Sur leur page Medium, Romain Beaucher (@romBeaucher) et Alexandre Mussche (@alexcyclo), les fondateurs de l’agence de design pour les acteurs publics Vraiment Vraiment posent un regard à le fois critique et constructif sur l’arrivée des voitures autonomes dans le paysage urbain. Avec leur accord, je republie ici leur excellent texte. A mon sens, les deux auteurs illustrent parfaitement les questions politiques qui surgissent au contact des évolutions technologiques : dans quelle mesure les citoyens peuvent-ils avoir leur mot à dire dans la transformation de l’espace public ? Quels rôles peuvent jouer les acteurs publics pour saisir le changement sans le subir ? Comment anticiper les modifications concrètes de la chaussée ? Les effets du véhicule autonome sur les trajets à pied ou à vélo ? Clairement, cette réflexion fait écho aux travaux de Richard Sclove et ce qu’il appelle « la démocratie technique ». L’auteur rappelle que les technologies, au même titre que les lois, structurent nos vies. Pourquoi alors, un tel déficit démocratique à leur endroit ?
“L’accident de Tempe entre une voiture autonome et Elaine Herzberg, qui traversait à pied une rue de Tempe, relève d’un bug informatique qui détecta Elaine comme une « false positive » ” : ces mots sonnent comme les médiocres premières lignes d’une oeuvre SF cyberpunk. Las : il s’agit de la conclusion du rapport sur un accident mortel, survenu en mai dernier en Arizona (USA).
Les “mobilités de demain” et, singulièrement, la “voiture autonome”, font l’objet d’investissements colossaux. Waymo (le véhicule de Google), pourrait rejoindre le niveau de valorisation (environ 40 milliards $) que les géants de l’automobile américains ont mis 100 ans à capitaliser, avant même d’avoir vendu une seule voiture.
La voiture autonome bénéficie également d’un effort narratif comparable à celui qui a accompagné l’essor de la voiture individuelle dans la deuxième moitié du XXème siècle : le confort et le “temps libéré” ont remplacé les idéaux de vitesse et de liberté dans l’imaginaire. En comparaison de ces efforts financiers et marketing, l’investissement éthique et politique paraît bien dérisoire. Pourtant, la voiture autonome pourrait massivement transformer l’espace public et ses usages : alors que certaines villes sortent à peine du paradigme urbain induit depuis 75 ans par la voiture individuelle, l’espace public pourrait être brutalement reconfiguré par les choix des acteurs de la Silicon Valley, prenant de court des acteurs publics patauds, terrorisés à l’idée de ne pas être au rendez-vous du futur, que paradoxalement ils ont du mal à penser hors des sentiers battus de la startupisation du monde.
Alors ! La voiture intelligente rendra-t-elle inéluctablement la ville bête, encore plus bête qu’aujourd’hui ?
Une autre histoire est possible, qui verrait les villes profiter de l’arrivée de la voiture autonome et incarner de nombreuses promesses sociales :
- en faisant disparaître le rôle de conducteur, on repense plus aisément les mobilités du dernier Km, la mobilité partagée, les mobilités en milieu rural
- en améliorant les comportements, on fluidifie les circulations et on améliore l’efficience énergétique des véhicules
- on rend possible la mobilité pour des personnes qui n’en avait plus (personnes âgées, enfants, PMR)
Pour reprogrammer un espace public mieux partagé et plus apaisé, pour partir sur un bon pied, refaisons rapidement le film.
Peut-on enfin penser l’urbain autrement qu’en fonction de la voiture — autonome ou non ?
La voiture individuelle a complètement fait muter l’organisation de l’espace urbain à partir du milieu du siècle dernier : sans inflexion politique, la voiture autonome façonnera pareillement les tissus urbains de demain, avec (au moins) les mêmes effets néfastes.
Les automobilistes (via les Automobile Club et, plus généralement, les élites qui ont pu tôt se permettre ce mode de transport) ont inventé le trottoir, le feu tricolore et le passage clouté qui, sous couvert de la “sécurisation du piéton”, ont binarisé l’espace public urbain et cantonné le piéton dans une infime fraction de l’espace qui lui était précédemment accessible. Un siècle plus tard, 10% des trajets se font en voiture et 50% de l’espace public lui est alloué dans les métropoles.
