Quantified-Self et narcissisme digital : la société qui avait décidé de tout noter

Narcisse et le quantify self

C’est quand on commence à faire des check-in au carrefour Market que la maladie débute. Invisible, sournoise, elle s’immisce dans votre running, votre sang, votre couple. Mais où va le Quantified-self?

C’est d’un sujet à la mode dont je voulais parler ici, un sujet déjà bien positionné dans le paysage technologico-circonspect des gens qui critiquent Facebook sur Facebook et Twitter sur Twitter. Je dois également confesser que l’angle d’attaque « les 10 objets connectés qui font ceci ou cela » étant déjà asséché par tout un tas de blogueurs et autres intellectuels, je dû trouver un autre prisme un peu original.

Ce post aura donc pour objectif de napper d’un corps moelleusement critique une compilation de petites perles connectées, une fois n’est pas coutume.

A défaut de compétition spirituelle, il reste le corps :

On le sait, Facebook est pour l’essentiel un nid auto-centré bâti de passions futiles du type « voici mes jambes à la plage » (entendre : moi, je suis au soleil, pas vous), ou encore ; « Génial cette soirée mousse sur ce RoofTop trop hype » (entendre : t’es pas invité, loser). Bref, une belle poubelle à égos. C’est sans doute par lassitude plus que par déviance technologique que le Quantified-self a gracieusement redonné du rythme à ces vieilles habitudes cyber-sociales presque lassantes.

Mais le Quantified-self, c’est quoi au fait?

Et bien c’est « un mouvement qui regroupe les outils, les principes et les méthodes permettant à chacun de mesurer ses données personnelles, de les analyser et de les partager ».

Félicitations, vous êtes maintenant apte à lire la suite de cet article. Si l’envie vous en prend, vous pouvez même déjà le partager avant de l’avoir fini, vos Friends et Followers n’y verront que du feu. Votre prestige en sera grandi et vous aurez de quoi remballer ce type qui fait savoir à tout le monde qu’il est en vacances.

Après avoir enfoncé cette jolie porte ouverte, développons un peu la pseudo-critique du social Network : mon constat est que nous avons globalement manqué la magnifique opportunité de concurrencer nos intellects sur les réseaux sociaux. C’est sans doute la raison pour laquelle nous nous apprêtons à y comparer nos performances physiques.

La société qui note tout :

Soyons logiques : comment peut-on en vouloir à Moody’s de noter la solvabilité des Etats quand les ministères notent les profs, les citoyens notent les politiques, les sans-dents notent les héros de télé-réalité, les ados notent et likent leurs friends, les runners notent leurs foulées et votre bracelet connecté note vos performances dans ce « challenge quotidien » qui s’appelait autrefois monter les escaliers. Le souci majeur étant de mettre sur une même échelle de valeur ces différentes notations et de constater la désaffection à l’égard de celles qui devraient vraiment compter (il paraît qu’on ne vote plus… tiens?). Saupoudrons maintenant ces propos d’adolescent révolté d’une poignée de petits exemples appropriés :

Notez vos performances sexuelles (n’ayons pas peur des mots)

Cette Punchline saura retenir ceux d’entre vous qui s’intéressent le plus à l’évolution de nos mœurs. Et nos mœurs, elles se connectent. Je parle ici de SexFit, ce charmant petit anneau qui ne se met pas autour du doigt. Concrètement, « SexFit analyse diverses données révélatrices de vos performances sexuelles, comme les différents mouvements ou encore la durée de l’acte ».

Comme le ludique n’est jamais loin du plaisir, on suppose que ces performances sont partageables sur les réseaux sociaux. Justice est faite à ceux qui, à défaut de pouvoir comparer la taille de leur membre, pourront dorénavant comparer leurs courbes et leurs graphes  (d’amélioration, de rendement, et pourquoi pas même : de popularité).

SexFit, un anneau pour les gouverner tous

SexFit, un anneau pour les gouverner toutes

Exit l’image vacharde du gentleman déclarant « alors, heureuse? » la clope au bec… Votre Smartphone devient le seul et unique juge de vos performances. Ça tombe bien, il est juste à côté du lit.

