Dès le 1er août 2017, les salariés d’une entreprise américaine pourront payer la cantine ou faire des photocopies à l’aide d’une puce RFID logée sous la peau. Le 23 septembre 2016, nous relations une rencontre avec une journaliste qui s’était fait implanter une puce sous-cutanée.
Publié à l’origine sur Rue89.
Quand j’ai rencontré Clémence en juin lors d’une conférence à la Gaîté Lyrique, elle confessait déjà à demi-mot la grande vacuité de l’opération.
De l’autre côté de la table, l’anthropologue Daniela Cerqui contait l’histoire de Kevin Warwick, le premier homme à s’être fait implanter une puce électronique sous la peau. Kevin poursuivait un rêve simple : « transcender la condition humaine ».
Fort heureusement, tous les implantés ne sont pas gonflés d’orgueil ni ne rêvent secrètement de devenir Dieu. Si Clémence, 31 ans, journaliste touche-à-tout, avait décidé de passer le pas, c’était avant tout pour satisfaire une naïve curiosité et accessoirement écrire un papier original dans le magazine pour lequel elle bossait à l’époque.
La puce avant implantation – Rémi Chapeaublanc
Mais au-delà du buzz, c’est surtout l’après opération qui m’intéressait, le moment qui suit le mythe, le lendemain du grand soir. Allait-on vraiment pouvoir payer avec sa main ? Démarrer sa voiture avec sa peau ? Mesurer son activité cardiaque au plus près des artères ? Tout ça grâce à cette micro-prothèse symbiotique, alliance homme-machine tout droit sortie d’un film de science-fiction ?
Pour percer ces mystères, il fallait d’abord comprendre ce qui pouvait pousser quelqu’un à s’enfoncer un bout de métal connecté dans le corps, ce qui a donné une réponse qui qui ressemblait à ça :
« J’ai fait ça sur un coup de tête. On était une petite dizaine à se faire pucer lors de l’Implant Party en 2015 à la Gaîté lyrique. Personne ne m’a forcée, mais je suis un peu tête brûlée. Je me suis dit que j’allais éprouver les usages moi-même, et puis je savais que je pourrais toujours l’enlever de toute façon. Je l’ai toujours cela dit. Pour l’instant ça ne me sert à rien mais peut-être qu’un jour ce sera le cas. »
« La barrière de la peau est un tabou »
Léger malaise, l’intrigue de cette histoire, c’est qu’il n’y en a pas vraiment. Après les étincelles du début, Clémence a vu flamber un véritable feu de paille. Tatouée, adepte du piercing, la jeune femme, qui participe régulièrement à des expérimentations médicales pour faire avancer la science, nourrissait tout de même quelques espoirs :
« Mon rêve, c’était de pouvoir passer dans le métro parisien par apposition des mains sur la borne, ça aurait été marrant. En fait c’est juste impossible, le système des Pass Navigo est beaucoup trop sécurisé, on ne peut pas le copier comme ça. Lors de la conférence, la société suédoise qui réalisait les puces (Bionyfiken) faisait du prosélytisme à mort pour l’implantation des gens. Le type te brossait un tableau génial du truc en t’expliquant que tu allais pouvoir ouvrir la porte de ta maison, démarrer ta moto, badger au boulot ou à la machine à café. Mais ce qu’ils ne disaient pas, c’est que ces technologies ne fonctionnent que dans des écosystèmes où les infrastructures ont été prévues pour. Moi concrètement, je n’ai rien pu en faire du tout ! »
Clémence n’a pas encore contacté le STIF ni la RATP pour leur demander de travailler à rendre sa puce compatible avec leur matériel, mais elle y songe. Peut-être est-ce juste une question de temps, lui fais-je remarquer, dans quelques années les limitations techniques auront été dépassées, l’environnement sera adapté.
