Internet ou le retour à la bougie… Et pourquoi la technocritique piétine encore et toujours

La critique contemporaine des technologies peut prendre bien des formes. Critique morale, sociale, écologiste, critique de surface ou critique radicale… les groupes qui interrogent le progrès technique sont nombreux, ne se ressemblent pas, et ne se rendent pas toujours service. Pour certains, cet éclatement des critiques expliquerait notre incapacité à donner au progrès technologique des directions choisies, ou de nécessaires coups d’arrêt. Parce qu’il est sans concessions, le petit livre d’Hervé Kief, Internet ou le retour à la bougie (écosociété, 2020, 120 pages), est l’occasion de confronter ces critiques du progrès, et peut-être de tracer la voie vers une technocritique qui, à défaut de réunir les cercles militants autour d’une vision partagée, aurait au moins le mérite de produire des changements dans la société.

Technocritique sans concessions

Quelques lignes suffisent à saisir la radicalité du propos d’Hervé Krief. Pour ce musicien qui a joué avec les plus grands, membre d’« Écran total » – un collectif qui résiste à la déferlante de dispositifs numériques – il n’y a rien à sauver du « monde de l’internet ». Non seulement ce monde ne fait que prolonger les logiques industrielles des siècles passés, mais il donne au système capitaliste une impulsion nouvelle. Car aux dégâts écologiques qu’internet ne ferait qu’accélérer, il faut ajouter les ravages produits par la myriade d’appareils connectés dans lesquels s’enchâssent des algorithmes qui, jouant sur nos aliénations consenties, menacent directement les libertés et l’autonomie des êtres humains. Le refrain est connu, et Krief le résume sans détour : « Le XIXe siècle s’est attaché à détruire les savoir-faire, le XXe siècle a détruit les savoir-être ensemble et le XXIe siècle s’affaire à la destruction des savoir-penser. »

La quatrième de couverture peut laisser présager un instant qu’il sera question de passer en revue quelques voies permettant de reprendre en main ces technologies qui « se sont multipliées sans véritable délibération sur leurs implications sociétales ». Nos espoirs sont vite douchés. Pour Krief, « les machines numériques sont accueillies avec indifférence et sans aucune retenue; aucune tentative de compréhension du monde qu’elles inventent sous nos yeux ne prend forme malgré les millions de chômeurs, les abandonnés, les déplacés, les malades et les morts. » 

C’est un même absolu qui sert à caractériser les technologies dont il est question dans l’ouvrage – une liste qui se réfère tant à la consommation du quidam, avec sa brosse à dent « qui vous dira si vous avez mangé trop vite » qu’au simple écran d’ordinateur qui envahit les pratiques professionnelles, chez la sage-femme ou le tailleur de pierre, et bien d’autres professionnels encore, dont l’auteur recueille les témoignages désabusés. La prémisse est sans ambiguïté : ces technologies sont nuisibles, il n’en existe aucune variante ni déclinaison capable d’ouvrir d’autres avenirs plus respectueux de l’homme et de la nature. La panoplie des auteurs critiques de la société industrielle – Ellul bien sûr, mais aussi Mumford, et jusqu’à Kaczynski (alias Unabomber) – vient attester que le combat contre le progrès ne fait que se renouveler au contact de nouveaux dispositifs, le smartphone étant le plus récent d’entre eux.

Smartphone partout, pensée nulle part

Point de fuite d’une infrastructure aussi énergivore qu’insoutenable, le téléphone portable centralise tous les services numériques et toutes nos activités connectées. Il est aussi le réceptacle de nombreux algorithmes, utilisés à des fins publicitaires notamment. Il n’est donc pas étonnant qu’il concentre quantité de critiques du « monde de l’internet ». Même si avant lui, la télévision « avait déjà bien entamé cette marche vers l’abîme », Krief constate que l’appareil qui nous suit partout a aussi pour effet de réduire à néant notre capacité à nous concentrer, de nous abêtir en quelque sorte, et bien sûr d’accompagner un mouvement d’uniformisation à travers le ciblage généralisé, le remplissage de formulaires stéréotypés, la réduction de tous les humains à un ensemble de patterns en tous points similaires.

