« Nous sommes des trous Larry, des trous fourrés de courants d’air ! Nous avons cru que le contrat social provenait du lien entre les individus quand il provient au contraire de ce qui les empêche de communiquer. A Babel, les hommes n’ont pas été punis par Dieu, Larry ; ils ont été sauvés ! »
Dans moins de quinze heures, l’humanité entière sera privée d’internet. Paul, petit génie français expatrié en Silicon Valley, milliardaire aux success-stories reconnues a prévenu : « Je vais tout faire péter ». Avec sa compagne Julia, militante anti-tout, il a fomenté un plan machiavélien pour détruire méthodiquement et totalement la toile : l’opération Pandora. Pourquoi ? Pour en finir avec l’outil de malheur qu’est devenu le réseau des réseaux, véritable rampe de lancement pour les passions nihilistes : drogue, meurtres en ligne, cyber-criminalité, relations artificielles, et ce splendide abêtissement généralisé de la race humaine :
« Au commencement était le verbe ; à la fin, le smiley. »
Mais voilà, Paul se prend une balle et le grand plan de destruction d’internet tombe dans les mains de Robin, son acolyte de toujours : un développeur hors pair, un Dieu du code. L’histoire de Où la lumière s’effondre est une dialectique entre les deux hommes : l’idéaliste repenti de la Silicon Valley et l’ingénieur au passé trouble, architecte de leur succès. L’autre couple réflexif du roman, c’est évidemment la discussion sur le pouvoir d’internet, technologie ambivalente dont on ne saurait plus vraiment dire si elle avance avec ou contre les humains.
Où la lumière s’effondre, c’est aussi l’occasion pour Guillaume Sire, maître de conférence en sciences de l’information, d’approcher son sujet sous un autre angle que celui de la recherche. Connaisseur averti de la chose numérique, on pourrait penser que le chercheur exulte le refoulé en manigançant fictivement la fin d’internet, il avertit pourtant :
« Je n’essaye pas de détruire mon objet (de recherche), mais de l’abandonner à la littérature : fiction, rythme, impressions. La littérature finit toujours par dire la vérité. Je lui demande donc de la dire à propos de cet objet. »
Mais où est la vérité littéraire de l’objet internet ? Et que dire des autres objets qui véhiculent la sémantique du réseau ? Pour Paul, la vérité est dans l’anéantissement, pour Robin, la simplicité du réseau est mortelle : les produits Apple « abrutissent l’utilisateur », confesse-t-il. Ce que les deux hommes ont en commun, c’est cette profonde conviction qu’internet, « c’est le monde ». Un monde dépassé par sa propre création, réceptacle de l’hubris et de la surveillance généralisée qui pourrit la démocratie de l’intérieur. A cet effet, on ne s’étonnera pas de croiser Edward Snowden et Julian Assange dans le combat de Paul, ni de voir Marissa Mayer (Ex patronne de Yahoo) et Larry Page (Google) sur le banc des accusés.
Tout comme la série Mr Robot dans laquelle un hacker psychotique s’en prend au web, Où la lumière s’effondre témoigne du désenchantement qu’entoure internet. Le roman facile, compact et loufoque en dit d’ailleurs peut-être autant sur l’auteur que sur son héros. Récemment, Guillaume Sire s’en prenait sur Méta Media au manque de recul critique de la classe des ingénieurs formés par l’école 42 de Xavier Niel, déplorant l’absence de sciences humaines au programme :
« Le projet de l’école 42 est louable, original et intéressant à bien des égards : autonomie des étudiants, évaluation par les pairs, etc. Je ne vais pas m’étendre sur les compliments que vous faites si bien vous-mêmes. Cependant, en observant le programme, je m’aperçois qu’il n’y a aucun cours de sciences humaines et sociales dans la maquette : la philosophie, la sociologie, la science politique et la psychologie ne sont pas enseignées aux prétendus « génies ». L’économie et le droit sont également absents ou presque. »
C’est peut-être pour pallier cette vacuité critique que Guillaume Sire signe là un roman qui fait aussi penser. Prenant et original, l’ouvrage est à rapprocher des écrits de Laurent Alexandre et David Angevin (Adrien 2.0, Google Démocratie) ou encore de cette petite perle d’Aurélien Bellanger : La théorie de l’information. Très personnellement, j’aurais aimé que l’histoire s’étalât un peu plus dans l’espace et la technique, mais c’était risquer de quitter le domaine du roman très grand public (il s’agirait de ne pas en dire que du bien non plus).
Enfin, il faut souligner que Où la lumière s’effondre tombe à pic. Au même moment, le spécialiste en cyber sécurité Bruce Schneier affirmait sur son blog que « quelqu’un se préparait à détruire internet », l’information reprise par France Culture faisait état d’attaques sophistiquées, méthodiques et répétées pour tester les défenses des infrastructures du réseau des réseaux.
En attendant le grand black out, internet est toujours là, filant à la vitesse de la lumière qui elle, ne s’est pas encore effondrée. Le futur nous dira si le virtuel disparaîtra de derrière nos claviers, peut-être d’une manière qu’on ne soupçonne pas vraiment, j’ai ma petite idée là-dessus.