Si certains d’entre nous verseront quelques larmes devant ce qui semble être la fin d’une tradition millénaire, on peut se rassurer en imaginant que bientôt les spams qui essaient de vous vendre du viagra sauront peut-être mieux cibler leurs véritables clients potentiels.

Pilotez vos déplacements

Rien de nouveau ici, si ce n’est l’aspect volontaire de la démarche. Foursquare puis Swarm on démocratisé le « Check-in » soit la capacité à s’identifier seul ou à plusieurs dans un lieu en direct, d’y agréger du contenu écrit, photo ou vidéo, un avis, etc. Facebook, Twitter, Yelp et les autres habitants de votre smartphone ont suivi le mouvement, ou l’ont en fait rendu lisible et contrôlable.

En effet « Google sait où vous étiez hier » et ça peut faire peur. La stratégie a donc été de lâcher totalement la bride de la géolocalisation volontaire. Il est désormais admis qu’on sache où vous êtes, a fortiori quand c’est vous qui l’indiquez (dans la directe lignée du « Like », la géolocalisation est un pas de plus vers le self accomplishment, puisque qu’on gagne toujours à dire qu’on bouge beaucoup dans des endroits sympas).

Je mentionnerai ici Jeremy Rifkin qui déclarait très justement dans Une nouvelle conscience pour un monde en crise, civilisation de l’empathie (2012) :

 

Jeremy Rifkin

Jeremy Rifkin

Si Internet est un instrument de partage et de coopération, il sert aussi de forum à un exhibitionnisme et à un narcissisme sans limite. Le même support qui permet de montrer son vrai moi à d’autres et de nourrir des relations plus consistantes ainsi qu’un intimité partagée peut mettre chaque habitant de la terre sur le devant de la scène face au plus grand public jamais réuni dans l’histoire. Pour qui est prédisposé au narcissisme, cette occasion de s’exhiber est une tentation aussi irrésistible que pour les voyeurs celle de regarder. Dans un monde économique qui exploite (…) les tendances narcissiques et voyeuristes, Internet devient un support commercial hors pair pour marchandiser tous les aspects et toutes les scènes de la vie.

J’accorde un « Like » tout particulier à cette dernière partie « toutes les scènes de la vie », puisqu’il s’agit bien de théâtre et d’une représentation permanente.

Essayez de ne pas mourir sur scène.

Monitorez vos repas

A ce stade, nous nous reproduisons et nous nous déplaçons, mais que fait-on d’autre de manière récurrente? Et bien on mange. Un Twittos m’a récemment fait découvrir cette perle culinaire : la « Smartbaguette». Je ne parle pas de baguette de pain, mais bien de baguettes chinoises, oui oui. Pour ainsi dire « Ces baguettes d’apparence normales sont en fait truffées de capteurs qui analysent en temps réel la composition et la température des huiles, et c’est sur un smartphone que s’affichent toutes les informations nécessaires ».

Depuis Morticia Addams, personne n’avait jamais envisagé la nourriture comme un jeu de table :

"Joue avec ta nourriture Mercredi"

« Joue avec ta nourriture Mercredi »

On entendra sans ambiguité l’argument sous-jacent : celui de la santé. Je vous encouragerai cependant à relire ce dernier article pulié sur maisouvaleweb.fr relatant la conférence d’Evgeny Morozov qui déclairait la chose suivante :

« On ne cherche  pas à comprendre les raisons sociales sous-jacentes aux problèmes des individus, on se contente de se focaliser sur le traitement de leurs symptômes ».

A ce titre, les baguettes connectées sont peut-être la raison pour laquelle on ne se demande plus pourquoi on mange mal.

Louis de France

Ce cher Louis

« Eviter l’empoisonnement » est un argument qui justifie également assez bien l’existence d’un tel concept. On rentrerait alors dans un public cible tout à fait différent et qui me conduit à cette question toute personnelle : que serait notre pays si Louis de France, Fils aîné de Philippe III et d’Isabelle d’Aragon, et donc futur roi avait pu avoir accès aux baguettes connectées?

