Internet a-t-il sauvé l’information ? Si son architecture technique diverge radicalement de celles des médias traditionnels, il faut sans cesse revenir sur une controverse : le « village global » remplit-il ses promesses utopiques de dialogue et de démocratie, ou renforce-t-il l’aliénation de masse à coups de Displays pauvrement positionnés ? En une phrase: Internet va-t-il devenir une décharge publicitaire digitale, la nouvelle Télévision?
Quand je pense à tous ces experts techniques, ces cerveaux du référencement, ces Mozarts de la rédaction de contenu, ces cadors du Web-design… Des équipes entières, on monterait bien jusqu’à Bac+50 en cumulant leurs compétences, et pourtant. Pourtant les agences digitales, les pure-players, les grands et les petits groupes ne sont pas encore à même de nous sortir des publicité engageantes et non polluantes.
Un grand froid m’envahit, la lecture et l’accès à l’information sur Internet commence sérieusement à ressembler aux raisons pour lesquelles je tiens rarement plus de 15 minutes devant la majorité des programmes Télévisés.
A ce rythme, la question n’est pas de savoir si Internet va devenir aussi naze que la TV, mais quand.
Le grand Messie avait pourtant prévenu : « La qualité compte plus que la quantité ». Mais si Steve Jobs reste sans conteste l’inspiration des cadres dynamiques qui manquent un peu de personnalité et de sens critique, on s’aperçoit que même son objet technologique le plus pur est parasité par les bannières, le business des Ad-exchangers, la pub quoi.
Mais où va le Web, victime des attaques de la publicité comme tout internaute, s’est donc penché sur la question. Ma limite psychologique a d’ailleurs été dépassée cette année quand trop de pubs sans forme ni message commençaient à s’offrir le luxe de s’ouvrir au mauvais moment sur mon mobile.
En effet, quand le triptyque publicitaire « contenu-contenant-timing » est à côté de la plaque, il est capable de générer une frustration toute particulière qui fait tout bonnement détester l’annonceur coupable de gonfler chez sa victime une pulsion inconsciente proche de la haine. Pourquoi ne puis-je pas lire cet article tranquillement ? Pourquoi cette monstrueuse et racoleuse photo à caractère sexiste en bas de page ? Pourquoi cette vidéo me saute-elle au visage à grand renfort de bruits incontrôlables ? Pourquoi ces trois items précédents ralentissent-ils considérablement mon appareil en volant au passage une bonne quantité de ma bande passante achetée chez un opérateur ?
Les trois modèles de Andrew Feenberg
Très concrètement, la lecture devient de plus en plus difficile et la question du retour sur investissement de la pub en ligne se pose. Si on mesure sa performance au regard du nombre de pages cliquées sans prendre en compte la frustration ressentie par ceux qui n’ont pas cliqué, on risque de rater un bon morceau statistique.
En effet, selon une étude IFOP publiée en 2013, 2 français sur 3 pensent que la publicité en ligne est une mauvaise chose, 61% des français se déclarent stressés par des sollicitations incessantes et seulement 3% déclarent apprécier le format « pop up » qui dérange la navigation.
Andrew Feenberg explique que les évènements historiques plus que les capacités techniques expliquent nos choix technologiques (c’est pourquoi par exemple nous utilisons des réfrigérateur qui fonctionnent à l’électricité plutôt qu’au gaz). De la même manière, le Minitel utilisait un protocole capable de mesurer avec précision le temps passé par un utilisateur sur un service, le protocole internet n’est pas capable d’obtenir une mesure aussi fiable, d’où l’importance de la publicité en ligne.
Nombreux sont les chercheurs qui ont modélisé les futurs probables de la toile, voici la catégorisation de Feenberg qui nous aide à humer à quelle sauce on sera mangés :
1) Le modèle de l’information
« La connaissance remplace l’industrie en tant que source de richesse et de pouvoir ». Internet continuera probablement indéfiniment à servir ce rôle social mais il ne saurait prévaloir sur les autres scénarios à moyen terme. En effet, la communication interpersonnelle étant largement préférée (via l’usage du mail), il est difficile d’interpréter le web sous la seule bannière de l’information.
2) Le modèle de la consommation
« Les entreprises de divertissement et les fournisseurs de services sont pressés d’obtenir légalement le droit de transformer l’internet en une version améliorée de la Télévision ». Internet deviendrait alors une plateforme beaucoup moins désintéressée et se neutralité serait clairement remise en question.
3) Le modèle communautaire
« Communauté » est à comprendre ici comme une suite d’interactions sur le long terme autour de préoccupations et intérêts partagés. Poussé à son extrême, le modèle exige la neutralité du réseau et les applications commerciales ne pourraient pas imposer leurs exigences techniques. A titre d’exemple, les plateformes comme Facebook ont adapté leur modèle commercial au modèle communautaire, c’est la tendance.