Alors que l’espace public s’extirpe lentement de cette binarité largement en défaveur des modes de transport les plus vulnérables (et les plus doux d’un point de vue environnemental, ne l’oublions pas), la voiture autonome pourrait, au nom de la sécurité et de la modernité, ré-introduire et renforcer cette ségrégation spatiale des usages. Google et Uber ont beau annoncer vouloir faire naviguer les futures voitures dans les villes telles qu’elles existent, cela ne signifie pas grand chose, quand leurs algorithmes pilotent déjà nos usages urbains (Waze et les conflits des détours) et que le projet de Google, par exemple, est précisément de réinventer la ville de fond en comble (Sidewalk Lab à Toronto).
Il est même possible que les collectivités soient les victimes consentantes de ce nouvel outrage : la course au territoire le plus “attractif”, le plus “innovant” ou le plus “technophile” fait parfois perdre en clairvoyance les élus de tous bords. Cette pression pourrait devenir particulièrement forte dans le périurbain et les villes moyennes, où la question de la présence de la voiture en centre ville reste en suspens (qualité de l’expérience piétonne vs. accessibilité des commerces, fringales de ZAC…).
Laisser le “code de la route” aux routes, imaginer un code de la ville.
L’automobile a fait entrer le code de la route — et son légitime prisme sécuritaire — dans la ville, où il aurait fallu un code de l’espace public et une réglementation urbaine aux ambitions bien plus vastes et variées : protéger, bien sûr, mais aussi apaiser, partager, prendre soin des ambiances… Si l’on pousse la logique, une ville régulée dans ses formes et ses usages par la seule sécurité routière pourrait se féliciter de ne produire aucun accident, avec des enfants marchant le long de couloirs étroits et habillés de la tête aux pieds en vert fluo. Comme plus généralement les discours sécuritaires, la “sécurité” routière sait s’imposer par des arguments — « vous porterez ces morts sur votre conscience” — particulièrement efficaces à l’échelon municipal, puisque la responsabilité du maire est sans cesse en jeu. Ainsi, la partie roulante d’une voirie échappe totalement à l’immense majorité des villes, seules certaines métropoles pouvant se permettre de laborieux bras de fer avec les préfectures (et la DSR et l’ONISR 🙂 . Et encore : même dans ces villes, les potelets pour empêcher les voitures de stationner se trouvent sur le trottoir, et non sur la voirie, y compris lorsque celui ci ne fait plus que 50cm de large. De fait, la question échappe donc largement au débat démocratique : c’est à l’échelle locale qu’il pourrait avoir lieu pour réinventer ou conserver des mobilités issues des usages, mais celle-ci en est dépossédé par le niveau national qui ne la traite qu’au travers du prisme sécuritaire.
La voiture autonome va faire perdurer, voire renforcer ces tendances, par deux bouts : d’une part, en exigeant que l’espace public soit, partout, très fortement normé pour permettre aux voitures de se repérer, d’autre part en portant à un niveau européen les discussions (sous pression des constructeurs souhaitant accéder à un marché homogène).
La voiture autonome a fondamentalement besoin que son environnement lui soit intelligible. Pour cela, elle s’appuie aujourd’hui (notamment aux Etats-Unis, on y reviendra) sur un environnement explicite qui répartit l’espace public sur un mode binaire entre la voirie et le reste, grâce à une sémantique urbaine radicale : une armée de panneaux signalétiques latéraux et des traitements des sols bien lourds. Si la voiture autonome devait figer cette sémantique, cela irait à rebours de tendances actuelles diamétralement opposées…et plutôt plus intéressantes.
