Le flyboard de la discorde, ou comment le french-bashing nous vole dans les plumes

< à chaud >

Revenons sur l’histoire du moment : celle de Franky Zapata, génial inventeur du « Flyboard », sorte de skate-board volant permettant à un homme de fendre les airs propulsé par deux puissants réacteurs aux pieds. L’objet, a de quoi séduire, les vidéos de l’ancien pilote professionnel de jet-ski ont été visionnées des millions de fois.

Seulement voilà, le jouet de notre aimable Zapata n’a pas plus aux gendarmes du coin qui lui ont interdit son utilisation. Face à cette injustice crasse, la webosphère s’insurge pour dénoncer cet ignoble outrage que les fonctionnaires font à l’esprit d’entreprise. Derrière cette polémique, le French-bashing est parti au quart de tour, les commentaires ont fusé pour dénoncer un pays qui « va dans le mur » alors qu’ « à l’étranger » c’est beaucoup mieux.

Puisque c’est comme ça je m’en vais

Tout a démarré d’un post Facebook du principal intéressé. Dans une tribune à ses followers, l’inventeur raconte comment le procureur menace de le « mettre en examen » sous l’odieux prétexte qu’il dérogerait à trois ridicules petites lois : « conduite d’un aéronef sans permis, aéronoef non homologué, survol d’une agglomération ». Pour Zapata, ces accusations sont absurdes puisque son engin étant nouveau, il n’est pas homologuable en l’état par cette administration totalement puérile. Par conséquent, l’inventeur menace de quitter le pays plutôt que de se voir réduit à voler « en cage dans une zone semi militaire ou bien sûr plus personne ne pourrait venir me voir ou me filmer ». 

Le traitement médiatique suite à cette déclaration est unanime : on empêche l’innovation, on bride la créativité, on refuse de créer des emplois. Franky Zapata déclare être en contact avec « des centaines d’entreprises » mais regrette de – peut-être – devoir quitter la France car il n’y a pas sa place. L’histoire ne dit pas s’il emmène ses salariés, leurs femmes et enfants (il faudra aussi leur trouver des logements), du coup on se doute que LCI va en un peu vite en besogne en expliquant que Zapata est « contraint de quitter la France », comme si on l’avait jeté dehors. 

Les autres titres dans la presse donnent le ton, on focalise l’attention sur les mauvais gendarmes, coupables sans doute, de faire leur boulot (ces mêmes gendarmes qu’on embrassait il y a 18 mois et dont on peut comprendre qu’il n’aient pas été à l’aise en apercevant la torche volante…) :

Le chantage à l’innovation

Prenons un peu de hauteur, ne cédons pas à l’émotion du moment l’analyse pragmatique du cas Zapata. Oui, nous vivons dans un pays avec des lois, quiconque ne peut profiter impunément de l’espace aérien sans les respecter. Ne soyons pas aussi naïf que Zapata prétend l’être, il y a fort à parier qu’il ait été très au courant des réglementations en la matière (l’homme rassemble tout de même une PME de 17 personnes autour de l’engin).

Qui plus est, voler sur un Flyboard ne revient pas à faire une simple ballade en roller. On peut comprendre que le voisinage et les forces de l’ordre se soient étonnés de voir un type fuser à 145km/h à 30 mètres du sol sur deux allumettes alimentées au kérosène. C’est d’ailleurs l’Express qui relate le plus fidèlement ce qu’il en a été :

« Des gens se sont émus de survols au-dessus de ponts ou à proximité de zones habitées à Martigues, avec un engin qui propulse un jet d’air vers le bas, à quelques mètres du sol avec beaucoup de bruit », a-t-il ajouté. « Il s’agit d’une interdiction temporaire de voler », a précisé le vice-procureur. « Mais même en règle, on ne peut pas voler n’importe où, notamment à proximité de l’aéroport. » 

L’interdiction, temporaire donc, ne relève tout simplement que du droit. Sans nul doute, il en aurait été de même dans n’importe quel pays un peu civilisé, comme les Etats-Unis qui ont régulé l’usage des drones commerciaux et individuels (licence, âge du pilote, vitesse de vol). Etrangement, personne ne s’est offusqué sur ce coup-là.

En cela, le cas Flyboard est emblématique d’un sujet technologique plus vaste qui touche nos sociétés : l’innovation va plus vite que le droit. Le Flyboard à lui tout seul est devenu une « micro-disruption ». C’est à dire pour certains une façon de pointer du doigt l’Etat qui ne fait pas son boulot, pour d’autres, une occasion d’ajuster paisiblement les systèmes techniques aux systèmes sociaux, ce qui ne se fait pas toujours en claquant des doigts.

Une opportunité ratée pour la France ?

Alors, la France est-elle vraiment « un pays bidon », « un pays qui coule » comme on peut le lire dans les nombreux commentaires du post Facebook du génial inventeur ? Met-on réellement à mal « des années de recherche » d’une entreprise franco-française qui devrait faire honneur au pays ? 

Déjà, il conviendra de ne pas oublier que si Zapata déclare avoir été contacté par les services de l’armée américaine, il est probable qu’il en ait été de même avec leurs homologues français. Sinon, ça ne saurait tarder. Et d’ailleurs ouvrons les yeux, la « centaine d’entreprises » qui aurait contacté l’inventeur n’a sans doute pas prévu de faire du Flyboard la nouvelle voiture individuelle (en termes de rejet carbone, on fait mieux…). En réalité, hormis quelques riches énergumènes qui voudront pétarader ici ou là, les débouchées sont avant tout militaires. Chacun reste libre de se réjouir ou non de voir la France figurer en tête de classement des exportateurs d’armes, mais c’est une autre histoire.

Ce que cache cette histoire, c’est aussi une bonne dose de French bashing qui fait par exemple dire au site Hashtable que « La France continue sa lutte héroïque contre toute innovation », en comparant cette histoire à celle à celle de Heetch, société condamnée pour « transport illégal de passagers ». C’est une évidence bonne à rappeler mais les inventeurs et les entrepreneurs ne peuvent pas faire fi des impact que leurs business génèrent sur l’écosystème (écologique, socio-économique). Réguler ne veut pas dire empêcher, mais peut-être juste s’assurer que chacun ne puisse pas faire n’importe quoi en prétextant la loi du marché.

Et la suite ?

Franky Zapata a décidé de faire valoir haut et fort son avis : « Je vais essayer de contacter le maximum de télés et de radios pour informer les français. En pleine élection on verra bien si les medias nous suivrons ». On lui souhaite tout le bonheur du monde, et aussi à la France, car bien sûr, le sujet du moment dans notre pays, c’est de savoir si les skate-board peuvent voler.

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A lire aussi (et surtout), cet article qui apporte une série de faits bien moins amateurs que les miens. Dédicacé à Stéphane Soumier : http://www.drones.mq/exercice-de-fact-checking-a-propos-de-la-polemique-du-flyboard-air-de-franky-zapata/#_

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