La nouvelle pierre philosophale des décideurs, chefs d’équipes et autres leaders de l’ancien monde Taylorien est probablement la recherche d’un nouveau mode de gouvernance plus efficace, plus libre, plus démocratique. Issu de la génération internet, l’holacratie, concept encore flou, pourrait amener promesses et solutions en résolvant une partie des freins inhérents à toute organisation complexe.
La question Holacratique était abordée ce 11 Novembre à l’EDHEC, dans le cadre d’une conférence organisée par le G9+. Une brochette d’intervenants, chefs d’entreprises, experts du marketing et du conseil a pu partager son expérience sur ce sujet précurseur.
Alors, l’Holacratie est-elle un concept fumeux issu d’une mode transitoire ou bien une véritable révolution dans les modes d’organisation ? L’holacratie va-t-elle renverser le modèle hiérarchique traditionnel ?
Les intervenants :
Gabriel Dabi-Schwebel, spécialiste français de l’Inbound Marketing
Geoffrey Lavielle, Directeur du Développement de l’Offre Groupe de Kingfisher.
Bernard Marie Chiquet, Fondateur d’iGi Partners
Philippe Pinault, Fondateur & CEO de Talkspirit, entreprise 100% holacratique
Holacratie, définition :
Holacratie, nous avons bien dit holacratie. J’ai dû écorcher le vocable en Halocratie, phallocratie, Allôcratie (nan mais, quoi…), hellocratie, etc. Si le terme est originellement un détournement de l’holarchie inventée par Arthur Koestler en 1967, il est ensuite repris par Brian Robertson (Ternary Software) qui rédigea en 2007 la « Holacracy constitution » afin d’en définir les principes :
« Un mode de gouvernance plus plat, visant à répartir les tâches en disséminant les mécanismes de prise de décision au travers d’une organisation fractale d’équipes auto organisées. »
En effet, l’holacratie met l’accent sur la gouvernance itérative et les processus adaptatifs. En somme il s’agit de susciter plus de motivation chez les salariés en formant des « cercles » de travail conciliant passion et compétence. Chaque cercle est autonome et chacun de ses membres peut exister dans plusieurs cercles. Une analogie me vient : l’holacratie doit ressembler au réseau social de Google : Google +. Chaque individu est ainsi supposément plus autonome et plus conscient des tâches qui lui incombent. Des rôles définis très précisément et de façon pragmatique sont attribués à chaque acteur qui peut démissionner d’une de ses tâches et postuler à une autre. Conséquemment, le rôle du « chef » est amoindri, puisque certaines de ses tâches lui sont retirées.
Comment mettre en place un système Holacratique ?
En voilà une question difficile qui aura fait son chemin lors de cette rencontre. L’objectif holacratique est de concentrer l’action sur la raison d’être de l’organisation. Bernard Marie Chiquet précisant l’historique de la démarche déclare « there should be a better way to organize ». Selon lui, il faudrait commencer par une phase pilote sur une fraction d’une entreprise, suivre un certain nombre d’étapes (répertorier les tâches des uns et des autres, mettre en place des outils de coordination) et… apprendre en marchant.
Philippe Pinault, CEO de Talkspirit précise quant à lui avoir suivi la formation à l’holacratie puis mis en place le système dans son entreprise. Plus de 80 tâches ont été définies et mieux réparties dans son organisation. Ainsi son rôle de « CEO » n’est plus qu’une couverture externe à destination des publics non encore initiés à la méthodologie holacratique. D’une certaine manière, il n’y a plus vraiment de chef.
Selon lui, le plus dur est de changer d’état d’esprit et de commencer à travailler en étant plus à l’écoute. Pourquoi ? Pour répondre aux défis des entreprises du XXIème siècle avec une règle d’or « s’adapter ou mourir ». L’holacratie est un système plus fluide et plus agile qui doit permettre de revoir 3 choses :
– Les processus internes
– L’interaction avec le marché
– Les modèles économiques
Vers une clarification des rôles de chacun
A en croire Gabriel Dabi-Schwebel (agence web 1m30), le système holacratique a un intérêt quand il s’agit de responsabiliser les collaborateurs et éviter les allers retours inutiles avec la hiérarchie. Dans le domaine du rédactionnel web, les espaces publicitaires sont chers et chaque entreprise doit devenir son propre média afin de générer et conserver des carrefours d’audience. Ces nouveaux modes de communication permanents nécessitent de produire quotidiennement du contenu écrit afin de conserver une place dans le « bruit » publicitaire. Cette nouvelle permanence et sa vitesse d’exécution excluent de fait le recours à des comités et à une organisation hiérarchique fixe. Chaque producteur de contenu doit ainsi être responsable de ses réalisations, quitte à accepter d’en corriger les imperfections a posteriori.
Pour Geoffroy Lavielle, c’est surtout une manière de rappeler qu’un manager ne sait pas tout et est souvent et malheureusement responsables de tâches qu’il maîtrise mal. L’holacratie clarifie les rôles de chacun et aborde ainsi l’action sous le prisme des compétences.
