C’est bientôt noël et Bouygues a encore sévi. Les mots d’ordre publicitaires : liberté, évasion, jeunesse. Les couleurs, bleu, rose, ambiance coucher de soleil. La refonte de la charte est ce crépuscule discret qui précède la nouvelle ère : celle de la technologie libératrice, lisse et feutrée. Avec les fêtes qui arrivent, la marque pousse même le bouchon jusqu’à nous proposer de « redevenir des enfants face à la technologie ». Une bonne idée ?
Petit aperçu de la campagne de noël (vidéo 2015, mais c’est sensiblement
la même chose, je vous mets la 2016 dès que je la trouve)
« DEVANT LA TECHNOLOGIE, ON REDEVIENT TOUS DES ENFANTS »
Alors je vous vois déjà venir me houspiller que critiquer une publicité, c’est has-been (et puis ça commence à suffire, ça fait 2 fois ce mois-ci). Que la pub nous demande de céder à nos pulsions, voire à nos bas instincts, c’est là un rôle qu’elle assume sans sourciller et qui ne semble plus choquer personne. Qui plus est, ce spot est relativement innocent, plutôt sympathique même, voire émouvant (si, si). Entre le sexisme non dissimulé des vendeurs de viande de bijoux et les éternelles injonctions à faire renifler son linge par des archétypes de jolies mamans toujours de bonne humeur, on a connu bien pire.
Mais voyez-vous, mon domaine, c’est la technologie. La technique même. Et si je peux comprendre que noël arrive et réveille les sales gamins qui sommeillent en nous, il s’agirait de ne pas se méprendre : la technique est justement ce qui nous sort de l’enfance. Ce qui nous fait devenir sapiens : sortir de l’adolescence de l’évolution. Et face à la technologie nous devons plus que jamais être des adultes.
Du besoin d’être materné par la technologie
Attention, j’ai bien compris qu’il s’agissait là d’une basse manœuvre marketing pour nous vendre des box et des iPhones (d’ailleurs franchement, je comprends qu’on puisse commander un iPhone au père Noël, mais alors une box internet, il faut vraiment être tordu). Mais bref, venons-en au fait.
L’essentiel de notre servitude à la technologie tient aujourd’hui beaucoup au fait que justement, nous aimons qu’on nous considère comme des enfants. Nous aimons ce pouvoir doux, ce regard bienveillant et ces conseils avisés que les solutions technologiques nous suggèrent en toute candeur. Nous aimons quand Netflix nous dit quoi regarder. Quand Google nous piste pour mieux nous aiguiller. Nous aimons qu’on nous facilite la vie, qu’on nous infantilise (ok, le lien n’est pas si évident mais bien souvent il l’est quand même).
Comme le dire Hubert Guillaud ici : “La gigantesque nounou machinique ne sauvera pas le monde. Nous ne pourrons pas demander à TaskRabbit de sauver le monde ou de réparer le changement climatique… Nous ne pourrons pas demander à Uber de nous conduire vers un monde meilleur.” Il serait temps de sortir de notre immaturité !
Vous me direz, il y a tout de même une différence notable entre un acteur des télécommunications et l’industrie du logiciel pilotée par la Silicon Valley. Je vous dirai que oui, et je vous dirai aussi que s’il y a bien un élément de différenciation que doivent apporter les opérateurs, c’est justement de ne pas céder au technoprophétisme ambiant.
Dans son récent ouvrage La nouvelle servitude volontaire, enquête sur le projet politique de la Silicon Valley, l’essayiste Philippe Vion Dury (entretien à venir très bientôt ici-même), met ce phénomène sur le compte de la maternalisation du pouvoir. Attention, maternalisation n’est pas féminisation (en tout cas pas de mon point de vue).
Un tel pouvoir ne force plus comme le ferait un big brother ou une autre émanation d’un délire totalitaire. Non, le pouvoir tutélaire de « Big Mother » est diffus, il nous maintient dans un cocon amniotique technologique. Il propose, il suggère plus qu’il impose (et si vous regardiez cette série ? Pourquoi n’iriez vous pas courir ? Laissez-vous tenter par cette chemise à carreau !). Il laisse les autres options ouvertes bien sûr, il n’interdit pas d’arpenter d’autres chemins. Il est toujours possible de ne pas suivre ses recommandations, au risque de devenir hors-norme, de sortir du cadre social, d’avoir honte. Quand on lui désobéit, le pouvoir de Big Mother culpabilise plus qu’il réprimande.
Sois libre
Finalement, le mot d’ordre publicitaire, ici comme bien souvent est « fais ce que tu veux », « sois-libre ». On le retrouve partout, cosmétique, alimentaire, textile, c’est le fameux « be yourself » ou « be different ». Cette exhortation à être soi-même est surtout une sommation à adopter des attitudes totalement panurgiques, à faire comme tout le monde. Certes, pas grand-chose d’extraordinaire ici, la critique est consommée, asséchée même. La pub conditionne, formate, on le sait.
Mais lorsque l’on parle de technologie et d’internet, les choses sont tout de même un peu différentes. L’accès au réseau avec un smartphone a un peu plus d’impact sur le psychisme des individus que l’achat d’une simple paire de chaussure (tant qu’elle n’est pas connectées j’entends).
Et le pouvoir dont nous parlions tout à l’heure est intrusif mais paradoxal. Il nous fouille, viole notre intimité mais nous demande une adhésion pleine et entière, « il commande et demande de sourire en même temps » nous dit Philippe Vion-Dury. Il ordonne de se réjouir. Si l’on poussait la logique jusqu’au bout, on en viendrait presque à hurler qu’on aime Big Mother ! Qu’on aime la technologie !
Oh tiens !
Bonjour,
Article intéressant dans cette blogosphère connectée.
Finalement c’est drôle Car on veut se sentir libre, libérée et nous sommes accros aux technologies et tous connectés les uns aux autres à internet. Je ne parle même pas des hacking possible des objets connectés qui fragilise notre intimité
Encore une fois il faut jouer le juste milieu 🙂
Bonjour Jennifer et merci pour votre retour. Oui, libres puis accrocs, victimes consentantes peut-être ! C’est là toute l’ambivalence de la technologie et comme vous dites, il faut trouver les bons équilibres, ce qui commence par être bien conscient de ce qui est à l’oeuvre.
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