La ville réunifiée
En imaginant des aménagements plus apaisés, en gommant les anciennes frontières au sol et en améliorant la lisibilité et l’unité des espaces publics, les villes réparent peu à peu des espaces publics radicalement divisés et surinvestis par les poteaux de signalisation. Il nous semble important, en la matière, de laisser une vraie marge de manoeuvre (et donc d’inventivité) aux villes — ce qui s’avèrera très vite contradictoire avec les besoins d’homogénéité et le lisibilité de la voiture autonome.
Les usages informels
Peu à peu, la ville retrouve ses capacités d’animation et de modularité de l’espace public, qui peuvent relever tant de dispositifs formels (mobilisation des forces de l’ordre, signalétique temporaire) qu’informels : improviser une fête des voisins, manifester, agrandir une terrasse un jour de soleil, déborder sur la rue un jour de match, organiser un jeu de piste avec les enfants du quartier… Comment ne pas normer et stériliser ces élans pour que la voiture autonome s’y retrouve ?
La ville transitoire
Dans un moment ou de plus en plus de villes passent sur un mode “apprenant” et itératif d’expérimentation, on peut se demander si ces modes de projets agiles seront compatibles avec les systèmes d’information nécessaires à la voiture autonome.
Accessoirement, il convient de regarder sans malveillance excessive, mais avec vigilance, les efforts des (très) grandes entreprises des travaux publics, qui voient dans la voiture autonome une possibilité de traduire enfin en revenus leurs investissements sur la smart city, un peu passée de mode. La “rue connectée”, outre qu’elle annonce de juteux marché (refaire toute la voirie), ouvre le risque d’une mise en péage tacite de la ville, avec des effets de fast tracks (Tesla, qui a passé un deal avec Vinci, qui a obtenu de la ville de Lyon d’ouvrir une “voie connectée” en parallèle de chacun des plus grands axes de la métropole : vous avez le droit d’aller plus vite que tout le monde) et, in fine, de privatisation du réseau et de l’espace public.
Dans ce contexte, les institutions de l’Union européenne ont un coup à jouer : plutôt que de centraliser les discussions sur la normalisation de l’espace public au niveau européen, qui ne manquera pas de générer du ressentiment (légitime), elles peuvent créer le cadre démocratique qui donnerait aux villes le pouvoir de décider et de tester des parti-pris en matière de régulation de l’espace public, et le cadre protecteur pour les usagers de la ville dans toute leur diversité. Car rien ne garantit que la voiture autonome sera prudente…au contraire !
Véhicule autonome, d’accord. Mais prudent…ou fluide ?
Les capteurs de la voiture d’Uber en cause dans l’accident de Tempe cité plus haut ont bien perçu la présence d’Elaine Herzberg sur sa trajectoire. Le logiciel a “jugé” qu’il s’agissait d’un signal à “ignorer”. Cet arbitrage relève moins du choix erroné d’un robot apprenant “qui s’améliorera avec le temps”, que d’un code et d’un arbitrage très humains. Au moment de la conception de la voiture autonome, ce choix (ô combien structurant) conduit à privilégier soit une conduite fluide et agréable, avec une vitesse moyenne plus élevée, soit, une conduite plus lente et saccadée, du fait des freinages liés aux obstacles ou aux possibilités d’obstacles perçus et traités comme tels par la voiture. Cette question de l’interprétation de l’environnement urbain et des usagers qui l’entourent par les voiture autonomes, le paramétrage de ce que la voiture doit considérer comme un signal à traiter (un mur, un autre véhicule, un piéton) et ce qu’elle doit considérer comme du “bruit” (une aberration optique, un vol de feuilles mortes, de la pluie…) est déterminant : plus les règles qui traitent ces signaux sont précautionneuses, plus les “bruits” sont susceptibles de « tétaniser » le véhicule. Il s’agit donc de choisir entre le confort du passager — le comportement actuel des voitures autonomes est encore lent, inconfortable et nauséeux — et la sécurité des autres usagers de la voirie et plus généralement de l’espace public.
