grands Boulevards. La soirée est pour ainsi dire, pleine de rebondissements. Notre héros croise le fils de Mélissa et cette dernière semble revêtir une dimension toute autre, probablement à cause de l’alcool. Au cours de la soirée, Luke dévoile à Brice son grand plan pour faire cliquer tout le monde : il souhaite récupérer tous les clics de joueurs de jeux vidéo pour les revendre à ses clients. Bien que très abstrait, ce plan diabolique fait prendre conscience à Brice que le début du futur totalitaire duquel il vient prend peut-être racine ici même. Au passage, Luke mentionne onze agences de communication digitale prêtes à le suivre. Or 11 + 1 = 12, ce qui n’échappe à personne, et surtout pas à Brice.

***

Chapitre sept : où Brice est renvoyé dans son époque et se fait botter les fesses par sa hiérarchie

« Monsieur Wullus, monsieur Wullus ! » criait une voix qui sortit Brice de sa torpeur. C’était bien la première fois qu’on l’appelait par son nom de famille. « Il faut vous réveiller monsieur Wullus, le temps presse ». Brice distingua tant bien que mal le visage de Michel Tigrou, le directeur régional de l’armée résistante de libération à laquelle il appartenait.

– Monsieur Wullus, vous êtes de retour au pays, nos capteurs ont distingué des signaux clairs comme quoi vous auriez à plusieurs reprises entendu et fait référence à l’armée des douze clics, il nous faut un rapport précis sur vos activités en 2015 monsieur Wullus.

Le ton autoritaire imposait une réponse rapide, Michel Tigrou n’était pas franchement un tendre, il bénéficiait d’un caractère bien trempé forgé très jeune, alors que ses camarades de classe tournaient son nom en quolibets. Bien que tout nu à cause du voyage dans le temps, Brice s’exécuta et raconta en détails les quelques jours passés dans l’agence de communication digitale de Luke. Il insista sur le fait qu’il avait probablement croisé l’homme qui allait changer le cours de l’histoire grâce à un plan diabolique pensé pour réduire l’humanité en une bande de serial-cliqueurs. « Et vous n’avez rien fait ? » lui rétorqua le directeur régional. « Vous l’aviez à portée de main et vous n’avez pas agi ? Vous êtes une vraie tête à clic monsieur Wullus ! Euh, une vraie tête à claque ! Ici les choses s’accélèrent, des sentinelles ont entendu cliquer à quelques coudées seulement du quartier général. Nous vous renvoyons là-bas immédiatement, il faut agir monsieur Wullus ! Vous entendez ? Agir ! » Puis il y eu un nouveau tourbillon vertigineusement noir qui donne envie de vomir.

Chapitre VIII : où l’on se rend compte que cette histoire est quand même bien câblée

Cette fois, Brice ne se soucia même plus d’arriver tout nu dans les rues de 2015. On le vit détaler comme un vers dans les avenues parisiennes, sur le chemin, un clochard en guenilles tenait une pancarte agrémentée d’un pointeur de souris et scandait « Vous allez tous cliquer » avec des airs d’illuminé. Mais Brice continua sa course effrénée, et il savait précisément où il allait : dans l’agence de communication digitale de Luke.

Son entrée dans l’open-space se fit avec fracas, les employés sourirent de le voir se trémousser sans habits. Brice se précipita vers Mélissa qui tenait son fils sur ses genoux. Elle fut tellement surprise qu’elle en perdit ses moyens, son téléphone vibra au même moment et glissa du rebord de la table pour finir par s’écraser par terre dans un éclat de verre, Mélissa en lâcha son gamin qui finit également par terre avec en prime la tasse de café bouillant de sa mère sur la tête. Il y eut un Psschhh et des pleurs difficiles à contenir. « Mais Brice qu’est ce qui te prends de déballer comme ça tout nu ?! Regarde ce que tu as fait, oh mon Dieu, Bruce mon chaton tu es tout marron ! ». Brice pris la réalisation de son rêve comme une claque, il comprit qu’il avait été ce môme dans le passé et que l’auteur de la nouvelle avait changé son nom pour brouiller les pistes d’un scénario douteusement ficelé. Mais l’urgence du moment le ramena à sa mission : « Où est Luke ? Où est-il ? » demanda-t-il à Mélissa sans se soucier du marmot qui chialait. « Mais il est dans son bureau comme d’habitude ! Que se passe-t-il enfin ? ».

Brice ouvrit violemment la porte du bureau de Luke puis la referma derrière lui. Luke avait ces grands yeux ronds qu’on fait quand quelqu’un ouvre violemment la porte de votre bureau avant de la refermer. « Brice ! Te voilà ! Il faut qu’on ait une explication, comment savais-tu que Rose Bergère allait trébucher dans l’escalier du festival de Cannes ? Elle s’est brisé la mâchoire, la pauvre fille est totalement défigurée, comment l’as tu su ?! ». Ce à quoi Brice répondit qu’il l’avait pourtant prévenu qu’il venait du futur, et que l’histoire qu’il lui avait servie lors de leur rencontre n’était rien sinon la vérité sur ce qui allait se produire, et que lui-même, Luke Marstopoulos, était l’individu au centre de tout ce foutoir.