C’est le second modèle qui m’inquiète, cela va sans dire. Cela étant dit, je vois arriver les aigles du marketing du contenu et de la publicité native rétorquer : « Nous avons la solution, elle passe par la publicité qui informe ». C’est là la complexité des imbrications des modèles, la publicité en ligne se construit aujourd’hui dans la confusion info-pub et le lecteur ne sait plus trop bien à qui il à affaire. Selon Tim Berners-Lee, humble inventeur de l’Internet, ces nouvelles façons de communiquer « non seulement polluent la vraie information mais en plus érodent la confiance du consommateur », il plaide ainsi pour que l’on trace des limites claires entre ce qui tient du commercial et ce qui tient du journalisme.
Les 3 modèles de Mais où va le Web
Après cette analyse anxiogène, travaillée et complète, je souhaiterais moi aussi catégoriser la publicité sur internet de façon scientifique (y’a pas de raisons). Suite à des centaines d’heures de navigation et d’études, j’en arrive à la conclusion qu’un triptyque sûrement issu d’une culture judéo-chrétienne axée sur la culpabilité revient sans cesse:
1) Devenez riche:
Apprenez à devenir trader, l’homme de l’ombre, le sombre « ennemi c’est la finance » qui regarde le monde avec dédain du haut de sa tour. A défaut de devenir ce héros-là, trouvez les recettes pour compléter votre salaire minable.
2) Devenez bonne:
C’est pourtant évident, si vous êtes trop bête pour devenir riche, essayez au moins de choper un milliardaire. Apprenez comment réussir un selfie par exemple. On notera le caractère sexiste du parti-pris féminin de cette dernière phrase. Assumé.
3) Devenez différent:
Ouais, la guerre froide est finie et les communistes ont perdu. Faites un effort, intégrez-vous dans le nouveau monde. Et arrêtez d’agiter bêtement ce drapeau alter-mondialiste, ça fait mauvais genre.
Voilà
Ce post constituera la première contribution de Mais où va le Web à l’année 2015, après un repos bien mérité. Il s’agit avant tout d’un mini coup de gueule tout personnel face aux techniciens du web qui doivent comprendre que les mêmes causes produiront toujours les mêmes effets. Je les encourage donc pour 2015, à défaut de construire un monde vraiment meilleur, à se concentrer sur quelques points clés:
- Tester vos formats et évitez la pub qui s’affiche tellement mal qu’elle fait mal.
- Travaillez un peu vos algorithmes et évitez la pub qui n’a rien, mais alors rien à voir avec le sujet.
- Par pitié, évitez au moins de laisser en ligne cette pub datant de 2010.
- Abandonnez l’idée du « bout de sein » ou « bout de fesse » en pied de page d’un article économique, cela pose des problèmes sociaux totalement injustifiés pour le coup.
- Sachez où est votre place sur cette planète, dans les vils bas-fonds commerciaux qui ne méritent pas qu’on justifient leur noble existence, vous êtes là jusqu’à ce qu’on trouve quelque chose de mieux.
Je partage ton avis sur la chiantise des pubs sur le web, mais contrairement à toi, je n’ai pas le sentiment que c’est là où il va, mais plutôt là d’où il vient. Il y a 10-15 ans, les sites étaient truffés de pub, et chaque fenêtre ouvrait son lot de popup. Les popups ont quasiment disparues, les rares fois où mon navigateur les bloque, ce ne sont pas de pubs.
Certains sites sont toujours pénibles, mais l’information est si ouverte sur le web qu’ils sont facilement remplacés par d’autres, sans publicité ou à la publicité moins envahissante.
Et puis maintenant, on sait que ces publicités ne sont pas efficaces…
Je ne crois pas qu’on aille vers un web sans pub, mais un web avec des pubs moins chiantes, c’est sûr. Certains sursauts de certains sites viennent de leur manque de moyens financiers, parce que c’est aussi le problème posé par le web : tout y est gratuit, il est difficile de rentabiliser un travail de journaliste, par exemple.
Bonjour Yoda et merci pour ton commentaire. J’ai en fait l’impression que le monde mobile passe par les étapes du monde fixe d’il y a 10 ans et que tu décris, les technos mobiles restent toujours un peu difficile à appréhender techniquement, vue leur récence (et donc leurs coûts, sans doute). Mais ça s’améliore.
Je ne pense pas non plus que nous allons vers la fin de la pub, mais plutôt vers sa fusion totale avec l’information (en somme : du product placement partout). La pub ne sera bientôt plus de la pub, et je crois qu’à ce niveau de confusion, je regretterai la bonne vieille pub. Je ferai peut-être un billet là-dessus.