Et bien rien n’aurait changé, puisque le poison qui l’a tué était dans un verre d’eau…

Analysez vos performances sportives

Marcher, se reproduire, se déplacer, se nourrir. Il ne manque pas grand chose pour faire le tour des activité humaines. Mais quand on y pense, nous n’avons pas encore vraiment grimpé toute la pyramide de Maslow, manque le jeu. Platon disait : « On peut en savoir plus sur quelqu’un en une heure de jeu qu’en une année de conversation ».

Platon aurait sans doute apprécié l’application développée par InfoMotion Sports Technologies. L’entreprise a inventé le ballon de Basket Ball connecté et capable de mesurer la performance des joueurs. L’objet communique en BlueTooth des données précieuses sur l’état du jeu : nombre de rebonds, vitesse de rotation, etc.

Platon n'a jamais joué au Basketball

Platon n’a jamais joué au Basketball

Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site du constructeur, qui a su saisir au vol une belle opportunité, espérons qu’il sache rebondir avec des produits encore plus innovants.

Il se reposa, le septième jour, de toute l’œuvre qu’il avait faite

Dormir. Voilà peut-être le chaînon manquant de notre histoire. Vous trouverez dans cet article une liste non exhaustive des appareils destinés à monitorer votre sommeil. Sous des formes diverses (bracelets, objets de chevet, applications mobiles, « sleep trackers » sous votre lit, etc) nous avons inventé des tas de petits compagnons qui récupèrent un maximum d’informations sur la qualité de votre sommeil.

L’objectif assigné : vous aider à mieux dormir. Je réitère ici avec le critique de Morozov sur les causes et les effets du solutionnisme technologique : à l’heure où nous tentons par la technologie de regagner du qualitatif, la vraie problématique reste probablement que nous avons perdu 1h30 de sommeil lors de ces 50 dernières années. Les principales causes connues : le stress et les écrans. Tout ceci est ma foi bien paradoxal.

Le manque de sommeil a des conséquences dévastatrices sur notre santé (hypertension, accidents cardio-vasculaires) et offre donc une myriade de débouchées à des tas d’autres capteurs installés sur notre corps.

La boucle est bouclée.

Le cercle visqueux du Quantify-self

Le cercle visqueux du Quantified-self

Moralité : notez-vous si ça vous chante, mais sachez mesure garder avec le Quantified-self.

PS : un GRAND merci à http://www.motismo.net/ qui a largement contribué à l’idée de cet article.

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Benjamin Hannache
Benjamin Hannache
10 années il y a

Bel Article !

Soif de chiffres, mais pourquoi ? On ne sait plus, pas le temps d y penser. Combler le vide peut etre. (Accord de Cabrel). Les robots en feront bien quelque chose, ou des sociologues extra terrestres, qui sait…

Motismo
10 années il y a

Concis, documenté et plein d’humour, encore un article bien comme il faut ! Ca fait réfléchir à ce que représente la technologie, quelle place elle occupe dans nos vie. Du moins ce que nous choisissons d’en faire, individuellement et collectivement.

Pour enrichir notre collection de bidules inutiles et donc rigoureusement indispensables, voilà une vraie mine d’or !
http://www.creapills.com/category/technologie

Saint Epondyle
9 années il y a

Je t’accorde un +1 pour cet article, bien écrit et drôle. Sans repartir sur toutes les problématiques du digital (genre la pub ciblée, nerf de la guerre) tu montres que tu t’approprie de plus en plus le domaine.
Et tant pis si l’article à presque un an, rien à battre je suis un anarchiste !

Merci pour ça, je te citerai dans mon mien que j’écris actuellement sur le sujet.

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[…] qui annonçait déjà ce qu’on voit apparaître aujourd’hui comme étant le « quantified-self », c’est à dire l’auto-mesure. Combien de pas avez vous faits aujourd’hui ? De marches […]