– Mais Brice, tu viens de me spoiler la fin de l’histoire ! Je le savais, tu es un gâcheur-né, les gens comme toi ne devraient pas exister, à quoi bon continuer si je sais déjà tout ce qui va arriver ? Si tout est déterminé, comment puis-je disposer de mes actes ?

Car Luke était un homme d’action, un visionnaire, mais aussi quelqu’un qui vivait le moment. Il n’aurait su perdurer dans une réalité pavée de certitudes sur le futur, il lui fallait sa dose d’inconnu. Il était abasourdi, comme si tout son monde venait de s’effondrer.

– Et toi Luke, comment peux-tu faire ça ? Comment peux-tu laisser ces innombrables incompétents écrire comme ils font leurs besoins juste pour attirer des clics ? Qui es-tu pour décider du sort de l’humanité ? Tu es un pauvre fou, un patron complètement mégalo !

Il se jeta sur Luke en terminant cette dernière phrase.

Luke, encore plein de cocaïne, vit Brice arriver et l’évita de justesse, ses réflexes affûtés lui sauvèrent la vie. Il fit tournoyer son adversaire par dessus le bureau de verre et d’un geste instinctif, enroula le fil de sa souris d’ordinateur autour du cou de celui-ci. Puis il serra, et serra encore. Il n’avait jamais serré quelque chose aussi fort de toute sa vie, pas même son premier iPhone. Au bout de quelques dizaines de secondes qui lui parurent une éternité, Brice ne montra plus de signes de défense, son corps tomba lourdement sur la moquette de l’agence qui était aussi bleue que ses lèvres à présent cyanosées.

Attirée par le bruit, Mélissa fit son entrée dans la pièce et compris immédiatement ce qui venait de se passer. « Oh my god ! », cette fois elle ne sortit pas son téléphone mais fonça vers le corps inanimé de Brice qui était toujours tout nu. Rien à faire, il était mort. Luke qui venait de réaliser la portée de son geste monta sur le clic-clac et ouvrit grand la fenêtre du bureau. Il balança un premier pied dehors en regardant Mélissa, les yeux trempés de larmes.

– Luke, non ! Attend, ne saute pas, ça n’est pas possible, ça ne peut pas se terminer comme ça !

Mais Luke transpirait le désespoir, son geste était déjà décidé. Il regarda sa directrice artistique dans le blanc des yeux et lui dit : « Il faut cliquer Mélissa, il faut que tu rejoignes l’armée des douze clics pour poursuivre notre oeuvre, toi seule peux prendre ma suite, ne les laisse pas mettre notre futur à l’index. »

Puis il sauta.

Mélissa clôtura cette scène avec le genre de hurlement qui clôture ce genre de scène et vous glace le sang.

Chapitre final : où il est question de résoudre les paradoxes inhérents aux voyages temporels

Avril 2027. C’est d’une voix décidée que Rose Bergère termina son allocution. L’ancienne ministre au visage emblématique s’adressait à l’assemblée décontenancée par les problèmes auxquels le pays faisait face. « Messieurs les députés, je viens de vous présenter la seule solution crédible à nos problèmes, il n’y a pas d’autre issue possible, il n’y a pas d’alternative. Le futur du pays, et peut-être même du monde, est entre vos mains. »

Son plan était ambitieux, du jamais vu. Enfin une politique qui osait faire des propositions concrètes. Mais la conjoncture était désastreuse et les crimes et autres actes de terrorisme incessants ne semblaient pouvoir trouver de fin qu’à travers une forme d’embrigadement massif de la population. Rose avait en quelques années dominé la scène politique, une large cicatrice ornait sa mâchoire et lui donnait un air charismatique, elle était ce dont le peuple avait besoin à ce moment précis : une force brute dotée d’une volonté de fer.

Rose Bergère rentra chez elle ce soir-là, elle avait besoin d’entendre la voix réconfortante de la personne qui partageait sa vie, son pilier. « Je t’ai vue à la télé, c’était impressionnant, c’est clairement dans la poche ». Rose afficha un sourire et répondit du tac-au-tac « Ne sois pas modeste Mélissa, tu sais très bien que tu n’y es pas pour rien, cet avenir qui se prépare, c’est aussi ton projet ». Les deux femmes s’embrassèrent, Rose entoura de ses mains le visage de Mélissa : « Et ton fils, tu as des nouvelles ? » Mélissa soupira et s’assit sur le sofa.

– Non, pas de nouvelles, j’ai peur qu’il n’ait voulu définitivement couper les ponts, il traîne toujours avec ces gaillards qui font du skate-board, j’espère que ça lui passera…

FIN
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Le Tigre
8 années il y a

Tu aurais pas pu faire les dialogues en tiret (lisibilité maximale) ? Court et efficace ceci dit, et le personnage du directeur régional aurait sans doute mérité d’être approfondi.

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[…] qui se réalisera dans le futur du passé. Chapitre cinquième : l’afterwork de ce soir. Chapitre sept : où Brice est renvoyé dans son époque et se fait botter les fesses par sa hiérarchie. […]