To be or not to be Transhumaniste ? Mise en contexte

Les transhumanistes veulent-ils terminer l'humain?

«Aux pays des aveugles, les lentilles connectées sont Reines».

Que serons-nous dans 50 ans, confrontés à l’évolution exponentielle des nano-biotechnologies ? Mais où va le Web se propose de rappeler les origines et les impacts du mouvement Transhumaniste, en toute subjectivité.

Étrangement, voici un sujet qui active chez les plus geeks d’entre nous une âme réactionnaire devant tant de questions trop sérieuses pour être confiées à de grosses boîtes américaines.

L’amélioration de l’être humain est probablement un enjeu noble. Mais aujourd’hui, une frontière se trace clairement entre la médecine traditionnelle, les réseaux internet que nous connaissons et ce qui arrive à grand pas : un bouleversement dans les modes de pensée.

Je souhaite confronter ici plusieurs visions de l’évolution physique, mentale et technologique de l’Homme dans les années à venir. L’idéal Transhumain (l’humain augmenté) que je décrirai dans ce premier article est largement dicté comme la nouvelle Doxa économico-innovante d’une faction high-tech de la population humaine, souvent baignée dans des intérêts de pouvoir, de réussites individuelles, d’obsessions égocentriques. Voyons qui partage cette vision, qui la rejette et qui propose d’y associer un nouveau champ qui pourrait nous faire passer de l’humanité augmentée à « l’humanisme augmenté » qui déciderait de ne pas sacrifier l’équité et la liberté individuelle sur l’autel de la technologie et du chacun pour soi.

Ce premier article est complété d’un second qui se concentre sur les intellectuels critiques du Transhumanisme (disponible en cliquant sur cette phrase). L’idée est bien de planter le contexte avant d’aller plus loin, n’en déplaise aux lecteurs pressés.

Qui sont les Transhumanistes ?

Pour faire simple, les Transhumanistes sont des technophiles richissimes souvent issus d’une classe privilégiée et opérant dans un système entrepreneurial oscillant entre les web-Players, les complexes militaro industriels et l’industrie de la santé au sens large.

Leur crédo : refuser la mort. D’ailleurs, à entendre Natasha Vita-More, présidente de Humanity+ ; la mort est une « maladie » et on s’y prépare tout au long de la vie. Pour cela, tout (absolument tout) doit être mis en œuvre pour faire avancer la science, trouver des remèdes, « améliorer l’humain » dans ses retranchements génétiques les plus morbides. Mais la technologie ne s’arrête pas là où l’homme est immortel, elle le rend « surhumain », le pousse à se dépasser, intellectuellement, corporellement, à évoluer.

Pour compléter mon propos, je vous propose d’écouter Marc Roux expliquer très simplement ce qu’il entend par anthropotechnie et Transhumanisme à l’heure où :

 « Notre technique est en mesure de nous transformer (…) on se retrouve face à la question du choix et de la responsabilité, doit-on ou non appliquer telle ou telle technologie ? »

Le Transhumanisme s’auto-justifie aussi en déclarant que de tels progrès pourraient être partagés par tous et accessible pour chacun. Oui, à l’heure où les programmes de santé type Obamacare sont encore largement remis en question dans la société américaine, il reste des gens pour faire croire que leur but est l’amélioration de la santé de tous les humains.

Qui pilote le mouvement ?

Raymond Kurzweil, l’homme qui ne voulait pas mourir

En tête d’affiche de l’idéologie, trône Ray Kurzweil, prophète de Google, ingénieur en reconnaissance optique et vocale. Ray s’enfile chaque jour plusieurs centaines de pilules anti-la-mort dans le but de rester vivant jusqu’à 2045, date auto-proclamée de la « singularité », c’est-à-dire le grand jour où la machine intelligente verra le jour.

Dans son ouvrage Singularity is Near, Ray anticipe le grand jour en se basant sur l’évolution exponentielle de la technologie principalement caractérisée par la loi de Moore. En somme, depuis un demi-siècle, la capacité de calcul d’un processeur double tous les ans environ (ça peut varier selon les sources). On ne parle ici que de capacité de calcul, si on s’intéresse à l’évolution purement logicielle, alors « l’ingéniosité » double tous les 6 ans environ. Il faudra donc encore une bonne décennie avant d’arriver à émuler un « esprit ».

Entendons-nous, ce n’est pas parce qu’une machine est capable de simuler l’intelligence quelle est intelligente.

Ne nous arrêtons pas à 2045, Ray Kurzweil a prédit que l’ordinateur ultime* pourrait calculer, concevoir et maintenir l’équivalent de 5 trillions de trillions de civilisations, ce qui rend tout relatif le boulot fourni par la ville-machine du film Matrix qui gère modestement quelques milliards d’individus, et non sans aucuns bugs.

