Pourquoi je suis encore Anti livre électronique (pour au moins 6 mois)
Je me classe habituellement dans cette catégorie techno-sociale dont l’avance digitale n’a d’égale que l’irresponsabilité écologique. Mais là je bloque, sincèrement. Le papier moderne, je peux pas.
Les 5 sens du papier
Pas de scoop ici, j’aime le papier, son toucher, son odeur. La tranche du bouquin dans la bibliothèque. Quoiqu’on en dise, la technologie a cette formidable capacité à être si froide et si pure qu’elle en oublie d’être attachante. Elle n’a plus de valeur que comme objet temporaire. La conservation avait au moins un intérêt : elle cristallisait le savoir dans du dur (ou plutôt du souple, voire du « déchirable »). Un beau livre reste toujours beau. Or nous n’avons plus que du flux et des ondes.
Plus clairement, les NTIC, avec tous les gains qu’elles apportent, s’inscrivent et nous inscrivent dans un temps où le physique et le média sont superposés. Comme expliqué brillamment dans cet article, nous avons « gagné » du temps et rempli « les espaces inutiles, interstitiels (…), les trajets physiques durant lesquels on est bloqué à ne rien faire » . Une simple prise de note sur une liseuse indexe un passage dans une base de donnée qui nous permettra d’y revenir en moins de temps qu’il ne faut pour le lire. Awesome.
Quand nous feuilletions hier, nous avons aujourd’hui adopté une approche verticale de l’accès au savoir qui contraste fortement avec l’approche réseau de l’ère digitale et laissant finalement peu de place au hasard. Notre cerveau fonctionne en base de données pratico-pratiques : qui s’attarde encore à fouiller, quand on peut trouver?
Moralité : Je ne veux pas toujours savoir où je vais, et la technologie n’aime pas ça, elle est utilitariste.
Les liseuses ne vieillissent pas
On ne veut pas voir la technologie vieillir. Sous couvert de la loi de Moore, nous remplaçons sans limite nos appareils dont l’avancement finira par… nous dépasser. Nous ne voulons surtout pas voir dans nos appareils notre propre finitude car contrairement à nous, eux, avanceront toujours.
Les écrits, les manuscrits, marquent le futur de leur passé jauni, corné et poussiéreux (je n’ai pas peur de l’emphase, vous voyez). Ils vieillissaient et leurs polices traduisaient l’état du monde à ce moment, imprécis et salissant. Formidable créneau pour les papetiers créatifs, les carnets et autres calepins deviennent des objets de luxe, en témoigne le Marketing d’Evernote sur la symbiose retro / moderne qu’on peut trouver dans leur partenariat avec Moleskine ou encore Post-it. Un accord parfait, ou plutôt une transition pour les râleurs de ce monde qui va trop vite (vindiou!)
Mais un bouquin n’est pas un post-it. Et des bibliothèques d’un autre genre commencent à fleurir dans les bas fonds numériques ou « e-limbes »
L’espace inutile, celui du dehors, de la culture libre.
Moins de temps, moins d’espace. Ce post est décidément super négatif. Pendant pas mal de temps mon appartement parisien avait à peu près autant de mètre carré que mon arrondissement. Autant dire que pas de place pour une bibliothèque digne de ce nom, et c’est peut être ça le problème : arranger son propre espace culturel (et je parle de bande-dessinées, histoire d’éviter le procès pour boboisme aggravé). Les liseuses arrivent à un moment où le mètre carré se paie cher. On est super content de pouvoir enfin balancer tous ces livres qui « prennent de la place » pour les condenser dans un bout de plastique. Et puis c’est pratique dans les transports. La boucle est bouclée.
Ce qui m’amène à cette question métaphysique : « réduit-on tout parce que tout se réduit? »
Si c’est le cas on marche sur la tête, et c’est peut-être le seul argument valable de ce post : le nombre de livres par foyer est directement concurrencé par le nombre d’appareils électroniques par foyer. Et si je comprends très bien qu’on me dise que ces appareils sont la fenêtre vers truc ou machin, moi je réponds que le media n’est pas neutre et que je veux pouvoir disposer d’un espace inutile, non optimisé, un espace qui prend de la place. Mais j’ai plus de place. Va comprendre.
Voilà, ça sera tout pour aujourd’hui, je déménage bientôt et j’ai des cartons à faire. Je crois qu’au passage je vais balancer un certain nombre de bouquins qui prennent de la place et acheter un Kindle sinon je ne saurai jamais ou mettre ce foutu canapé.
« Je me classe habituellement dans cette catégorie techno-sociale dont l’avance digitale n’a d’égale que l’irresponsabilité écologique. »
J’ai comme un doute…
Pourrais-nous faire la liste de tes derniers smartphones ?
Totalement en phase avec cet article : bien qu’irresponsable écologiquement parce que sur-technologisé moi aussi avec 2 smartphones, 2 laptops, 1 desktop et 1 tablette (allez, on ne va pas compter les systèmes de back-up ou l’Apple TV, hein ?), si malgré cela je chéris tant ma bibliothèque bel et bien physique, c’est parce qu’elle offre 2 avantages indéniables : 1) cette base de données est visuellement accessible, me rappelle donc chaque jour ce que je sais ou ai oublié, et s’offre à la vue de mes invités, lesquels en engageant la conversation sur un titre ou un autre favorisent mon effort intellectuel, 2) comme tu le soulignes, le livre imprimé en masse est une technologie vieille de 1500 ans (si je ne compte bien sûr que pour l’Occident auquel j’appartiens) si bien que son obsolescence est parfaitement connue et qu’il constitue encore un rempart face à « l’amnésie intrinsèquement numérique » engendrée par les incompatibilités techniques, qu’elles soient liées au renouvellement de versions de logiciels qui pour « progresser » n’hésitent pas à se couper d’une compatibilité descendante, sans mentionner les incompatibilités par construction organisées par des vendeurs concurrents. Bref, une bibliothèque (et j’oserai dire aussi une cédéthèque, au risque de paraître vraiment réac) physique, avec des livres en papier, bourrés de marque-pages, cornes et soulignements au stylo, s’impose face à des enregistrements au sein d’une base de donnée dont la vie se limite à 3-5 ans, période ultime à laquelle en se soumettant aux sirènes marketing du nouveau device qui a une killer app supplémentaire nous force à renoncer à ce qui s’oppose _essentiellement_ au numérique : la mémoire, entendue au sens d’historicosation. Dit autrement, au _flux_ numérique, sur ce sujet d’importance, je continue moi aussi de préférer le _stock_ analogique ou du moins physique.