Le saviez-vous ? Les oiseaux sont des moutons, les gazouillis sont des bêlements. Internet est une ferme et si vous n’êtes pas un lapin, vous êtes probablement du bétail: un ovin broutant veulement de la bonne herbe numérique.
Quotidiennement, nous avalons des chiffres, des règles, des listes. Plus ou moins consciemment, le web nous impose un format informationnel toxique: en anglais le « content ». Non pas « content » pour « heureux » mais pour « contenu-rédactionnel » qui ambitionne de remplir Internet d’articles insignifiants. En somme: le pro-forma de la littérature rapide et consommable, celle qui vous vend d’être toujours en avance. Mauvaise nouvelle : un mouton qui court plus vite que les autres est toujours un mouton.
Mais alors : comment lutter contre la doxa qui structure votre lecture et déconstruit vos opinions? Mais où va le Web agit concrètement pour la cause en vous offrant aujourd’hui 10 bonnes raisons de ne plus lire les articles qui font des listes.
1) Les listes rétrécissent la pensée
Contrairement à la croyance populaire, les mobiles n’ont pas grossi, ce sont les ordinateurs qui ont rétréci, les écrans avec eux. Comme expliqué précédemment dans Comment faire semblant d’être intelligent sur internet, écrire pour les petits écrans est devenu le sport de ceux qui privilégient le contenant au contenu. Rappelez-vous que vous savez encore lire de vrais livres et de vrais articles, respectez votre intellect: ne joignez pas votre cerveau à la course au rétrécissement. A ce rythme là, vous retweeterez très bientôt des articles en Lorem Ipsum sans les avoir lus.
2) Vous n’êtes pas un mouton
Internet est un marché à ciel ouvert; l’Eden des marketers qui vous trackent, vous analysent, vous segmentent et vous quantifient. Quand on y pense l’internaute moyen s’en accommode assez bien. Vos yeux sur un écran sont du temps de cerveau disponible offert aux désagréables petites pub sur le côté de la page et maintenant dans votre texte.
Les « articles-listes » sont souvent des compilations de contenus éparses qui n’ont pour objectif que de capter vos yeux pour les diriger vers ces contenus commerciaux. Que vous trouviez cela normal ou critiquable, ne soyez pas si complaisant avec le marketing, vous n’êtes pas un mouton.
3) De toute façon, vous ne lisez que les titres
Les listes ne vous apprennent rien. Elles vous en donnent la sensation en servant une littérature simple, condensée et abordable dans un environnement professionnel intellectuellement flétri. Et je le dis amicalement. Voyons un exemple :
- Prime : Où l’on arrive au pied de l’abbaye et Guillaume fournit une preuve de sa grande sagacité
- Tierce : Où Guillaume a une conversation instructive avec l’Abbé
- Sexte : Où Adso admire le portail de l’abbatiale et Guillaume retrouve Ubertin de Casale
Si vous n’avez rien compris à cette liste c’est normal, on ne résume pas Le nom de la rose à son chapitrage. La prochaine fois que vous vous contenterez de lire une série de titres, demandez-vous s’il ne faudrait pas mieux lire un chapitre. Bref, ne faites pas à cet article ce que vous ne feriez pas à Umberto Eco.
4) Au fond, vous êtes anticonformiste
J’ai une question personnelle à vous soumettre: où est passé ce(tte) lycéen(ne) rebelle, re-faiseur(se) de monde, empêcheur(se) de tourner en rond, critique absolu de l’ordre établi? Avez-vous oublié de quoi vous étiez fait(e)?
Si l’époque actuelle valorise la différence et le capital social comme les années 30 valorisaient l’accumulation d’objets, alors il n’y a plus de raisons d’amasser des listes de connaissances futiles. Elles ne sont qu’un errata d’une époque à bout de souffle, celle du trop et du trop vite. Comment peut-on être à ce point paradoxal et vouloir une société portée vers la qualité quand on vend son regard à du contenu si faible? Soyez anti-conformiste mais pas trop, ça redevient à la mode.