La Smart-City dans Matrix

La Smart-City dans Matrix

Kurzweil est à sa manière un conteur habile, écouté et donc performatif. Ses prédictions se sont révélées exactes à de nombreuses reprises, cependant, il avait prévu la réalisation du Test de Turing pour 2029 seulement or le test a été passé cette année par le robot « Eugène ». Eugène est donc capable de vous faire croire en 5 minutes de Chat qu’il est humain, où tout au moins ado (l’astuce est bien trouvée, tout le monde sait bien que le test de Turing est bidon). Si ça vous amuse, vous pouvez déjà parler à Eugène en ligne ici : http://www.princetonai.com/

Dans tous les cas, il est relativement sûr que d’ici à 2050, on pourra s’offrir pour 1000 dollars la capacité de calcul d’un village humain. Tout le monde pourra jouer à Sim’s dans la vraie vie. Vieux rêve mégalo quand tu nous tiens. Ces données ont une valeur conceptuelle mais on comprend qu’il est difficile de vraiment concevoir ce qu’est « la capacité de calcul d’un être humain ». Il s’agit en fait d’un traitement d’informations (sensations, réactions, réflexes, instincts) issues de l’action combinée du corps, des neurones et des interactions sociales (c’est tout de suite beaucoup plus clair…).

Notons au passage une donnée de style souvent peu abordée dans les nombreux articles traitant de Kurzweil. C’est vrai, le personnage a un CV long comme ça et il faut bien avouer, une assez haute opinion de lui-même. A renfort de Nietzsche, Saint-François d’Assise, Isaac Newton ou encore Aristote, l’auteur étaye sa pensée d’innombrables citations décontextualisées qui pourraient tout aussi bien convenir à la destruction de ses propres thèses. Kurzweil se met également en scène à plusieurs reprises dans des dialogues directs avec Freud et Darwin, ces deux derniers n’en sortant que rarement vainqueurs, pauvres naïfs.

On l’aura compris, Kurzweil est le pont entre l’informatique et la biotechnologie, un gourou qui voit bien plus loin que la fin de la mort et qui prévoit déjà l’upload de la conscience vers des cieux plus cléments, probablement des Data centers. Pour Ray, l’avenir de l’humanité est dans l’espace, sous une forme qui autorisera des voyages intersidéraux à des échelles temporelles et physiques inaccessibles à un être humain fait de carbone et d’eau.

Du concret « The raise for immortality starts »:

Sans rentrer dans les détails de ce qu’on peut trouver de tordu sur internet, voici un exemple de ce sur quoi on peut tomber quand on parle de E-Commerce de l’immortalité : Le projet 2045 (rappelez-vous, c’est la date de la singularité).

Cliquer, c'est immortaliser

Cliquer, c’est immortaliser

Le projet 2045 vous propose d’ores et déjà – moyennant au moins 3000 dollars – d’opter pour un avatar en développement, c’est-à-dire un vous qui n’est pas vous : un robot. Le site affiche que 60% de la technologie est déjà disponible et n’attend que votre investissement pour être déployée. Le serious Game commence avec le « bouton de l’immortalité », puis un choix dans les offres (de la simple extension de vie au transfert de votre cerveau sur du silicium). Enfin, vous remplissez un formulaire bête et méchant et on vous rappelle. Pratique.

Voici à titre d’exemple l’Avatar A, c’est une sorte de précommande (il faut encore 3 ans de développement). On vous propose un robot pilotable depuis une interface virtuelle directement connectée à votre cerveau. Espérons qu’il sera possible d’opter pour un Avatar blond, grand et exagérément musclé.

Bien choisir son futur moi digital

Bien choisir son futur moi digital

Enfin, comme dans tout bon site de E-commerce, une vidéo est disponible (pas encore de témoignages clients). On pourra y entendre le slogan du projet 2045 :

« A new era begins, the era of neo-humanity».

On l’aura compris, l’objectif de cette parenthèse commerciale est de renseigner sur la réalité du mouvement Transhumaniste. Il ne s’agit pas là d’une lubie inventée par des illuminés (quoique) mais bien d’une idéologie prise très au sérieux, et à réfléchir comme un des nombreux scénarios probables pour tout ou partie de l’humanité.

Du Transhumanisme à l’intelligence Artificielle : à la rencontre de Dieu

Pour conclure cet article, je m’autoriserai une réflexion personnelle sur l’étendue de l’idéologie Transhumaniste et ses vrais objectifs. Si on entend souvent que l’ambition des NBIC l’annihilation de la mort, je crois que cette vision est encore limitée. Certes, l’immortalité peut être un objectif intermédiaire, mais elle reste finalement (et nécessairement) très anthropocentrée.

D’autres ambitions annexes sont souvent développées pour légitimer les recherches dans le domaine des NBIC : « améliorer l’environnement »,  « construire des organes auto-régénérant », etc. Encore une fois, ces objectifs me paraissent assez étriqués. Nous connaîtrons au XXIème siècle l’équivalent de 20 000 ans de recherche si on rapporte l’exponentialité du progrès futur aux découvertes réalisées dans le passé (source Kurzweil). J’ai du mal à croire que le but ultime se limite à permettre à la race humaine de manger des hamburgers à profusion et de continuer à polluer l’atmosphère car « tout se répare tout seul ». On reste ici dans du « forçage technologique » soit la capacité à reconstituer par la technologie ce que la technologie a réussi à détruire.

