C’est au hasard de mes pérégrinations en ligne que je suis tombé sur Timothy Duquesne et son œuvre L’Avenir des Pixels est entre nos mains, recueil original d’une série de pensées sur les contours de nos créations numériques. Timothy est auteur, scénariste et conférencier, à travers ses différentes activités, il pose un regard personnel sur ce qu’il nomme dans une longue métonymie un « océan de pixels » pour désigner tout ce qui est susceptible de transiter d’un média à l’autre, d’un appareil à l’autre, d’une personne à l’autre. Cet océan, c’est à la fois nous qui le créons, qui le subissons et qui pouvons le faire évoluer vers plus de bienveillance, de justice et de liberté.
« Cet exemplaire est un livre suspendu : il a été acheté par un lecteur pour être mis en circulation »
Ainsi vous accueille la première de couverture de L’Avenir des Pixels : un livre « actif », augmenté et fédérant une communauté, à en croire son Timothy Duquesne. L’Avenir des Pixels, plus qu’un buzz marketing, est aussi une vision d’auteur, expert des médias et fervent défenseur d’un esprit qu’internet aurait pu conserver s’il n’avait pas été partiellement dévoyé au cours des dernières années. Pourquoi un format papier pour exprimer ces idées ? Timothy l’explique par de nombreuses raisons :
J’ai d’abord partagé sur les réseaux sociaux les informations documentant la mutation perpétuelle à l’oeuvre de notre « océan de pixels », puis j’ai réalisé que seul un livre permettait de faire le lien entre l’ensemble des informations et d’expliquer ce qui les liait.
J’ai donc conçu mon livre comme “mon plus long tweet”, un tweet présentant l’avantage de ne pas être limité à 140 caractères. Les réseaux sociaux ont ainsi permis au livre de laisser des “empreintes numériques” (une page du site permet de les explorer par thème) au fil de son écriture et de se prolonger une fois publié. Le livre traitant d’un “océan de pixels” infini et de son avenir (une ligne de temps infinie), cette façon de faire permet au livre de s’étendre au-delà de la frontière physique que représente une édition papier. Le livre lui-même donne accès à plus de 270 enrichissements, librement accessibles à partir du site.Le long tweet de Timothy frôle tout de même les 300 pages. 300 pages pour comprendre ce qui fait les enjeux de la création sur internet. Qui crée d’ailleurs ? Comment ? Et quels systèmes de rémunération sont mis en place ? Ce qu’explique L’Avenir des Pixels, c’est que si la posture critique est une nécessité dans ce monde où les majors et les GAFA font la loi, nombreuses sont les initiatives qui tendent à redonner à la figure du créateur toute sa valeur.
Un monde où chacun devient son propre média
Ainsi, Timothy Duquesne fait étalage d’un nombre impressionnant de cas de réseaux alternatifs, de médias aux business models innovants (Mediapart, Usbek & Rica ou encore 8e étage pour les plus connus) qui ont réussi cette transition vers un modèle vertueux, sans publicité ou si peu. Ce que ces médias ont réussi, c’est tout simplement à raconter leur propre histoire dans l’océan de pixels. A l’en croire, chacun où presque peut saisir ce « super-pouvoir » (on parle aussi d’empowerment) pour donner vie à des business qualitatifs, respectueux de notre temps de cerveau disponible, de nos besoins voire de l’environnement. Les marques quant à elles, en dehors de quelques balbutiements, auraient encore à opérer ces changements :
Les marques ont également une grande responsabilité dans l’écriture du scénario et un pouvoir considérable. Je ne peux pas dire que les errements de certaines marques (« le marketing à la truelle ») me nourrisse d’un grand optimisme. Néanmoins, ce qui peut rendre optimiste, c’est que la voie du respect de la part des marques est non seulement porteuse de sens mais profitable aux marques elles-mêmes. Elles sont appelées à habiter l’océan de pixels, et le monde, avec respect : respect de l’environnement, du vivant, respect des équipes travaillant pour les entreprises auxquelles ces marques appartiennent, respect de notre attention, de notre intelligence, de notre expérience avec les produits et services qu’elles commercialisent, de notre expérience devant des pixels, de notre vie privée, etc.Pour que la réinvention du marketing soit effective, il me paraît important que les étudiants qui se destinent à diriger les marques demain soient sensibilisés à la responsabilité considérable des marques et aux nouvelles approches porteuses de sens dont elles peuvent s’emparer.