Profitons-en pour rappeler que les listes mises en musique n’en demeurent pas moins artistiques :
5) Le numéraire n’est pas un argumentaire
Explication, preuve, incidente, contradiction, rectification, atténuation, concession… Les procédés argumentatifs nécessitent une rigueur que ni vous ni moi n’avons inventée.
Argumenter c’est d’abord établir des prémisses crédibles. Par exemple « 6 raisons de maigrir avant l’été » n’en est pas une car rien de très intéressant ni critique n’en découle.
Les procédés argumentatifs des articles qui font des listes reviennent souvent à vous bombarder X fois le même message à travers X exemples qui vont tous dans le même sens. Les listes ne se contredisent pas ni n’envisagent la possibilité d’un échange discursif essentiel à la défense d’un point de vue. Si vous n’êtes pas convaincu, voici 3 raisons pour lesquelles j’ai raison :
- J’ai raison parce que j’ai raison
- J’ai raison parce que j’ai raison
- J’ai raison parce que j’ai raison
J’aurais peut-être tort quand on proposera une épreuve « liste » au Baccalauréat, mais je crois que la dissertation a encore de beaux jours devant elle.
6) Et d’ailleurs, depuis quand aimez-vous les listes ?
Listes de courses, liste de mariage, to-do-list… Vous faites un nombre impressionnant de listes au cours de vos vies pour répertorier, ne pas oublier, surveiller. Sans être abusif, on peut dire que lister est un exercice bête et méchant. Or vous n’avez pas envie de lire des articles bêtes et méchants.
En vérité personne n’aime les listes, à commencer par Bridget Jones qui listait son dégoût des listes. Pour information, il existe une liste de toutes les listes consultable facilement ici : http://www.echolaliste.com/l1.htm, vous ne tiendrez pas 10 minutes.
7) Arrêtez de perdre du temps
Si vous êtes arrivé(e) jusqu’ici, vous êtes probablement un bon client de Mais où va le Web qui aura pris au moins 4 minutes de votre vie (si seulement j’avais quelque chose à vous vendre!). Si cet article ne vous intéresse pas, arrêtez dès à présent de perdre votre temps avec cette liste qui vous embête. Et profitez-en pour faire de même avec tous les autres articles du même style.
8) Si les listes classent, le « Ranking » n’est pas pour autant une information
Les articles-listes dressent souvent des palmarès, des classements, des podiums à 10 marches. La plupart des classements n’ont pour légitimité que leurs propres existences, ils intègrent des critères politiques puisque réduits et hiérarchisés. A titre d’exemple, la liste des meilleurs universités (classement de Shangaï) ne prend pas en compte la liberté d’expression dans les établissements comptabilisés.
Deleuze oppose ainsi le nombre nombrant (qui est une mesure de la force ou de la masse) au le nombre classant (qui hiérarchise des items listés). Le fait même de lister est un acte de pouvoir ou d’acceptation du pouvoir :
Ainsi, si l’origine de la liste nombrante est issue des cultures nomades (qui se comptaient entre eux), sa translation au monde fixe en fait un outil de hiérarchisation qui soupçonne un pouvoir. Pas question ici de remettre en cause la société numérique dans son ensemble, mais je vous proposerai à défaut de vous déclarer « Anar-liste », ce qui revient à ne pas se laisser gouverner par les classements, mais par votre appréciation personnelle et votre sens critique.
9) Retournez à la raison 1)
Ouais.
10) Les articles-listes sont souvent un peu bêtes
Voilà, vous connaissez maintenant 10 raisons supplémentaires de quelque chose. Vous pouvez choisir d’ajouter cet article-liste à la série sans fin de listes que vous parcourrez dans le futur. Vous pouvez également décider de Watchlister cet article paradoxal qui j’espère ne vous aura pas convaincu d’arrêter de lire des articles qui font des listes, ou alors le raisonnement tombe à l’eau.
Dans ce cas, vous pourrez toujours me Blacklister…
[…] c’est vrai, j’ai déjà écrit sur ce sujet dans 10 raisons de ne plus lire les articles qui font des listes. N’empêche que la problématique reste la même. Les listes sont symptomatiques du […]