Alors que l’essentiel des débats sur les technologies porte sur l’intelligence artificielle, on peut trouver intéressant d’en revenir à l’analyse de cet objet présent dans toutes les poches. Objet si solidement attaché à nos corps qu’il semble incongru de penser à s’en séparer, un instant ou pour de bon. Socialter avait bien tenté l’exercice avec cette question provocante : « Interdire le smartphone au nom de l’écologie: pourquoi est-ce un tabou ? », un essai stimulant mais à la portée douteuse. Sans aller jusqu’à cet extrême, d’autres études, de la petite phénoménologie du smartphone (CNRS Éditions, septembre 2018) de Pierre-Marc de Biasi au récent Smartphones. Une enquête anthropologique (MétisPresses, 2020) de Nicolas Nova, sont venues témoigner de ce regain d’intérêt pour l’analyse du smartphone, de ses usages et « effets » sur le cerveau. Krief quant à lui, fustige l’objet. D’abord parce qu’il serait une pièce d’une machinerie « en dehors de notre compréhension », ensuite parce qu’il nous force à obéir à « des procédures mentales qui ne sont ni le produit de notre propre entendement, ni celui du rapport au monde qui nous entoure, mais l’œuvre des industriels ». Il n’en faut pas plus pour déclarer, une page plus loin, que « le langage disparaît, la langueur aussi. L’effort intellectuel s’est dissipé, la réflexion a disparu. »

C’est là sans doute, que la technocritique prend des voies que certains peuvent suivre et d’autres non. C’est là qu’elle glisse vers le registre du réquisitoire. Que l’on s’entende, il ne me paraît ni absurde ni inutile d’en passer par ce niveau de radicalité. Cependant, si le risque est grand de diluer la critique dans l’analyse des usages (et d’interroger les pratiques plutôt que l’objet smartphone dans sa matérialité), il me semble que la critique brute a pour effet de généraliser son propos au mépris des nuances. Peut-on réellement poser que « le langage disparaît », que « la réflexion a disparu » ? Et n’est-ce pas là une façon détournée de laisser entendre que l’auteur, lui, n’a pas oublié de réfléchir ?

Et au nom de quoi devrait-on faire de la compréhension des dispositifs techniques (« en dehors de notre compréhension ») un absolu, à un instant T ? Il est certain que de nombreuses technologies ont transformé les sociétés humaines, que beaucoup de ces transformations ont été subies, et produisent des effets désastreux sur l’environnement. Cependant, il me semble réducteur de laisser croire qu’une technologie, parce qu’elle serait comprise de tous, deviendrait par principe une option préférable à toutes les autres. Les savoirs contenus dans les technologies modernes ne tiennent pas dans un seul cerveau humain, et cela n’interdit pas daméliorer cette compréhension, d’en débattre, depuis son expérience directe ou avec des sachants, dans le cadre de processus délibératifs. Nous pouvons et devons encore (mieux) discuter de comment la technologie affecte le travail, la communauté, l’environnement. Un exemple : une bonne majorité de français croit dur comme fer que les centrales nucléaires émettent quantité de CO2 – les pro-nucléaires le rabâchent sans cesse. Cela ne doit pas être une raison suffisante pour écarter les français du débat sur l’énergie, ni de refuser cette technologie sous le seul prétexte que son fonctionnement est opaque à certains (à plus forte raison qu’il existe de très bons arguments anti-nucléaire, d’ordre plus philosophique).

La technocritique contre le reste du monde

La technocritique a cela de commun avec la gauche, qu’elle est passée maîtresse dans l’art de se faire des ennemis dans son propre camp. Ainsi, quand bien même on rejoindrait les conclusions d’Hervé Krief, il y a fort à parier que l’inverse ne soit pas vrai. Pour lui, l’essentiel des critiques du monde moderne, écologistes au premier plan, est encore coincée dans une vision naïve du réseau internet. « Les altermondialistes et les écologistes mènent des campagnes pour laisser les hydrocarbures dans les sous-sols, principalement au nom du dérèglement climatique, en utilisant exclusivement les e-mails et l’internet, les smartphones et tous les outils mis à leur disposition par les industriels. » La description de la réalité physique des infrastructures numériques et de leur coût écologique devient ainsi l’occasion de pointer du doigt les combats impurs et ceux qui dans leurs luttes – digitalisées – « oublient de remettre en cause la société industrielle ». Critique que j’ai croisée sous une autre forme il y a peu sur Twitter, où un illustre anonyme ironisait sur le fait que les anti-5G exprimaient leur mécontentement en ligne… grâce à la 4G. J’avoue rester coi devant ce genre d’argument. Faudrait-il discréditer les marcheurs du climat parce qu’ils avancent sur des routes bitumées (pour rappel, le bitume est un mélange d’hydrocarbures) ?

