L’armée des 12 clics [une histoire un peu jetée] ep 01

L'armée des 12 clics, une histoire un peu jetée - par Mais où va le web ?

Nous sommes en 2035. Les quelques milliards d’internautes qui pullulent sur la planète Terre ont progressivement remplacé la horde de bipèdes autrefois nommée Humanité. Dans une fusion cybernétique sans précédent, les Hommes sont devenus des serial-cliqueurs. La vie toute entière a pris une tournure nouvelle, au point de devenir une vaste entreprise d’optimisation de l’espace-temps où chaque interstice de liberté se résume à cette courte prière de l’index : « clic ».

***

Chapitre premier : pourquoi diable faut-il toujours que le futur soit une dystopie digitalo-consumériste totalitaire ?

Il en aura fallu du temps et des hésitations pour en arriver là ! Mais le contexte culturel contribua vigoureusement à ce retour à une organisation mondiale grégaire. En effet, le début du XXIème siècle propulsa le style littéraire contre-utopique vers des cieux insoupçonnés, en 2021 déjà, la majorité des romans et œuvres cinématographiques pour adolescents moyens traitait de régimes totalitaires fantasmés. De quoi vous foutre en l’air toute une génération en quête de sens. N’ayant comme cadre de pensée qu’une planète exsangue à laquelle il fallait superposer de maigres références Orwelliennes, les futurs adultes décidèrent de s’auto-constituer en ce qu’ils semblaient pourtant redouter le plus : un immense Léviathan ronronnant paisiblement sur une armée de laquais rivés à leurs écrans. Probable émanation d’un désir refoulé.

En l’espace de quelques années à peine, l’humanité toute entière fut sauvagement assise de force devant autant d’écrans prompts à recevoir les appels de milliards de souris connectées à un gigantesque réseau huilé pour comptabiliser un maximum de clics en un minimum de temps. Au demeurant, il ne fut pas difficile de catéchiser quelques kapos à la doctrine du clic pour propager ses vertus via de denses campagnes de propagandes pro-clic (le clic, c’est la vie, le non-clic, c’est la mort). Ainsi, chaque nouvel humain – ou plutôt serial-cliqueurs disions-nous – naissait dans un monde inéluctablement dévoué au clic.

Le clic c'est la vie, le non-clic, c'est la mort.

Brice ne faisait pas partie de ces nouveau-nés. Il était un homme du passé, un de ceux qui avaient connu le monde d’avant les événements. Et comme dans beaucoup de ces scénarios un brin fantoches, il est le héros de cette histoire, car comme le dit l’adage : l’homme du passé, c’est l’homme du futur. Oui, Brice avait brièvement connu l’ère pré-clic pendant une courte enfance dont il ne se souvenait qu’à travers quelques rêves grotesques et la sensation fantôme d’une lointaine tendresse maternelle. Il faisait partie des rares humains encore capables de résister à la tyrannie du clic, ceux-là vivaient reclus dans ces sordides maquis où les résistants ont la fâcheuse habitude de se planquer pour se dérober à la vindicte de l’État totalitaire qui ne trouve jamais rien de mieux à faire que de les pourchasser (car le non-clic, c’est la mort).

Dans tout ça, Brice ne savait plus tellement comment on en était arrivé là. Il avait échappé aux rafles de 2029 presque par hasard suite à un accident de skate-board au cours duquel il s’était fracturé les deux poignets. Invalide de son état, il avait été placé dans un centre de détention provisoire, or ces centres étaient les cibles privilégiées des factions résistantes, à l’époque en formation. Avec d’autres, il fut libéré et agrégé à un corps vaguement militaire. Suite à cette opération périlleuse mais victorieuse, Brice qui reprenait des forces attira la sympathie des résistants car ses poignets torses étaient emblématiques de la lutte anti-clic. C’est ainsi qu’il fut choisi pour participer quelques années plus tard à L’expédition.

Car oui, il fallait comprendre pourquoi on en était arrivé là, et revenir dans le passé pour changer le cours des événements. L’histoire ne dit pas comment les résistants avaient pu mettre au point une machine à remonter le temps, mais c’était bel et bien le cas. Les périodes de guerre les plus obscures décuplent la créativité humaine, c’était sans doute ça. Brice, qui n’avait jamais voyagé dans le temps, dut se résoudre à faire abstraction de ses angoisses et surtout – surtout – à accepter de se mettre tout nu devant tout le monde au moment du grand départ, car c’est bien connu : on ne peut voyager dans le temps que tout nu.

Chapitre suivant : où Brice est téléporté dans un continuum temporel et atterrit dans une agence de communication digitale

Brice repris conscience quelques années plus tôt dans une flaque de vomi, probablement le sien. Le vacarme inhabituel excita ses sens, il était dans ce qui devait s’apparenter à une rue, bien loin (et longtemps) de son habituel maquis. Autour de lui, un étrange halo persistait dans l’air, son arrivée avait courbé l’espace. Et là, planté devant lui, droit comme un kapla, un étrange bonhomme le regardait d’un oeil oblique, comme à travers un verre d’eau.

– Mais comment faites-vous cela au juste ? C’est absolument génial ! Vous êtes une sorte de geek c’est ça ? C’est un happening pour une levée de fond pour une start-up ? Hey, vous m’entendez ?

