Trump, Musk, Mars, et ça repart… droit dans le mur

La quête de Mars illustre une fantastique pulsion de mort inhérente à l’esprit fasciste. Face au delirium trumpo-muskien, il faut opposer une résistance absolue pour sauver rien de moins que le bien commun de l’humanité, expliquent le chercheur Irénée Régnauld et le sociologue Arnaud Saint-Martin.

Tribune publiée dans le journal Libération le 29 janvier 2025

Le fascisme vient d’être investi en grande pompe à Washington. Donald Trump passe en force, mais cette fois par la voie légale d’une élection qui n’a pas été «volée». Les factieux radicalisés qui s’étaient rendus coupables d’une tentative de coup d’Etat le 6 janvier 2021 ont été graciés par un président repris de justice multirécidiviste. Le gotha de l’internationale d’extrême droite s’est donné rendez-vous pour fêter l’empire. La France a été représentée par Bernard Arnault, Eric Zemmour, le RN. Ils auront pu contempler l’effroyable parade d’un président ivre de sa puissance. Qui n’a pas tardé à concrétiser ses idées pro-business, réactionnaires et écocidaires, tout en brandissant une promesse ultime : la conquête de Mars, point de fuite d’une gabegie énergétique suicidaire.

Le rapprochement entre Elon Musk et Donald Trump a catalysé l’attention. Deux milliardaires unis par une même haine du gouvernement, désirant privatiser l’action publique pour la transformer en exutoire de leurs désirs égomaniaques. Elon Musk est désormais à la tête d’un «département de l’efficacité gouvernementale» et a pour mandat d’appliquer la recette SpaceX au budget fédéral : baisser les coûts, innover par l’échec et la casse, qu’importent les dégâts. La saignée vise le planning familial et différents programmes d’inclusion ou climatiques. Le couple a fonctionné par renvoi d’ascenseur, le premier offrant au second sa puissance algorithmique et des dollars, contre l’opportunité de réaliser son rêve illusoire de conquérir Mars, quitte à détricoter un programme de retour sur la Lune, certes, embourbé, mais initié par Trump en 2019. Lors de son intervention post-investiture, Musk exulte : «C’est grâce à vous que la civilisation future est assurée», puisqu’il s’agit bien – sur le papier – d’aller peupler cette nouvelle terre vierge, si possible à grands coups de tirs du lanceur super lourd Starship financé par l’Etat fédéral.

La coalition entre extrême droite et l’oligarchie des «Big Tech»

Cette coalition entre l’extrême droite et l’oligarchie des «Big Tech», en rang d’oignons sur la photo (Musk, Bezos, Zuckerberg, Pichai) était attendue. De nombreux observateurs ont qualifié cette «techno-féodalisation» des entreprises du numérique, qui applaudissent des deux mains un déni écologique couplé à l’abandon d’un décret sur l’encadrement de l’intelligence artificielle. Le tout adossé à un plan de financement massif de l’IA, «Stargate», et au pompage ad nauseam de ressources fossiles. Seule ombre au tableau, un alignement forcé, pour certains en tout cas, sur les valeurs morales traditionnelles : il faut savoir faire des concessions. Clou du spectacle, deux saluts nazis exécutés avec vigueur par Elon Musk. Moment de vérité. Tentative publique de tester les limites de l’ignoble et de provoquer un débat quant à ses intentions profondes. Celles-ci sont pourtant claires. Ses accointances avec l’extrême droite, depuis le forum 4Chan jusqu’aux partis néonazis européens, ne laissent pas place au doute. Nul besoin d’en revenir au rassemblement nazi du Bund germano-américain en 1939 au Madison Square Garden, non loin de la future Trump Tower, pour en convenir : le terreau du fascisme est encore fertile aux Etats-Unis. Il s’incarne désormais dans une ploutocratie qui a mis la main sur la sécurité intérieure, l’éducation et même la Nasa où le milliardaire Jared Isaacman, astrotouriste siglé SpaceX promu administrateur, a mis un terme à toutes les politiques d’inclusion.

Dans le ravage écologique qui s’annonce, Mars fait figure de fiction enthousiasmante qui synthétise la vulgate impérialiste américaine. De longue date, l’option martienne a étreint des lobbys mus par un esprit d’aventure aux relents racistes et coloniaux, à l’image de l’ingénieur Robert Zubrin, fondateur de la Mars Society, contempteur acharné du «wokisme» et inspirateur d’Elon Musk. De leur point de vue, Mars annonce «l’âge d’or», la conquête de l’Ouest 2.0 et surtout une sortie par le haut des contradictions du capitalisme dans sa déclinaison cosmique : l’astrocapitalisme. Cette fuite en avant est une gigantesque entreprise de diversion. Car si l’annonce résiste à cette administration et aux suivantes – ce qui est tout sauf certain – elle ne fera que donner un avant-goût de ce que pourrait être la vie sur une Terre saccagée par les activités humaines. La perspective martienne, dans sa version escapiste ou «Planète B», n’offre rien d’autre qu’une vie souterraine, un retour aux cavernes sur un astre mort pour quelques élus condamnés aux métastases par les radiations solaires. Au moment où les Etats-Unis décident de sortir, encore, de l’accord de Paris, Mars signale l’entrée dans une quête sacrificielle : une fantastique pulsion de mort inhérente à l’esprit fasciste.

Et pourtant, Musk continue de fasciner. L’essayiste et lobbyiste d’Uber Nicolas Bouzou, entre autres illustrations, rêve de transformer le CNRS en SpaceX de la recherche au service de la croissance et de la «puissance européenne (1)». Dans la même veine, le président Macron a vanté à de nombreuses reprises le modèle SpaceX pour «disrupter» l’action publique. L’empire de Musk pourtant, c’est la maximalisation autoritaire d’une formule fordiste qui emporte tout sur son passage. La concurrence ? Il la neutralise ou la tue. Les employés de ses entreprises ? Il les met au pas, les épuise, les exploite jusqu’à la mort. Dans la Trump Organization, c’est la même méthode qui s’applique : les récalcitrants qui bronchent ? «Fired !» Au suivisme des élites fanatisées par le delirium trumpo-muskien, opposons une résistance résolue. Rien n’empêche de rompre le cercle vicieux de l’enchantement et de la collaboration bilatérale avec une nation dont la seule option est d’étendre sa domination sur le reste du monde.

Sur le terrain des politiques spatiales, scruté par tous, il y aurait lieu de renforcer l’indépendance stratégique, technologique, scientifique et diplomatique de la France, par une planification conséquente de la recherche publique et une nationalisation des capacités industrielles les plus critiques ; de peser en Europe pour encourager un désalignement d’avec la montée en charge de l’astrocapitalisme états-unien ; de plaider la sortie des accords Artemis qui bafouent le traité de l’espace de 1967, outil indispensable de pacification et de communalisation des usages de l’espace exo-atmosphérique. Il est question, rien de moins, de sauver ce bien commun de l’humanité tout entière. Deux visions s’opposent en la matière : il faut choisir son camp. Un autre horizon de l’exploration spatiale est possible.

(1) Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin sont coauteurs de : Une histoire de la conquête spatiale. Des fusées nazies aux astrocapitalistes du New Space, La Fabrique, 2024.

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