Ces critiques sont d’autant plus dommageables qu’on ne peut que tomber d’accord avec l’exposé de l’auteur sur les effets dévastateurs du numérique sur les écosystèmes et les hommes. Exposé fort juste également, à propos de l’incompréhensible déni des occidentaux quant aux carnages qu’occasionnent leurs modes de vies, carnages qui s’illustrent par des conditions de travail déplorables (dans les mines, mais pas seulement), des modes de management autoritaires, jusqu’aux suicides dans les usines de Foxconn. La référence à La machine est ton seigneur et ton maître, de Yang – Jenny Chan – et Xu Lizhi (Agone, 2015), tombe à pic, et ne peut que faire ici consensus. Seulement, la fronde contre les militants écologistes des pages précédentes sonne faux. Comme si ceux-là, parce qu’ils lancent des pétitions sur Facebook, n’avaient aucun recul critique sur la division internationale du travail. On retrouvera ces mêmes frondes à l’endroit du chercheur Evgeny Morozov (dont l’auteur récuse les conclusions, sans qu’on ne sache vraiment pourquoi), de la CNIL (accusée d’être une passoire à outils de surveillance) ou encore du logiciel libre, qui pour Krief est « l’équivalent, à une moindre échelle, de la sécurité sociale ou des congés payés pour le système capitaliste : une soumission, à travers un aménagement permettant de rendre la vie des aliénés et des anéantis un peu moins lugubre. » Difficile de comprendre qui sort gagnant de ce jeu à somme nulle. Difficile également, d’accepter sans ciller cette réduction des luttes sociales à de simples « aménagements » insatisfaisants…

Internet… ou la bougie ?

Si la sécurité sociale est rangée dans le camp des aménagements, il n’en va pas autrement de l’augmentation de l’espérance de vie. Cette dernière reste une épine dans le pied de nombreux technocritiques qui doivent bien reconnaître que la technoscience a permis, ici et là et en parallèle des politiques hygiénistes et des luttes sociales, d’améliorer les conditions de vie. Mais Krief n’en démord pas. Dans la balance, les avancées médicales pèsent peu face aux dégâts occasionnés par la société industrielle, et les nouveaux maux qui en découlent (comme la maladie d’Alzheimer, les cancers, les dépressions). Il est vrai que l’espérance de vie gagnée au cours du siècle dernier ne préjuge rien de semblable pour l’avenir. Aux Etats-Unis, elle baisse déjà. Pour Krief, elle est « une des plus belles fables de la civilisation technicienne » et même, un concept « qui permet d’aliéner les populations à la société de consommation de masse standardisée ». L’espérance de vie, écrit-il, ne dit pas si « nous nous trouvons épanouis, libres, fraternels, émancipés ». Ainsi, « Nous ne vivons pas plus vieux, nous mourrons plus lentement ». S’il a le mérite de la cohérence, on pourrait néanmoins demander à l’auteur dans quelle mesure le fait de mourir « jeune » apportait, hier plus qu’aujourd’hui, la garantie d’atteindre la liberté, la fraternité et l’émancipation…

Les figures de la « femmecran », et de l’« hommecran » viennent couronner l’édifice critique du musicien. Ces archétypes décrivent à la fois le nouveau mode d’aliénation dont les humains sont les victimes consentantes, mais aussi la propension des nouvelles technologies à empêcher « l’homme ordinaire » de maîtriser son destin. On retrouve cette même distinction entre individu aliéné et individu supposément libre chez le groupe Pièce et main d’œuvre (qui oppose l’homme augmenté aux « asociaux et solitaires, poètes Romantiques et théoriciens radicaux [qui] forment depuis la révolution industrielle le vrai parti de l’homme. »). Aussi, j’en ferai ici la même critique : celui-ci comme ceux-là semblent prendre pour argent comptant les spots publicitaires des industriels. Tous les êtres humains n’ont pas sombré dans la quantification et la béatitude technophile, et il est probable qu’une immense majorité d’entre eux ont compris que la brosse à dent connectée relevait du marketing plus que de l’hygiène bucco-dentaire. De ce point de vue, l’étude des usages n’est pas un luxe, mais elle reste exclue du système Krief.

