L’androïd ou la tentation de la personnalité juridique

Je profite de la sortie du dernier film de Denis Villeneuve, Blade Runner 2049, pour revenir sur un point qui m’intéresse beaucoup : la personnalité juridique et son application au robot.

Un texte proposé par Jacques Weissgerber, juriste à Strasbourg, qui rédigeait récemment un mémoire sur les robots en droit civil dans le cadre de son Master 2 recherche à Lyon III.

Blade Runner 2049 traite, comme Blade Runner premier du nom, de la limite entre robot et humain. Mais contrairement au premier, où un humain était chargé de trouver les Réplicants (des robots humanoïdes) le second change de point de vue. Ce n’est plus l’humain qui ne sait plus faire la différence entre personne humaine et robot mais un robot qui ne sait plus s’il est homme ou machine.

Cette approche thématique cristallise certains fantasmes que l’on retrouve à propos du robot et de l’intelligence artificielle. La problématique de la frontière entre homme et machine fait partie des questions fondatrices de la science fiction. Cela me semble un bon point de départ pour analyser cette frontière en droit français. La différence entre l’humain et les robots est que l’un est un sujet de droit, ayant une personnalité juridique, et l’autre n’est qu’un objet de droit. Pourtant quelques auteurs défendent actuellement la possibilité de doter les robots d’une personnalité juridique. J’écris ce papier pour essayer de parler de cette problématique et d’y répondre par la négative. Car pour moi, les robots n’ont pas besoin d’une personnalité juridique. Mais avant de dire pourquoi, il faut d’abord parler un peu de ce qu’est la personnalité juridique.

La personne au centre du système juridique

La personnalité juridique est un mécanisme fondamental du droit civil français. Je ne ferai pas ici un exposé exhaustif à propos du mécanisme et de son histoire, mais il faut rappeler son importance. C’est-à-dire que la personnalité juridique est la différence entre objet de droit et sujet de droit, entre chose et personne.

La distinction entre chose et personne fait partie de ces summa divisio qui structurent le droit civil français. Les personnes sont des sujets de droit, les choses des objets de droit. Pour l’instant, de manière raccourcie, seuls les humains et leurs émanations sont des sujets de droit. Pour ces dernières, l’exemple typique est la personne morale (comme une association, une entreprise…). Les personnes morales peuvent être, au même titre que les personnes physiques, nous autres simples humains, sujet de droit. Que ce soit pour les fictions juridiques ou les humains, l’obtention de la personnalité juridique se fait à la naissance. Pour les uns, cela représente très souvent une immatriculation, un enregistrement. Pour les autres, un accouchement duquel on ressort « vivant et viable ».

Une fois obtenue, la personnalité juridique demeure, dans tous les cas, jusqu’à la mort. Pour les humains, la limite actuelle est la mort cérébrale. Pour les autres, c’est tout évènement qui vient mettre fin à la fiction : dissolution, limite d’âge, fusion… Etre sujet de droit permet par exemple d’avoir accès à ce qu’on appelle les droits subjectifs. On retrouve là-dedans les protections des droits de l’homme, l’accès à la propriété privé ou même les droits de la propriété intellectuelle. C’est-à-dire que si un robot écrit un livre, dessine une peinture ou invente un procédé industriel, il sera dans l’incapacité juridique de protéger « son » œuvre.

Cet énoncé semble presque logique. Et pourtant, dans l’imaginaire collectif, et surtout à cause de l’intelligence artificielle, la frontière semble pouvoir disparaitre.

L’IA, un changement de paradigme ?

L’intelligence artificielle est un sujet qui fait actuellement couler énormément d’encre. A en croire beaucoup de personnes – a priori bien plus compétente que moi sur le sujet – l’intelligence artificielle serait le prochain grand défi de l’humanité. Parmi ces gens, on peut citer Elon Musk ou encore Stephen Hawking. Quand les tenants et les aboutissants de l’intelligence artificielle sont discutés, le robot est un sujet qui ne tarde pas à arriver. Car si l’intelligence artificielle inerte est sujet d’anxiété, l’idée qu’elle commence à se déplacer amène aussi son lot de craintes. Le robot tueur, ou rien que sa possibilité, ravive de vieux fantasmes.

Mais au-delà de ces craintes, l’amélioration de l’intelligence artificielle commence à créer cette impression qu’elle pourrait permettre qu’un robot puisse effectuer des tâches que l’on croyait spécifiquement humaines. On pense à la création, qui pour certains auteurs pourrait se réduire à un nombre fini de tâches et donc être reproductible.

Le problème est que l’intelligence artificielle qui ressemblerait à l’intelligence humaine dans sa subtilité et ses possibilités n’existe pas encore. Le sujet du débat est donc à propos de machines qui n’existent pas vraiment, contrôlées par un logiciel dont on ne sait même pas encore s’il va exister ou non. Car, il existe des spécialistes qui pensent que cela ne pourra arriver et qu’on a affaire à un mythe. Pour plus de précision sur le sujet, il est possible d’aller voir cet article [ici].