Ce que l’Avenir des Pixels nous réapprend, c’est que le web doit être un espace de création, et que nous devons être des créateurs. De nombreux outils sont en place pour y parvenir, mais tout démarre bien de nous. Un « nous » informe qu’on peine encore à définir malheureusement, mais sur lequel Timmthy met des chiffres, des initiatives, des succès et des échecs, des données de marché.
Diablement optimiste, faut-il y voir une pointe de naïveté ?
A l’heure où les vendeurs d’apocalypse sont légions, l’Avenir des Pixels se veut cette petite bouffée d’air, pragmatique et réelle, qui redonne un tant soi peu d’espoir aux univers numériques. A plusieurs reprises, j’ai pesté contre Timothy pendant ma lecture, une certaine allergie au trop plein d’optimisme sans doute. Mais quelques pages plus loin, l’Avenir des Pixels retombait sur terre, décryptant avec soin aussi ce contre quoi il faut se battre, à commencer par les bonnes intentions. Face au ciblage généralisé, aux idéologies que portent les technologies et au monde qu’on veut nous vendre, Timothy garde son sang froid. Quand j’émets quelques doutes en notre capacité individuelle à changer les choses face aux magnats du numérique qui ciblent chacune de nos envies, il me répond calmement :
Le monde que vous laissez entrevoir fait froid dans le dos. Vous évoquez nos envies, mais il s’agit d’envies supposées, détectées par des algorithmes. Le chemin que nous prenons ne m’enthousiasme pas : on nous invite à nous entourer d’objets connectés et interconnectés, on nous suit à la trace en ligne. Nous produisons une multitude de données, le plus souvent à notre insu. En devenant analysables, le grand risque est de devenir prévisibles et manipulables. Il est urgent de reprendre en main nos destins (numériques).
Je me suis attaché dans le livre à mettre en avant des acteurs qui témoignent d’un grand respect du travail des créateurs et qui, économiquement, s’en portent bien. Je nous invite, comme créateurs, à prendre conscience de tous les choix que nous sommes amenés à faire et à les exercer en conscience. Quelles histoires souhaitons-nous raconter ? Comment souhaitons-nous documenter le monde ? Dans quels « écosystèmes » souhaitons-nous évoluer, en d’autres termes où mettons-nous notre énergie, nos compétences et nos talents ? Quels modèles souhaitons-nous ainsi soutenir par notre travail de création ? Pour donner quelques exemples concrets : de qui nous entourons-nous ? Quels contrats signons-nous ? À quels appels à projets prenons-nous part ? A quels festivals prenons-nous part ? Comment choisissons-nous de diffuser nos œuvres ? Etc. Nous pouvons avoir un impact durable en choisissant les acteurs et modèles les plus intègres, les plus équitables, les plus respectueux de notre travail.
Des pixels à faire tourner
Les pixels de Timothy sont aussi les nôtres, sont livre est un petit témoignage original et surtout une belle synthèse accessible de ce qui se trame derrière nos écrans et objets numériques du quotidien. Les enrichissements en ligne en font un véritable objet « transmedia » comme on en voit de plus en plus. L’Avenir des Pixels est un plaidoyer pour la bienveillance et la justice sur internet, à mettre entre les mains des novices ou des experts qui iront y piocher ce qui les intéressera tant l’ouvrage – très documenté – brasse large. Une bonne occasion de rappeler que s’il y a toutes les raisons de s’inquiéter, la complainte ne peut que s’accompagner d’action :
Nous pouvons, en même temps que nous concevons nos œuvres, concevoir le modèle dans lequel elles vont s’épanouir et avec lequel elles vont se propager. Le destin des créateurs est avant tout entre les mains du public, qui a une soif inextinguible de créations, et des créateurs eux-mêmes. Cela a de quoi nous rendre optimistes.
PS : comme demandé par la 1ère de couverture, je remettrai l’ouvrage en circulation 🙂