Internet, ou la bougie ? demande l’auteur en fin d’ouvrage, reprenant à son compte la formule à laquelle les critiques du progrès sont sans cesse renvoyés par leurs détracteurs. Une variante étant : « allez donc vivre dans une grotte ! ». Combien de fois l’ai-je moi-même entendue ? Krief convient bien sûr que les retours en arrière (à la bougie) ne sont pas possibles – ce qui reste à démontrer – et il nous offre deux conclusions. D’abord, il appelle à l’abandon et à la destruction de la société industrielle : « briser nos chaînes et briser toutes les machines qui nous aliènent, nous contrôlent et font de nous les fossoyeurs du monde ». Ensuite, il chante une ode à la vie de village : « retourner au labeur, retrouver le goût de l’effort et du partage et renoncer à toutes les machines qui ont fait la grandeur de la société industrielle et la décadence de la condition humaine ». En définitive, l’auteur s’en prend à ce faux dilemme qui structure les débats autour des technologies – internet ou la bougie – mais choisit tout de même la bougie, au risque de se conformer à l’image caricaturale qu’il vilipendait en premier lieu.   

« La nécessité de créer une communauté technocritique est vitale »

Vous aurez compris mon ambiguïté face au discours d’Hervé Krief. De toute évidence, nous partageons un certain nombre de constats, de colères. Mais son pamphlet nous met au pied du mur et faut-il l’admettre, n’a pour seul objet que cette colère. Il m’est impossible de le rejoindre dans ses conclusions, et cela interroge directement la capacité des technocritiques à faire entendre leur voix. « Peut-on s’opposer mollement ? » demandait Hubert Guillaud dans un article qui par bien des aspects, posait les mêmes questions que celui-ci. C’est aussi la question à laquelle nous renvoie Hervé Krief, qui nous demande de durcir le ton, de ne plus faire de concessions.

Je ne crois pas cependant, qu’il soit plus nécessaire de se radicaliser qu’il n’est urgent d’œuvrer à la construction d’un discours qui puisse peser et réunir. Un discours qui puisse percer dans le débat public. C’était le message de Edouard V. Piely, journaliste à Sciences Critiques, lors du débat « Pourquoi (et comment) critiquer la technologie aujourd’hui ? » : créer une communauté technocritique est vital. Mais comment faire ? A défaut d’une solution magique, voici quelques pistes :

Ne pas céder au confort de l’entre soi

C’est la première pensée qui m’a traversé l’esprit en fermant L’internet ou la bougie. Je peine à croire qu’un tel discours puisse réunir au-delà du cénacle militant. J’entends parfaitement que là n’est pas son objectif, mais dans ce cas, il me paraît malhonnête de déplorer l’absence de débat, ou de se lamenter sur l’aliénation généralisée et l’échec de la pensée. Nous ne ramènerons personne à « notre » cause en répétant à qui veut l’entendre que la majorité des citoyens est aliénée et ne réfléchit pas. Pour s’ouvrir à un nouveau public, il faut retrouver un minimum de foi en l’humanité. Le livre d’Hervé Krief termine justement sur une liste très intéressante de mouvements résistants à l’informatisation, dans le travail, à l’école : il faut en faire un nouveau point de départ, plutôt que l’aboutissement d’une série de combats déjà perdus.

Nouer les bonnes alliances

A la suite du point précédent, il me paraît essentiel de nouer, dès aujourd’hui, des alliances avec les citoyens, et les organisations qui portent un discours technocritique. Corolaire : je crois qu’il est contre-productif d’attendre une adhésion pleine et entière à la critique de la société industrielle, de la part de ces groupes, pour commencer – prolonger – un tel travail. Des mouvements comme « Faut pas pucer » (des éleveurs de brebis qui refusent le puçage de leurs bêtes) et dont Krief semble faire le symbole de la résistance à l’informatique, ne résument pas à eux-seuls l’étendue des fronts qui s’érigent contre certaines formes de progrès. De (certains) marcheurs du climat aux étudiants ingénieurs organisés en associations, nombreux sont ceux qui remettent en cause le dogme du progrès.

Si l’on ne prend que la 5G, qui fait actuellement débat, on remarque qu’une foule de gens aux parcours et idées tout à fait variés se réunissent autour de sa remise en question. Nous avons également sur un tel sujet, des alliés dans les institutions, et même dans les partis politiques. Nous ne pouvons pas faire comme si nous ne les voyions pas. A plus forte raison qu’il est nécessaire, plus que jamais, de répondre coup par coup aux arguments qui présentent toute innovation comme souhaitable et inéluctable par principe. Cela est d’autant plus important que sur ce sujet précis, nos arguments peuvent faire mouche, et embrasser pleinement les urgences environnementales. Nous ne mènerons pas ce combat depuis un village perdu – pas sans connexion internet en tout cas.