Laisser les constructeurs résoudre seuls ce dilemme revient à donner une forme de priorité par défaut aux voitures dans toutes les situations non explicitement régies par le code de la route, puisque les voitures qu’ils conçoivent ne se vendront qu’à condition d’offrir à leurs propriétaires / usagers la capacité de traverser rapidement et confortablement les zones urbaines. La puissance publique a donc ici un (premier) rôle central à jouer : reconnaître le caractère public et politique du paramétrage du comportement des voitures autonomes (et obtenir leur mises en opensource comme commence à le suggérer Elon Musk), qui doit donc être traité dans un cadre démocratique par l’ensemble des usagers de l’espace public.
Voiture autonome et espace public, éléphant et magasin de porcelaine
La fluidité, la sécurité et la qualité des usages de l’espace public relèvent d’une multitude d’équilibres fragiles, formels et informels. En particulier, le partage physique de la voirie est permis par :
- un système normatif, composé du code de la route et des signaux, règles et moyens permettant de le faire respecter ;
- une urbanité construite autour de la politesse/bienséance, qui fluctuent au gré des représentations sociales: laisser passer une vieille dame ou une poussette, ralentir lorsqu’un enfant roule à vélo, ne pas faire rugir son moteur sur une petite place avec des terrasses de cafés. C’est essentiellement un ajustement du comportement des usagers les plus puissants (i.e. qui, en cas d’incident, subissent les moindres dégâts), pour prendre soin des usagers les plus vulnérables.
- une intelligence des situations, que chaque usager (piéton, cycliste, voiture) déploie en permanence pour assurer sa sécurité et celle de ses biens. Cette intelligence s’ajuste en temps réel en fonction des entorses au code de la route, à ce qui n’est pas énoncé et aux situations exceptionnelles. C’est un cycliste qui laisse passer une voiture même si celle-ci est “passée au rouge”, un automobiliste qui replie son rétroviseur dans une rue étroite où les camions passent, etc. Il s’agit essentiellement d’un ajustement du comportement des usagers les plus vulnérables, pour tenir compte du comportement des usagers les plus puissants.
Dans ce contexte, la voiture autonome écartera de fait l’urbanité et l’intelligence des situations comme régulatrices des usages de l’espace public, d’autant qu’elle n’aura pas du tout les caractéristiques de l’agilité urbaine :
- La voiture autonome va infléchir le « bon sens » en défaveur des usagers les plus vulnérables : l’exemple de Elaine Herzberg, et les prochains accidents, vont mécaniquement conduire les autres usagers à faire preuve d’une grande prudence, jusqu’à une auto-limitation de certains usagers (éviter de faire du vélo la nuit). La première image de l’accident de Tempe qui a circulé (ci-dessus) laissera à ce titre des traces (Est-ce bien raisonnable de se promener la nuit sans gilet réfléchissant ? Les adolescents sont-ils suffisamment responsables pour être dehors passé le coucher du soleil ?)
- La voiture autonome ressemblera davantage à un Cayenne qu’à une Twizzy. Les années 2000 ont inventé la Smart (<1T) et en 2011, Renault a sorti la Twizy (0,5T). L’icône de notre modernité, la Tesla, pèse 2,3T (au passage, elle consomme autant d’énergie qu’un gros SUV — ce n’est simplement pas la même source). Avec la généralisation des SUV et crossover sur toutes les gammes, y compris citadines (!), le poids, l’emprise et les volumes moyens des voitures continuent d’augmenter. Comme si l’utopie de la petite voiture citadine n’avait été qu’un soubresaut dans un long idéal sédimenté de la voiture comme “salon privé” mobile. Les chiffres de mortalité dans les accidents voiture>piéton ont d’ailleurs explosé aux USA, du fait des SUV et de l’augmentation du poids moyen des véhicules . Les distances moyennes de freinage ont à peine diminué depuis l’arrivée de l’ABS, les rayons de giration n’ont pas bougé et continuent de dessiner l’espace public autour de gabarits de voirie et de parkings surdimensionnés. Bref, si l’imaginaire marketing de la voiture reste calé sur le “salon mobile de 12m2”, la question de la place à donner à des objets métalliques “autonomes” de deux tonnes qui roulent à plus de 50km/h entre des piétons mérite d’être posée.
