« Je pense qu’il est important de reconnaître que vous ne pouvez pas avoir 100% de sécurité, avoir 100% de respect de la vie privée et zéro inconvénient. Il faut bien, en tant que société, faire des choix ».
B.Obama
Ainsi parlait Barack Obama, le médiatique et glamour président des Etats-Unis d’Amérique. Ce même Barack Obama qui, le 03 juillet 2013, demanda à certains pays européens dont la France, de forcer l’atterrissage de l’avion du président Bolivien Evo Morales en Autriche, car les rumeurs faisaient état d’un certain Edward Snowden présent à son bord.
Manque de chance, l’activiste en fuite n’était pas dans l’avion, et la France s’est récupéré une volée de bois vert bien méritée de la part du peuple Bolivien non content de rappeler quelques règles diplomatiques élémentaires au pays des droits de l’Homme.
Quand on parle de cyber-espionnage, de terrorisme et de libertés humaines, c’est plus souvent la raison d’Etat que la démocratie délibérative qui anime les débats. C’est dans cet esprit qu’Ignacio Ramonet, actuel directeur du Monde Diplomatique en Espagne, signe L’Empire de la surveillance, un essai documenté sur l’ampleur qu’ont pris les agences de renseignements ces dernières années, et l’impact de ces développements sur nos vies très concrètes de citoyens et d’internautes.
Un nouvel Empire de la surveillance
Si l’ère numérique est une révolution, les sociétés d’hyper-contrôle sont son corollaire. Ignacio Ramonet a à coeur de montrer que l’érosion de nos droits n’est pas une chimère sortie de l’esprit d’un mauvais gourou, mais bien une réalité. Depuis le 11 septembre 2001 et l’avènement du Patriot Act, la surveillance est hors du contrôle des juges, et les abus sont nombreux, comme on peut le voir dans le documentaire Les nouveaux loups du web.
L’essor du terrorisme et du cyber-terrorisme fait monter en puissance la peur du fameux « loup solitaire », individu imprévisible et potentiellement dangereux pour la nation. C’est dans ce climat de frayeur qu’ont été perfectionnés les nombreux systèmes de surveillance internationaux. Les plus connus comme la NSA, aux Etats-Unis, mais aussi en France avec la Plateforme nationale de cryptanalyse et de décryptement (PNCD), un « big brother » bien de chez nous capable de conserver jusqu’à cinq années de données récoltées sur vos services préférés (WhatsApp, Facebook, Skype…).
L’Empire de la surveillance trace une liste impressionnante des programmes d’espionnage (Echelon, Total information awareness, TIPS, etc.) dont certains ont été jeté aux oubliettes, d’autres récupérés in extremis ou transformés en projets moins totalitaires mais tout de même très obscurs…
La dissidence, ce caillou dans la chaussure de l’Oncle Sam
Ignacio Ramonet traite également la question épineuse des lanceurs d’alerte. Il rappelle la stupéfaction du monde de l’espionnage lorsque le 07 juin 2013, Edward Snowden, assistant technique à la NSA, dévoile les pratiques à l’oeuvre dans son pays. De la même manière, on y retrouve l’histoire de Julian Assange (Wikileaks), poursuivi par les Etats-Unis pour haute trahison et récemment déchargé de toute culpabilité par l’ONU (sur certains chefs d’accusation dont il est la cible).
On regrettera cependant le peu de retours concernant le statut juridique desdits lanceurs d’alerte, dont les rôles au sein de nos sociétés commencent à être pris en compte dans des sphères insoupçonnées (puisqu’il s’agit de l’Etat). A ce titre, la récente loi sur le numérique est censée « sécuriser les lanceurs d’alerte », reste à savoir dans quelle mesure, et si les cas précédemment cités feront jurisprudence, en France et ailleurs. Après tout, leurs seuls crimes auront été de prévenir les citoyens que des yeux sont braqués sur eux, à chaque instant.
Lorsque les gens disent « je n’ai rien à cacher », ils disent en fait « je me moque de mes droits ». […] Si vous cessez de défendre vos droits en disant : « je n’ai pas besoin de mes droits dans ce contexte », ce ne sont plus des droits. […] Vous les avez convertis en quelque chose dont vous jouissez comme d’un privilège révocable par le gouvernement […]. Et cela réduit l’étendue de la liberté au sein d’une société.
Edward Snowden
Mais alors, pourquoi sommes-nous schizophrènes ?
C’est un fait, la prise de conscience relative à l’espionnage industrialisé est là, et pourtant, une majorité de français peine à considérer la « dataveillance » comme un problème de société. Ce n’est pas faute de ressasser que quand on promeut la démocratie, il s’agit d’abord de s’y tenir solidement accroché. Rien à faire, la peur ouvre toutes les portes du désespoir. Ainsi, comme le déplore Laurent Chemla : « Pour garantir les libertés, il faudrait commencer par les limiter ».
Cette schizophrénie du citoyen prêt à renoncer à ses libertés, c’est le combat d’Ignacio Ramonet dans L’Empire de la surveillance. L’ouvrage est agrémenté des interviews de Julian Assange et de Noam Chomsky (professeur émérite de linguistique au MIT, et activiste de renommée mondiale) qui l’un et l’autre montrent de quoi est fait le système actuel ; un triptyque alliant Etat, appareil militaire et firmes multinationales oeuvrant dans le cyberespace.
« Le processus de fusion intégrale actuellement à l’oeuvre entre la société, l’Etat, les groupes commerciaux et la technologie est (…) tout à fait inédit. »
A l’instar de l’intellectuel biélorusse Evgeny Morozov dans son dernier ouvrage Le mirage numérique, Ignacio Ramonet explique que les données que nous auto-produisons via les services des firmes de la Silicon Valley qui les monétisent travaillent main dans la main avec les agences de renseignement américaines. Espionnage et marketing se partagent les mêmes recettes pour constituer la devise de ce début de siècle : surveiller, protéger, vendre.
Pourquoi faut-il lire l’Empire de la surveillance ?
Comme à son habitude, Ignacio Ramonet signe là un ouvrage clair et documenté. Si le livre est court, il n’en est pas moins percutant et suffisamment bien argumenté pour ne pas tomber dans les contre-productives théories du complot.
Si vous êtes soucieux de vous informer plus avant sur l’utilisation de vos données, et curieux de comprendre les nouvelles hybridations entre pouvoir politique et puissances commerciales, alors ce livre est pour vous.
A la manière des lanceurs d’alerte, L’Empire de la surveillance est peut-être une de ces nécessaires alarmes qui rappellent que nos sociétés de l’hyper-controle sont symptomatiques de la totale perte de contrôle sur tout dont elles souffrent.
Pour lire L’Empire de la surveillance, rendez-vous chez votre libraire, ou chez Leslibraires.fr à cette adresse : L’empire de la surveillance, Ignacio Ramonet, Galilée, 2015.
Image en tête d’article : Dali, L’oeil (1945), huile sur toile, 53×84
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[…] pas, bien sûr, qu’il faut aller perdre son temps sur Facebook. Il évoque souvent les problématiques attentionnelles soulevées par le réseau avec un regard critique. Il alerte en revanche, sur les changements […]
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