Sortir de la « question technique »

La description généralisante de ce qu’est la technique – un système pernicieux qui s’auto-alimente – et qui sert de fondation à L’internet ou la bougie, a ses bons et ses mauvais côtés. Si les elluliens y trouveront leur compte, et seront confortés dans leur critique du « système technicien », ils devront immanquablement répondre aux questions des autres, ceux qui n’ont pas lu Ellul, et ceux qui ne se sentent pas obligés d’en faire un point de repère important. Les mêmes vieux thèmes surgiront alors : peut-on séparer les bons des mauvais usages ? peut-on se « débarrasser » complètement des technologies modernes ? Il en résultera un débat sur l’utilité sociale de certaines de ces technologies. Or cette utilité est avérée dans de nombreux cas, de sorte qu’il sera difficile de faire avaler au badaud qu’il faut se débarrasser du nucléaire au même titre que de l’IRM, ou que la reconnaissance faciale est aussi inutile que les satellites météorologiques, qui sont une mine d’informations pour l’étude du climat. Quand bien même ces technologies sont issues du complexe militaro-industriel, quand bien même elles reposent en partie sur des sciences cybernétiques, et quand bien même elles ne sont pas totalement appropriables, elles peuvent, dans la situation présente et dans le temps disponible (notamment face au dérèglement climatique), être utiles. En convenir ne revient pas à céder à une quelconque forme de techno-solutionnisme.

Dit autrement, si nous devons probablement amorcer une désescalade dans certains secteurs – et dans le numérique certainement – toutes les questions technologiques ne peuvent décemment se résoudre sous la forme d’une question binaire (« pour ou contre »). A la limite, je préfère qu’on m’explique « comment » passer d’un monde à l’autre (comme le fait Alexandre Monnin par exemple), ce qui nécessite de changer de registre, de passer de la critique au programme…

Je soutiens que la technologie n’est pas neutre – ni bonne, ni mauvaise, ni neutre – et je conviens aussi que l’on peut se battre pour faire interdire certaines technologies, mais aussi certains usages de ces technologies. La question de la neutralité de la technique n’est pas un dogme à mettre au service du rejet de toute forme de progrès technique, mais un point d’entrée pour politiser les questions technologiques. Et dans cette distinction résident de nombreux possibles. Nous pourrions par exemple gagner le combat contre la reconnaissance faciale, et nous pourrions avancer dans l’écriture d’un droit de l’espace qui n’ouvre pas la voie à un nouveau Far West de milliers de satellites au-dessus de nos têtes. Et si nous n’y arrivions pas, rien ne dit que nous aurions été plus efficaces en vivant reclus dans un village de haute montagne. Ni en cassant des machines – un geste qui risque de coûter cher pour peu de résultats. La technocritique doit réfléchir à la performativité de ses concepts, et aux portes qui se ferment à mesure qu’ils deviennent une nouvelle religion. 

Pour en savoir plus sur le collectif Ecran total, leur communiqué sur Médiapart

Irénée Régnauld (@maisouvaleweb), pour lire mon livre c’est par là, et pour me soutenir, par ici.

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HUBERT GUILLAUD
3 années il y a

Pour créer un discours qui puisse peser et réunir, il est nécessaire de l’armer plus qu’il n’est (un discours sur la technique souvent consensuel, incapable de faire bouger des lignes autre que son acceptation inéluctable), afin qu’il pèse plus fort sur les points critiques où s’exerce la puissance de la technologie. Là où je te rejoint, c’est que le discours critique ne l’emporte que quand il sort de la considération purement technique, à l’image par exemple des propos sur le définancement de la police aux US, qui part du constat de leur armement technique pour tenter non pas de le limiter cas par cas leurs pratiques, mais de mettre fin à l’escalade technique pour rééquilibrer d’autres objectifs sociaux.

HUBERT GUILLAUD
3 années il y a

Le discours de Hervé Kief dans son livre n’est pas vraiment radial ceci dit. Il demeure peu informé et surtout moraliste. Finalement, extrêmement réactionnaire. Il n’est pas technocritique, il est pleinement technophobe.

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