La guérison de tous les maux de l’humanité est une chimère qu’aucune technologie, aussi merveilleuse soit-elle ne saurait résoudre. Le Transhumanisme est la pierre philosophale du XXIème siècle : le jouet des puissants, pour les puissants, par les puissants. A aucun moment l’idéologie ne fait mention de « la vie bonne » ou encore des problématiques sociales, égalitaires et démographiques inhérentes au progrès ou au non-progrès. On ne lira pas non plus dans le mouvement Transhumaniste de références à la vie en osmose avec la nature et l’environnement.

En lisant Kurzweil, on s’aperçoit que son but ultime répond à des problématiques presque religieuses : le besoin de transcendance et la peur de la finitude. De surcroit, l’objectif du Transhumanisme s’associe à un mode de pensée largement américain, technologique et cartésien. Sans rentrer dans un cliché par construction, je dirai que le Transhumanisme veut « conquérir ». Conquérir le corps, l’esprit, la galaxie toute entière. Puis enfin rencontrer Dieu, et s’il n’existe pas, devenir Dieu.

La loi Kurzweilienne (tiens, ça sonne comme Orwelienne) prédit que l’expansion de l’intelligence se fera dans tout l’univers, à la vitesse de la lumière et suivant la capacité de calcul contenue dans tout ce qui existe. Pour finir, l’univers lui-même deviendra conscient et intelligent. Mais pour quoi faire?

Voilà

Je pense que la question du Transhumanisme est abordée sous un angle suffisamment complet pour que vous vous fassiez une idée plus précise des débats qu’il suscite. Il y a beaucoup de littérature sur le sujet et je ne fais qu’ajouter à votre curiosité un morceau de ce que vous pourrez trouver par ci par là sur la toile.

Je tenais cependant ajouter que la quête de la connaissance ultime est un but noble quand elle se fixe pour objectif l’amélioration du plus grand nombre, en suivant les choix du plus grand nombre. J’aborderai cette question plus précisément dans cet article. En attendant il faut évidemment ne pas oublier de rappeler que bien devant Wikipédia et toutes les encyclopédies réunies, trône « le Livre du grand tout ». Celui-ci regroupe le savoir universel, relatif et contingent, dans une optique littéraire, artistique et phantasmatique. Alors sortez-vous des débats sans fond et foncez lire le Concombre Masqué, ça vous reposera, et moi aussi.

Tout est dans le livre du grand tout

Tout est dans le livre du grand tout

 

* Enfin, c’est selon la vitesse de la lumière, il paraît qu’elle n’est pas vraiment fixe

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Robin
Robin
10 années il y a

Merci pour cet article de sensibilisation et pour les références qu’il comporte.

Malgréla loi de Moore, si l’on en croit ta video 2045, la Russie ne se réinventerait pas tant que cela : ils en sont encore aux plans quinquenaux ! ;))

Sinon, sur la sagesse inégalée du Concombre Masqué et son Livre du Grand Tout, on ne saurait qu’être en phase et insister à notre tour sur la nécessité de se replonger dans la sagesse pure. Avec le même risque qu’elle mène au trans-cucurbitanisme… Beware of the neo-cucumbers!

Robin
Robin
10 années il y a

Fritz Lang dans Metropolis donnait déjà la condition du progrès technologique socialement partagé : « entre le cerveau et les mains, le médiateur doit être le coeur »… Mine de rien, c’était en 1927 et tout était déjà dit.

Panastica Ferox
Panastica Ferox
10 années il y a

Le transhumanisme, non ! Le translégumanisme, oui !
(et merci, excellent billet, je me suis bien poilé)

miaou
miaou
9 années il y a

Rien de tel sur maisouvaleweb qu’adopter une attitude désagréable, histoire de bien rester dans le cadre du web qu’on aime avec des coeurs. « tout le monde sait bien que le test de Turing est bidon » Soit c’est une blague que j’ai compris de travers, soit c’est pas cool. Eugène n’a pas passé le test de Turing. Enfin bon c’est compliqué. http://en.wikipedia.org/wiki/Turing_test#Imitation_Game_vs._Standard_Turing_Test . L’Original Imitation Game Test, lui n’est pas passé et est encore bien loin d’être passé à mon avis. De mon coté je le trouve très solide, c’est à lui qu’on devrait se référer lorsqu’on parle du test de Turing, car autrement bien plus stylé…Non pas de mauvaise foi chez moi pourquoi ? Il est cool Turing. Sinon j’ai lu la suite, et c’est sympa à lire. Perso je comprends toujours pas comment les transhumanistes arrivent à concevoir une conscience uploadée dans le réseau, sans corps, ça me dépasse très largement tout ça tout ça. Il se renseignent sur les sciences cognitives ces gens ? Oui ok, ils doivent piocher sélectivement comme ils piochent dans les classiques. Bonne continuation. J’aime l’acidité sucrée de ces articles. Miaou.

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