Encore sonné par le choc, tel superman à l’éveil de ses sens, Brice ne put répondre qu’avec un informe beuglement mi-chien mi-homme qui eut le mérite de clarifier l’air.

– BAGNOOOOUUU !

Et l’homme de répondre :

– Bagneux ? Vous vous appelez Bagneux ? Vous venez de Bagneux ? Ecoutez mon vieux, je ne sais pas qui vous êtes mais votre truc est complètement bluffant, ça pourrait faire un carton en terme de communication. Tenez, prenez-ça et suivez-moi.

L’homme lui lança son parka bleu foncé qui lui permit de se couvrir les parties et accessoirement d’essuyer le vomi encore collé à ses lèvres. Quand on ne sait pas vraiment où on est, ni quand, mieux vaut saisir les petites opportunités qui se présentent. Brice suivit donc le monsieur qui déclarait s’appeler Luke Marstopoulos et qui disait être « directeur d’une agence de communication digitale », ce qui ne voulait à peu près rien dire pour l’homme venu du futur.

Arrivés à son agence, Luke s’occupa de vêtir plus correctement Brice. Ce dernier lui expliqua alors d’où il venait et ce qui allait arriver. Sans surprise, Luke n’y capta absolument rien mais trouva le pitch « complètement génial ». Il décida d’embaucher Brice sur le champ pour un CDD de 3 mois renouvelable pour assister le directeur artistique, au moins au début.

Évidemment, Brice ne comprenait pas grand-chose au charabia que lui versait Luke qui était le genre de type à s’écouter parler franglais en tripotant son smartphone. Mais après tout, il était en 2015, et ce qui se disait de cette époque-là était conforme à ce qu’il vivait depuis quelques heures. En effet, pour les résistants anti-clic de 2035, 2015 était une de ces années charnières au cours desquelles les hommes avaient commencé à s’éprendre pour d’absurdes courses de vitesse vides de sens. Luke était l’archétype de cette époque frénétique, à tel point que même l’auteur de cette nouvelle s’était demandé s’il n’était pas tombé dans la facilité avec ce personnage débordant d’énergie. Quoiqu’il en soit, ce dernier ne laissa pas vraiment le choix à Brice encore un peu secoué par le voyage spatio-temporel :

– Ecoute Brice, tu dis n’importe quoi mais je veux croire qu’avec une imagination aussi débordante, tu peux vraiment nous apporter quelque chose ! Tu sais, ici notre boulot c’est de trouver des histoires rocambolesques pour faire rêver nos clients. Je te le dis, il y a des signes ! Et moi je ne les rate jamais, j’ai du flaire !

– Merci Luke mais tu sais, je ne sais pas si je suis vraiment qualifié pour le poste, et puis j’ai une mission, enfin je t’ai déjà expliqué tout ça et…

Luke l’interrompit d’un geste de la main :

– Oui, oui, on verra plus tard pour la mission, pour l’instant rappelle-toi que sans pouvoir d’achat tu ne peux pas faire grand-chose. Pas de boulot, pas de mission.

– Mais je vais faire quoi exactement moi ici ? Et je vais dormir où ?

 – Ecoute Brice (Luke commençait souvent ses phrases par « écoute Brice ») tu peux rester ici pour le moment, il y a même des toilettes au fond du couloir. En attendant, je vais te ramener des chemises, et toi tu me ramènes des histoires qui font cliquer.

Brice resta bouche bée suite à cette dernière remarque. Pour commencer, il se fit la réflexion qu’il était rare que les auteurs précisent où sont situées les toilettes dans le décor de leurs personnages. Ensuite, il se répéta plusieurs fois cette phrase dans sa tête « des histoires qui font cliquer ». Finalement, il était peut être tombé au bon endroit…

*** Fin de la première partie ***

Pour lire la deuxième partie, cliquez ici !

Cette nouvelle participe au challenge Dystopie 2015-2016 organisé par VALUNIVERS

dystopie

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Vincent
9 années il y a

je vais cliquer sur « laisser um commentaire »… histoire de faire partie de l’histoire ! 🙂

Vincent
9 années il y a

je vais cliquer sur « laisser um commentaire »… histoire de faire partie de l’histoire ! 🙂

Oslo TheFrax
9 années il y a

C’est fluide, c’est drôle. Je sens que la critique de nos comportements va être pertinente.

bubblecomm
bubblecomm
9 années il y a

Je clique sur les étoiles 🙂

Val
Val
9 années il y a

Voyager dans le temps arriver à poil noyé, dans son vomi, c’est être mal préparé 😉
Merci pour ce moment de lecture.
Le ton est léger et plein d’humour !

Camille
9 années il y a

Salut !

Cette fois-ci, je prends un peu de temps, et sans surprise, j’ai aimé 🙂

De la réalité du voyage dans le temps systématiquement à poil, au franglais continuel typiquement 2015… Les morceaux de vie sont excellents. Caricaturaux, je te l’accorde, mais pour avoir encore rencontré ce genre de personnes hier soir à un apéro, je peux te dire que la caricature ne vient certainement pas de toi !

Je passe à la suite avec plaisir.

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annkx
4 années il y a

Et Clic et Clic et re clic !