- La voiture autonome n’aura pas d’urbanité: en étant principalement déterminée par le code de la route traduit en lignes de code, son comportement ne s’adaptera pas aux situations. Elle ne ralentira pas spécifiquement face à un papa exténué avec une poussette et un caddie de courses, ni en passant à côté d’un groupe de gens qui déborde d’un bar un soir de match, elle ne fera pas le petit changement de trajectoire permettant d’éviter de rouler dans la flaque d’eau pour éviter d’éclabousser les piétons sur le trottoir, etc. Pire, au vu des récents difficultés des véhicules autonomes (les Waymo n’arrivent pas à s’insérer sur l’autoroute lorsque les distances de sécurité ne sont pas respectées) et des autres automobilistes qui les trouvent trop lentes et précautionneuses (“elles s’arrêtent aux rond-points …je les déteste”), ça forcerait les fabricants à ne pas forcément respecter le code de la route au pied de la lettre, mais d’adopter un comportement mimétique aux us et coutumes (même illégales) des autres conducteurs.
Si la voiture autonome est développée autour du seul point de vue (et des seuls intérêts) des constructeurs et de leurs clients / usagers, comme c’est le cas aujourd’hui, la ville pourrait bien devenir très bête, au sens où le code de la route étant modifié en faveur des voitures, tous les autres usages de l’espace public — piétons, cyclistes, festifs, automobiles classiques, etc. — devraient être explicités, codifiés ou interdits sous la pression des constructeurs automobiles. On peut d’ailleurs s’attendre à un intense travail d’influence du régulateur dans les mois et années qui viennent.
Il est temps de réintroduire de la pluralité dans la conception de la voiture autonome : des objets qui prennent autant de place directe et indirecte dans la ville ne peuvent être à la seule main de leur fabricants et de leurs usagers. L’occasion de créer un lobby des usagers “doux” de la ville ? Conducteurs de chaussures, cyclistes, pousseurs de poussettes, enfants sans permis, UNISSEZ-VOUS!
La voiture autonome, une américaine à Paris (Copenhague/Rome/Athènes) ?
Fondamentalement, l’affaire est donc déjà mal embarquée pour tout ce qui prétend se déplacer et vivre dans la ville autrement qu’en voiture. Mais cela empire encore si l’on regarde d’où s’invente et se teste la voiture autonome — et cela n’a rien de chauvin de s’en alarmer. Si quelques constructeurs européens sont bien placés pour la partie hardware (Volvo, Renault, Valéo etc.), et quelques expérimentations frugales mais stratégiques de navettes lentes en site “apaisé et pré-tracé” (Navya notamment), le berceau de la voiture autonome — là où se fabrique son ADN fondamental — se situe sans conteste aux Etats-Unis. Au pays de Faulkner et de J.G Ballard, là où la voiture, icône de la liberté mode US, a façonné plus que nulle par ailleurs le paysage et la culture, de la Route 66 aux autoroutes urbaines de Los Angeles en passant par la figure du motel.
Au-delà de l’héritage historique, l’appétit sans pareil des grands acteurs de la Sillicon Valley — qui y voient le moyen de suivre tous vos déplacements ET de vous faire consommer pendant le trajet — et des autorités particulièrement favorables — qui, comme la Californie et l’Arizona, espèrent être un des premiers endroits où le futur arrive — explique cette prépondérance américaine.
Or, cette origine made in USA est loin d’être neutre pour notre avenir : la voiture de demain ressemblera au territoire où elle aura été expérimentée, paramétrée, peaufinée : bref, où elle aura grandi. Grille urbaine orthogonale, larges voies rectilignes, trottoirs immenses, dégagement des coins (et donc grande visibilité aux croisements), pas ou peu d’espaces publics vivants, parkings surdimensionnés, végétation urbaine standardisée (allées d’arbres et pelouses privatives), faible densité de piétons (les algorithmes actuels n’arrivent pas à discerner des regroupements de piétons) commerces éloignés de la voirie : c’est pour ce terrain typique qu’elle sera taillée, c’est cette ville qu’elle apprend automatiquement à apprivoiser (Waymo fête son 4 millionième km de machine learning en Arizona). Peu à peu, le code va se stabiliser, et le standard mondial de la voiture autonome sera établi à la mesure de la ville américaine — aussi adapté aux villes européennes qu’une Vespa à l’Interstate 5 au milieu de Los Angeles.