C’est cette raison qui pousse une grande majorité de la doctrine juridique française à exclure la possibilité de créer une personnalité juridique au robot.

Une doctrine réaliste

L’idée qui ressort des différents articles et productions juridiques semble être que cela n’est pas nécessaire. C’est-à-dire que la personnalité juridique, comme tous les autres mécanismes juridiques, reste finalement un mécanisme utilitaire : si celui-ci n’avait pas une utilité particulière, on arrêterait de l’utiliser. Cette utilité se confond avec sa définition même. C’est-à-dire que la personnalité juridique a pour raison d’être un réceptacle qui permet l’articulation des normes juridiques.

Pour que la personnalité juridique du robot ait un sens, il faudrait que cela ait une véritable utilité juridique, que cela réponde à une vraie problématique. La doctrine juridique conclut de manière majoritaire qu’il n’y en a pas. Les robots ne représentent pas un éventail de possibilité d’états ou d’actions qui nécessite un statut flexible. Car la personnalité juridique ne se limite pas à quelques utilisations. Elle est un point d’encrage dans lequel énormément de chose peuvent être peuvent être accrochées. Or les robots n’ont pas besoin de cela.

Dans son grand manuel sur la robotique et le droit, N. Nevejans rappelle d’ailleurs très bien que le robot, dans sa nature même, est dirigé vers une fin qui sert son usage : sa forme et ses capacités sont en général dictées par sa fonction, son but.

Pour illustrer ce propos, il suffit d’observer ce que peut faire l’entreprise Boston Dynamics. On retrouve ici la cristallisation de l’apparence pour le but. Que ce soit leur robot Big Dog ou leur plus récentes créations, la finalité dicte le reste. L’apparence humaine, ou du moins humanoïde, participe de l’objectif de la machine ou du robot. Elle est utilisée pour faciliter l’insertion de la machine dans un environnement humain. L’exemple des robots-jouets ou bien des robots d’aide à la personne l’illustre très bien. C’est-à-dire que l’apparence, au-delà du gadget esthétique est un outil de plus pour permettre aux robots d’accomplir au mieux leur fonction. Il semble évident qu’en aucun cas l’apparence ne peut être une fondation de la personnalité juridique.

S’il n’y a pas de vraie utilité juridique à doter les robots d’une personnalité juridique, on retrouve, d’après moi, un vrai projet politique dans les partisans de ce choix (ce qui pourrait faire l’objet d’autres longs développements).

Une vision spécifique du futur : l’androïde et l’homme augmenté

On peut lire énormément d’idées très intéressantes dans les écrits d’Alain Bensoussan qui représente l’une des voix les plus fortes en matière de droit des robots. L’idée par exemple de doter tous les robots d’un capital qui permettrait de prendre en charge les préjudices que ceux-ci pourraient causer et qui, une fois vide, marquerait la fin de leur utilisation, est une idée qui me semble à approfondir.

Mais lorsqu’il s’agit de discuter de la personnalité juridique du robot, dans son petit livre, les auteurs finissent en affirmant que le premier robot intelligent sera finalement peut-être l’homme augmenté. On retrouve donc ici, selon moi, l’idée que la personnalité juridique du robot ne correspond pas à un besoin juridique mais à une envie politique. Pour que leur vision du futur, ou il existerait une singularité entre l’homme et la machine, puisse fonctionner, il faut donner à l’humain des traits de machines mais aussi à la machine des traits humain. La personnalité juridique est l’un de ses moyens.

Depuis Isaac Asimov et sa saga sur les robots, l’imaginaire collectif du robot est hanté par l’androïde. Ce robot d’apparence humaine qui nous dépasse autant en capacité physique qu’en capacité de réflexion. Dans l’univers de Blade Runner, ce sont les Réplicants. Et dans cette configuration, il est difficile de penser refuser une personnalité juridique au robot. La quête de la personnalité, au sens commun, est d’ailleurs un thème central du nouveau Blade Runner. Et peut-on vraiment refuser à Ryan Gosling la possibilité de devenir un acteur juridique ?

Même si les partisans de ce changement ne veulent pas forcément donner une personnalité juridique pleine et entière aux robots, la simple idée me dérange. Parce que cela représente pour moi un vrai choix politique et non un simple choix technique. Qui plus est, un choix politique fondé sur peu de données encore.

Le progrès de la technologie accroît le fantasme autour du robot et de l’intelligence artificielle. Comme on peut le lire régulièrement dans la presse, la discussion du robot et de l’intelligence artificielle est souvent accompagnée d’un certain nombre de mythes. Mythes qu’il est nécessaire, comme le fait ce site, de déconstruire afin de discuter des vraies problématiques car il existe de réels enjeux autour de l’intelligence artificielle et du robot. Mais la personnalité juridique, selon moi, n’en fait pas partie.

Précision bibliographique :

  1. BENSOUSSAN et J. BENSOUSSAN, Droit des robots, Larcier, 2015
  2. NEVEJANS, Traité de droit et d’éthique de la robotique civile, LEH Edition, 2017

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