Gazotti et Vehlmann réinventent le mythe du self-made-man adolescent dans une bande dessinée critique et déjantée, aux relents fictionnels qui n’est pas sans rappeler le monde des héros de la Silicon Valley.
Réinventer, et non pas inventer puisqu’il s’agit bien d’une directe référence au monde de la high-tech dont nous allons parler. Paru en 2011, Des lendemains sans nuages est un savoureux one-shot à la sauce californienne. L’ouvrage retrace les entrecroisements historiques et égotiques du futur dieu de la technologie mondiale et de son mentor -malgré lui-. C’est un style presque uchronique que proposent Gazotti et Vehlmann en mettant en scène un gourou du web dont il faudrait refaire la vie passée pour changer le monde qui vient.
Ledit gourou du web est en fait plutôt le « Dieu d’innovation » de ce que j’appellerais un pamphlet humoristico-contre-utopique. Une belle histoire, que celle d’un conglomérat high-tech à la tête duquel trône un startuper adolescent, parfaite symbiose entre feu Steve Jobs et Mark Zuckerberg. En bref, l’univers rêvé pour les futuristes adeptes du papier, maintenant glacé, à défaut d’être virtuel.
Notre gamin, donc, GF Wilson, est un magnat mégalo aux manettes d’un mastodonte techno-médiatique. Le chef de la bio-technologie mondiale, le bourreau des corps connectés. Notre second bonhomme s’appelle Nolan Ska, il est l’incarnation du passé dans le futur, qui revient dans le passé, pour changer le futur. On se comprend.
Un pitch à voyager dans le temps, à se frotter aux paradoxes du retour dans le passé. Mince affaire ici, on n’entre pas dans les paradoxes temporels mais citons au passage Terry Pratchett qui signifiait très justement que « Voyager dans l’avenir, c’est facile, il suffit d’attendre. C’est revenir qui est difficile. »
Revenons à notre ami Wilson qui est en son temps un tyran du cloud biologique, immortel et omniscient. Il est aussi un peu contesté par des activistes rétrogrades (probablement les petits-enfants de ceux qui n’ont toujours pas Facebook).
Blague à part, la bande-dessinée pose la vraie question du pouvoir technologique dans les mains de jeunes impubères immatures. Et je ne vise personne. Il n’y a guère que Superman pour comprendre qu’avec un grand pouvoir, viennent de grandes responsabilités. Ce type est quand même capable de descendre un drone américain, mais ce pourrait être l’objet d’un autre article.
Quoiqu’il en soit, l’histoire continue dans un entrelacement tarantinesque d’histoires déliées qui aboutissent à une fin presque sans morale. En filigrane, on retrouvera Nolan, prenant sous son aile le potentiel tyran pour tenter de réhabiliter sa carrière d’écrivain raté qui a conduit au pire. Le style uchronique remet au goût du jour des questions existentielles telles que « Que serait le monde si Hitler avait poursuivi ses études d’art? » (appliquées à l’innovation).
Passons ça et là les moments technologiques, inventifs et dangereux qu’offrent des chapitres traitant de la solitude face aux séries télévisées, de la conscience de la mort lors des voyages spaciaux ou encore des améliorations sans limites du corps humain.
Le sujet qui m’intéresse ici est le pouvoir sous le prisme de l’âge, et sa mise en scène parfois exagérée. A l’ère de l’informatique, on ne compte plus les « petits génies » qui rompent avec l’image traditionnelle et Léonardesque de l’inventeur aguerri et barbu. Et quelque part, on peut sans doute s’en féliciter, la plupart du temps.
Des lendemains sans nuage offre un bon medley des paradoxes de nos sociétés passionnées par l’entrepreneuriat, ou plutôt par la récupération des idées dans une optique commerciale dont l’impact se mesure au niveau d’un Etat, voire du monde et surtout, dans les mains de personnes très jeunes.
En somme, si nos sociétés sont amenées à être gouvernées par des conglomérats technologiques, ce qui sera manifestement le cas dans peu de temps, on peut se demander comment se comportera cette élite a-démocratique, surpuissante et dotée d’une force commerciale sans précédents.
Qui sait, le résultat ne sera peut-être pas pire qu’aujourd’hui. Dans tous les cas, Meyer, Gazotti et Vehlmann ont raison de nous rappeler que :
« L’humanité n’aura que ce qu’elle mérite ».
Vous aurez compris que si ces différents sujets vous intéressent, vous trouverez des réponses, et sans doute encore plus de questions dans ces 64 pages un peu dramatiques et totalement geeks.
Bonne lecture.