Il y a donc urgence à ce que l’Europe imagine, conçoive et teste une voiture autonome à la mesure des villes européennes. C’est un défi autant pour la Commission que pour les constructeurs, avec un vrai rôle de prescripteur à jouer pour les villes, dont l’habitabilité et la désirabilité (“l’attractivité”) futures se jouent en grande partie sur ce terrain.
En guise de conclusion, quelques propositions
Les acteurs publics européens, de la plus petite communauté de commune péri-urbaine à “Bruxelles”, ont une grande responsabilité pour nous éviter la ville bête et créer, au contraire, le cadre d’urbanités diverses, partagées, habitables et prospères qui feront basculer la voiture autonome d’une prouesse technique à un réel progrès social. Quelques idées, sous forme de propositions, qui nous sont venues en écrivant cet article :
- La ville et ses usages, c’est politique –reconnaître le caractère éminemment politique de la conception, de la programmation et du test de la voiture autonome et, plus généralement, repolitiser la question de l’usage et du partage de l’espace public (celles et ceux qui croient encore à la politique).
- Viva Europa – structurer au niveau européen une filière innovante (y compris socialement) de la voiture autonome qui ne copie pas, à retardement, la voiture américaine (impulsion UE + Etats, participation très large des acteurs économiques et de la société civile).
- Autonome et participative – tester la voiture autonome dans la ville européenne, avec un protocole qui permettent la participation des “non-usagers” de la voiture autonome (UE + Etats + constructeurs). Tester la cohabitation d’usages autour de la voiture autonome, dans 20 villes et villages aux tissus urbains typologiques européens
- Piétons POWAAA – favoriser l’émergence d’une représentation des usagers “doux” de la ville (UE + Etats + société civile). Fédérer des énergies militantes mais cloisonnées (cyclistes, PMR etc.) et une majorité silencieuse (les piétons que nous sommes tous)
- Municipalisme du turfu – créer les conditions pour que les villes aient leur mot à dire dans le code des voitures autonomes (via les réseaux de villes C40 etc. dans un premier temps). Progressivement, reconnaître aux villes moyennes une marge de manoeuvre dans l’élaboration des règles régissant le partage de l’espace public et la circulation. (UE + Etats + C40)
- Design urbain – outiller les urbanistes/paysagistes accompagner l’arrivée de la voiture autonome et les aider à réinventer les grandes catégories de leur espace public (chaussée, trottoir, etc.) avec des considérations multiples (dont la sécurité routière, mais pas seulement : ambiance, transition énergétique, pollution, convivialité, etc.). (MTES + agences d’urbanisme/urbanistes + Pavillon de l’Arsenal)
- Zone apaisée – Passer d’une logique de limitation de vitesse à un encadrement des comportements autonomes. Réfléchir à des zones de “désautomatisation” obligatoire ou à “comportement doux”, où la flânerie, le piétonnage et les usages non-automobiles de la voiture seraient systématiquement prioritaires. (C40 + France Urbaine + AVMF + urbanistes)
- Ouvrir le capot du code – S’assurer que le code des voitures autonomes soit ouvert aux pouvoirs publics (et à la société civile) et qu’il inclut non seulement des règles de sécurité routière mais également des considérations d’ambiances urbaines.
[…] [19] Voir Doit-on laisser la voiture autonome décider des mutations de l’environnement urbain ? http://maisouvaleweb.fr/voiture-intelligente-ville-bete-chronique-des-futurs-possibles/ […]
[…] économiques. Peu s’interrogent cependant sur les effets directs qu’auraient ces projets sur l’urbanisme, la standardisation des routes, des villes, le déploiement de capteurs par millions afin de rendre […]