Réactions épidermiques
Mais c’est sans compter sur nos blocages culturels : on ne s’habitue pas à ces technologies très intrusives. D’ailleurs, quand je lui demande ce qu’en ont pensé ses proches, je vois que Clémence a déjà finement analysé leurs craintes :
« J’ai observé de façon très forte que ça fait réagir les gens. Quand j’en ai parlé sur les réseaux sociaux, j’ai eu des réactions épidermiques, sans mauvais jeu de mots. Une minorité de gens sont pour et pensent qu’on va pouvoir faire plein de trucs géniaux. D’autres ont eu un mouvement de recul, ils flippent sans trop savoir pourquoi, la barrière de la peau est un tabou pour eux. Pourtant on est tatoués, percés, et les implants hormonaux contraceptifs ne posent de problèmes à personne. Mais une puce connectée, ça inquiète. Et puis il faut dire que toute une partie des gens qui ont été biberonnés à la science-fiction voient dans cette technologie le début de la fin. »
« Avec un couteau, je peux sortir la puce »
On touchait à quelque chose d’intéressant, j’ai creusé dans cette direction :
« Ils ont peur qu’un obscur gouvernement vole tes données ou essaie de contrôler tous tes faits et gestes de l’intérieur ? – Oui, l’implant est une interface avec l’extérieur et ça fait peur. On m’a dit que j’allais être “trackée”, mais je rétorquais que c’était déjà le cas avec mon téléphone. – Mais tu peux l’éteindre, ton téléphone. – Oui mais cette puce elle ne contient rien, ni mémoire, ni GPS. Personne ne peut hacker ma main, ni à 5 centimètres, ni à 50 mètres ! Et puis pour prendre quoi comme information ? Et dans tous les cas, avec un couteau bien aiguisé, je peux aussi sortir la puce de ma main, elle fait la taille d’un grain de riz. – Tu y as déjà pensé ? »
Oui, Clémence y a déjà pensé. En cas de nécessité extrême, ou si un jour un GAFA allant un peu trop loin venait à pucer ses ouailles dans un délire totalitaire. Après tout, on nous vend bien des écouteurs sans fil et des lunettes connectées. Pas de craintes cependant tant que les applications conservent des visées purement commerciales, « un moindre mal » selon la jeune femme.
Implantation – Rémi Chapeaublanc
Un coup marketing, surtout : les nombreux usages tant vantés sont souvent du domaine de l’improbable : de la sensibilité des données bancaires à l’absurdité des exigences des constructeurs, les puces sous-cutanées présentent peu d’intérêt. Les vendeurs de serrures connectées par exemple, invitent leurs clients « pucés » à tout de même s’équiper de leur smartphone et de leurs clés au cas où ladite serrure n’aurait plus de pile (la puce, elle, est électriquement passive) :
« Imagine, tu arrives devant chez toi, à minuit, complètement bourré, si ta serrure n’a plus de pile, tu es à la porte ! Alors tu peux toujours la déverrouiller avec ton smartphone, mais s’il n’a plus de batterie, tu fais comment ? Et le service après-vente est fermé soir et week-end. Comme si ça ne suffisait pas, ça ne s’adapte pas aux portes anciennes comme celle de mon vieil appartement parisien… »
Fond mystique
Et en ce qui concerne le fait d’adapter les infrastructures, Clémence n’y croit pas une seconde :
« On en est encore à un stade où la plupart des stations de métro ne sont pas équipées pour les handicapés. Est-ce que tu crois que construire des infrastructures pour les puces NFC sous la peau est la priorité ? »
Bien sûr que non. Mais alors à quoi bon ? Il reste un fond mystique insoupçonné dans cette histoire. Si rien n’est prêt, pourquoi s’infliger ça ? Fantasme de scarification ? Besoin d’être pionnier ? On brûle. Un groupe Facebook existe, me dit Clémence, dans lequel on parle déjà des tatouages connectés qui pourraient « changer de couleur selon tes envies grâce à des nanorobots dans l’encre sous ta peau. »
Une petite puce pour la route ? – Rémi Chapeaublanc
On n’est pas loin du mouvement BodMod (Body Modification), avec ses langues fourchues et ses oreilles taillées en pointe. C’est marrant, lui fais-je remarquer, les avancées numériques sont souvent issues du porno (la VHS par exemple, le streaming, ne parlons pas du Minitel), cette fois, ce pourrait être de l’art. L’art et l’envie d’avancer, d’essayer pour mieux s’en prémunir.