« On sait qui fait quoi, on ne va plus aux interminables réunions où on ne dit rien juste pour être là au cas où quelque chose m’intéresserait ».
C’est déjà un peu plus clair, l’holacratie serait une réponse à la réunionite et un baume sur la frustration générée par les lenteurs qui viennent de nulle part et qui ne s’expliquent pas vraiment. Geoffroy Lavielle précisera que la fin des réunions inutiles amène des gains de productivité, même si leurs calculs sont encore flous.
En somme, le système holacratique est à relativiser dans le sens où il n’amène pas une révolution dans les modes de travail, c’est avant tout une nouvelle manière d’aborder les tâches et l’équipe. Philippe Pinault précisera :
« Les gens ont un job à faire, en holacratie ou pas. Mais la façon dont ils vont travailler ensemble change. L’initialisation part du réel et va vers un nouveau système censé résoudre les anciens freins. »
Vers la fin des petits chefs, vraiment ?
Une structure pyramidale plus plate, une organisation plus fluide, que demander de plus ? Si l’holacratie promet beaucoup, elle souffre cependant de son jeune âge et d’un manque de résultats concrets. Les nombreuses questions du public ayant abordé ces problématiques se sont souvent retrouvées sans réponses :
En effet, quel impact sur la dimension sociale dans l’entreprise ? Les modes de production et la place du travail amène souvent au burnout, or l’holacratie est « un miroir impitoyable pour voir qui fait et qui ne fait pas ».
Quel avenir pour le droit, devra-t-il évoluer et dans quelle mesure ? Va-t-on vers une meilleure qualité de vie au travail ? L’holacratie a semblé séduire des syndicats qui fantasmaient la fin des « petits chefs », certainement pour le meilleur mais la fin des chefs implique-t-elle que chacun devienne son propre chef dans un monde plus instable ?
Par ailleurs, l’holacratie ne s’intéresse pas à l’évolution des salaires et des positions sociales dans l’entreprise. Chaque mode d’organisation draine un certain nombre d’externalités parfois négatives. A titre d’exemple, si le toyotisme a semblé apporter plus d’efficacité dans les modes de production, son impact sur le travail salarié a été désastreux (réduction des tâches et des déplacements, problèmes de stress au travail, chronométrage permanent, traumatismes osseux et musculaires…). Du reste, n’y a-t-il pas une contradiction entre un système participatif ouvert, et le besoin pour le mettre en place de faire appel à des coachs certifiés aux méthodes un peu occultes?
Quoiqu’il en soit, on ne vendra pas la peau de l’ours car si le système doit encore faire ses preuves, il semble être approché avec philosophie et prudence par des acteurs concernés par l’évolution de leurs organisations respectives. Il faudra sans doute étendre l’holacratie à des secteurs d’activité multiples pour en mesurer les conséquences à long terme.
Alors, en a-t-on terminé avec le pouvoir ? Le triptyque cher à Max Weber (domination traditionnelle, charismatique et légale-rationnelle) est-il à jeter aux oubliettes ? Nous savons que les vieux systèmes ont la vie dure et il faudra sans doute plus que quelques avis épars pour tuer le Taylorisme et remettre l’humain au centre des organisations.
On regrettera peut-être une approche trop peu centrée sur les sciences humaines lors cette rencontre dense où les questions fourmillaient. Sans doute un point à améliorer pour préparer une nouvelle réunion encore plus riche ! En attendant, si vous souhaitez en savoir plus n’hésitez pas à visiter http://labdsurlholacracy.com/, une approche graphique originale de l’holacratie.
Et vous, êtes-vous prêt à mettre de côté une partie de votre égo et à mettre en place ce nouveau mode de gouvernance dans votre organisation ? Prendrez-vous le risque d’être un précurseur holacratique?
Ça me fait quand même énormément penser au discours des années 1980 sur l’entreprise matricielle, la flexibilité, l’autonomie, etc. Qui a amené la réunionite, la perte de sens, et le suicide au travail. Qu’en penses-tu ?
Merci pour cette remarque, pas faux, à bien y regarder ça m’évoque aussi ça… A la différence près que l’holacratie se rapproche peut-être plus du « lean » et de l' »itératif » et permet de « choisir » ce qu’on fait, et de changer souvent… Pendant la séance, les intervenants justifiaient souvent son efficacité en parlant de l’expérience concrète qu’ils en avaient eu, mais il y a évidemment un vernis marketing dessus. Dès que je lis une nouvelle méthode je me fais cette réflexion (par exemple entre la Différenciation et et la méthodo Blue Ocean, on retrouve un peu la même chose).
Dans tous les cas l’holacratie est largement destinée à des business « technologiques » dans des petites structures où les différences son statuts son relativement faibles. Ca ne révolutionnera pas les chaînes de montage et les rapports de forces salariaux, évidemment.