« Cent années furent bien peu de choses à l’ombre d’un monde qui court plus vite qu’il ne respire. »
Ainsi commencent ces quelques page d’un cahier inconnu tiré d’un livre égaré. C’est un peu par hasard que je suis tombé sur le studio de design FLAIR, ou pas tellement en fait. Les ingénieux créatifs avaient fait parler d’eux chez Usbek & Rica, en proposant un concept d’arme de poing imprimée en 3D à partir d’éléments biologiques. De quoi retourner la tête aux plus vegans de nos pacifistes, et inversement.
Mais pour ce qui nous concerne, nous parlerons prospective. Notions de Futur est un étrange essai qui s’inscrit dans un hasard travaillé issu de l’imaginaire d’un studio qui veut penser l’avenir. Découpé en trois parties (Espace, Temps, Société), le cahier se veut cet extrait d’un futur qui ne dit son nom qu’à demi-mot.
Si l’on pense le monde depuis aujourd’hui, et que l’on tire la pelote de nos développements technologiques, alors tout devient possible. Pour FLAIR, l’espace physique sera bientôt tout relatif, percé par la présence d’autres couches à visiter : le numérique, l’espace perceptif. Les trois s’entremêleront (car tout est dans tout et réciproquement) pour donner lieu à une réorganisation des espaces post-théorique.
p(N)=i(N)/Inf
Dit comme ça, c’est un peu perché, mais pourtant très concret. Notions de futur aborde le devenir des villes devant assurer la gouvernance de ces espaces, des données, des flux énergétiques, du poids des acteurs privés et des forces en présence dans ce méli-mélo. On y détecte à l’avance les déboires des sociétés qui, faisant fi de la vie, génèreront les prochaines catastrophes industrielles, comme à Taïwan, en 2031, ce sera une tragédie :
La ville de Taïwan fonctionnait alors comme un corps humain, détectant et filtrant les organismes étrangers aux axes majeurs et déployant une barrière immunitaire à chaque alerte. (…) Le patient zéro fut un immigrant philippin qui arriva par un bateau de pêche sur l’île. (…) On apprit bien plus tard qu’un groupement d’investisseurs perçut l’alerte sanitaire comme un moment favorable pour racheter des packs spéculatifs. Le groupement retarda le traitement informatique et modifia le programme de création des antibiotiques d’urgence par des placebos afin que le virus continue à se répandre.
Puis le temps, le temps de lire ce court récit, et il prend une autre forme. A fortiori sur un support numérique : « Le citoyen du XXIe siècle utilisait sa tablette ou son « smartphone » pour ne plus subir la mesure physique du temps et donc son ennui ». C’est évident, Lewis Mumford l’avait dit lui aussi, c’était en 1934.
Au fur et à mesure que la machine devenait plus active et plus humaine, reproduisant les propriétés biologiques de l’oeil et de l’oreille, les êtres humains qui s’en servaient comme d’un moyen de fuite tendaient à devenir plus passifs et plus mécaniques. Manquant de confiance en leur propre voix (…) ils transportent avec eux un phonographe ou un poste de radio, même en pique-nique. Craignant d’être seuls avec leurs propres pensées, effrayées d’affronter le vide et l’inertie de leurs esprits, ils allument la radio, mangent, parlent et dorment avec un stimulant extérieur continuel : là un orchestre, là un peu de propagande, là un bavardage public considéré comme de l’information.
On tournerait en rond ? Et l’on finirait par réaliser à quel point le temps est précieux, qu’il mérite une autre géométrie plus humaine pour différencier ce qui tient de l’instantané, du flux, du dérisoire. Pour l’instant, nous nous raconterions des fables, mais elles finiront par s’évanouir, donneront lieu à un nouvel âge.
Chaque expérience de l’autre se construit en deux éléments : la perception, pauvre ou riche, une interaction limitée dans un temps court, noyau dur de l’instant ; et le vécu, c’est-à-dire l’inertie, l’aura temporelle qui va habiter cette perception, plus celle-ci est riche, plus le vécu s’agrandit.
Et la société ?
C’est là qu’on sent l’inquiétude. Et c’est là que Notions de Futur est un signal faible qui fait écho à ce monde qui s’interroge. C’est aussi toute la difficulté d’un essai qui part du futur : c’est un vision absolument normative. Dans le futur tel que FLAIR le conçoit, nous avons réussi à vivre « en paix avec les êtres technologiques car nous avons trouvé le savant équilibre de ne pas considérer semblable deux existences qui ne le sont pas ». Entendre, dans l’avenir, nous avons dominé nos peurs, renoué avec notre être intérieur.
L’erreur peut-être, serait de considérer que l’avenir n’est que ce délicat équilibre entre technique et humanité. Ou de penser comme un déterminisme total les fulgurantes transitions technologiques et l’arrivée imminente de l’intelligence artificielle. Puis de ne voir l’agir humain que comme quelques mouvements d’un curseur dans cet inexorable tic-tac qui nous dépasse :
(…) l’arrivée sur les marchés d’êtres technologiques multi-fonctionnels et facilement programmables. Ceux-ci remplacèrent petit à petit les ouvriers dans les industries, puis les employés de gestion dans le secteur tertiaire, ré-injectant ainsi sur le marché du travail des centaines de milliers de citoyens sans aucune adéquation avec les besoins de recrutement, toujours en hausse. Même si ce transfert fut dans un premier temps dramatique il fut atténué en quelques années par des politiques étatiques de formation.
Le défi peut-être, sera d’imaginer un futur sans machines. Détechnicisé, ce serait une utopie non moins légitime au regard de l’état du monde. FLAIR ne choisit pas cette voie, mais Notions de futur a au moins le mérite de nous réconcilier avec les directions que peut prendre l’époque, et en cela poser un nouveau départ en toute humilité. Un départ qui comprend l’environnement technique sans chercher à l’ériger comme un nouveau totem, un départ en empathie avec les machines, nous dirait Gilbert Simondon.
Pour feuilleter Notions de futur et savoir – un peu plus – où va le web, rendez-vous ici.
Les signaux faibles de ce futur ne sont-ils pas dans la science-fiction ?
Cf. https://www.futuribles.com/fr/revue/413/
Oh si, probablement. Ils sont un peu partout, d’ailleurs la revue vers laquelle vous pointez en a fait une spécialité, je lirai ça à l’occasion 🙂