« Connais ton ennemi »
Il y a un côté « connais ton ennemi », me lance Clémence qui déplore d’être la dernière génération à vouloir démonter des ordinateurs, percer leurs secrets, bidouiller :
« Les gens ne savent plus non plus faire de mécanique. Avec les ordinateurs de bord, tu es obligé d’amener ta voiture chez un réparateur si tu as un problème. Or pour attaquer un système, il faut le connaître de l’intérieur. Connaître ce que pourrait faire un GAFA ou une mutuelle en allant sous ma peau, en récupérant mes constantes. Finalement c’est aussi le prolongement de ce qu’on peut faire avec un dossier médical. Les assurances ont toutes un système de bonus-malus, même si on ne segmente pas jusqu’à l’individu. Mais il ne faut pas se leurrer, le but est toujours financier. Une assurance pourrait te faire payer plus si tu n’adoptes pas les bons comportements, ou payer moins, c’est selon. »
En attendant « Futurama »
Nous n’en sommes pas si loin, Google et consorts font les yeux doux aux assureurs depuis longtemps. Avec le divertissement et la sécurité, la santé est le marché de ce début de XXIe siècle, tout le monde le sait.
Par association, je pense à la série « Futurama » de Matt Groening. Dans une société futuriste rocambolesque, chaque humain voit son avenir professionnel déterminé par une puce sous sa peau. Philip J. Fry, le héros de la série, doit exercer le métier de livreur (intergalactique bien sûr). Mais rien d’aussi exaltant en 2016, chaque chose en son temps. Clémence me le répète d’ailleurs une énième fois, il n’y a rien à en dire :
« Une journaliste de France 3 m’a contactée après l’implant Party, mais je lui ai dit que c’était un faux bon sujet parce qu’il n’y a rien à montrer. Surtout pour un sujet télé.– Oui, enfin on peut montrer qu’il n’y a rien à montrer. »
« Parfaitement inutile ! »
Elle poursuit :
« Ah si, il y a un usage intéressant, je peux déverrouiller mon smartphone avec ma main. Mais ça marche une fois sur deux. Au final le seul truc marrant, c’est de programmer la puce depuis une application, enfin “ programmer ”, la mémoire est très light. Et c’est pour une seule action, si on veut changer il faut reprogrammer. Bref, je fais du text-to-speach, dès que ma main approche mon smartphone, il y a une petite voix qui chante : “ Cette puce dans la main ne me sert à rien. ” La petite voix Ça fait marrer les copains. »
Puis elle enfonce le clou :
« Pour moi l’argument le plus radical, c’est surtout de se demander pourquoi mettre ça sous sa peau alors que des bagues et bracelets NFC existent déjà et font exactement la même chose. Donc voilà : c’est parfaitement inutile ! »
C’est parfaitement inutile. Jusqu’à ce qu’un malin invente le produit d’appel qui nous fera passer le pas. L’adage « Quand c’est gratuit, c’est vous le produit » pourrait bien être un jour appliqué aux puces connectées. Reste à savoir quel sera ce produit : la diffusion d’une substance pour booster son intellect ? Stimuler son activité sexuelle ? Ou peut-être juste une douce dose de soma, l’élixir de nos servitudes à la grande farce technologique.
[…] si depuis 2004, une puce électronique greffée sous la peau peut vous donner accès aux nuits endiablées du Baja Beach Club, les performances de la famille […]
[…] C’est exactement le propos de Jennifer Murzeau avec son héroïne, Bulle. Bulle est désobéissante. Car désobéir est la seule voie. Bulle, qui veut s’enfuir, qui souhaite quitter cette Babylone irrespirable. Bulle qui s’oublie, ne pense qu’à sa filiation, guidée par son instinct, son animalité. Paradoxe, c’est d’ailleurs cet instinct qui la rappelle à son humanité, elle s’extrait d’un monde où « il n’y a plus aucune raison d’être civilisé ». Bulle, qui refuse de se faire poser un implant sous-cutané : […]
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