C’est bien connu, les robots ne se reposent jamais. A l’heure où l’emploi se fait rare, on entend qu’ils pourraient remplacer 47% de nos activités dans les deux prochaines décennies. Comme si ça ne suffisait pas, la planète tousse de nos consommations excessives. Une solution: créer de la néguentropie, redonner du sens au travail et ne pas se laisser noyer dans le torrent technologique.
Ars Industrialis tenait au théâtre Gérard Philipe une conférence réunissant intellectuels et acteurs du monde du spectacle autour du thème : Travail, emploi et automatisation. Pour ceux qui ne connaîtraient pas Ars Industrialis, je les invite à se rendre sur le site de l’association pour en découvrir la substance et les acteurs qui ambitionnent de redonner au pays un souffle culturel et philosophique en pensant le politique, la technique et le sociétal dans un format collectif et axé sur le débat.
Les intervenants :
Paul Jorion, anthropologue et sociologue.
Samuel Churin, comédien.
Dominique Meda, sociologue.
Evelyne Serverin, juriste et sociologue. Directrice de recherche au CNRS.
Bernard stiegler, philosophe.
Vers une fragmentation du travail :
Les études du MIT, d’Oxford et autres cabinets spécialisés concernant l’automatisation du marché du travail sont-elles déterministes ? On entend régulièrement que 47% des métiers risquent de disparaitre dans les deux prochaines décennies et personne ne semble vraiment s’en inquiéter. Dominique Meda, sociologue, soulève cet état de fait et déclare que si le travail sera bientôt plus collaboratif, atemporel et autonome, il ne faut pas tomber dans le piège idyllique de l’ « entreprise de soi-même » qui ne considère ni l’écologie, ni la protection individuelle, ni la problématique du transfert des masses travailleuses d’un modèle à un autre.
Par ailleurs, comme le rappelle Paul Jorion : si les entreprises innovantes permettent une massification rapide d’un produit, leur modèle « winnner takes all » n’est pas forcément vertueux. Snapchat est l’exemple type d’un modèle qui nécessite beaucoup d’investissement, peu d’emploi et un haut niveau de qualification. Selon lui, il s’en suit une polarisation des salaires et une réduction de l’emploi au bénéfice d’une minorité richissime qui laissera sur le bas-côté de nombreuses initiatives.
S’il est difficile de ne pas voir le succès des initiatives innovantes, il est aussi compliqué de rater leurs externalités négatives. Pour autant, que donnent les modèles alternatifs proposés par une partie des penseurs de la technique ?
Donner du sens au travail pour sortir du consumérisme :
« Le travail est ce qu’on fait pour aller bien, ce qui fait qu’on se lève le matin. Par définition, très peu de gens ont un emploi qui correspond à leur travail. »
Ainsi débute Bernard Stiegler qui souhaite redéfinir la différence entre emploi et travail : « La nature du travail est la désautomatisation, la production d’un nouvel état, une bifurcation néguentropique ». Le vocabulaire est ardu mais l’explication est simple : l’anthropocène (la période pendant laquelle l’influence de l’homme sur le système terrestre est devenue prédominante) est largement sous-tendu par le consumérisme et nous dirige vers un état d’entropie dans lequel les ressources tendent à se faire rare. En gros, on va dans le mur.
Le travail quant à lui, n’est pas synonyme d’emploi et devrait inclure au maximum des activités créatrices d’une nouvelle valeur. Face à cela, il doit trouver une autre signification et l’idée même de valeur doit changer. Qu’est-ce que « créer de la valeur » finalement ? Selon Jeremy Rifkin, dans le système actuel cela revient plus ou moins à détruire la planète. S’il faudra un jour en payer l’addition, il faut surtout voir de l’avant et inventer des activités néguentropiques c’est-à-dire allant dans un sens soutenable pour la planète, contrant l’entropie.
Pour Bernard Stiegler, le critère de la valeur de demain est la néguentropie. Quand il s’agit d’être concret, il expliquera que les individus ont besoin de renouer avec le sens et le savoir. C’est à Amartya Sen, prix Nobel d’économie, qu’il emprunte le concept de « capacitation » qui définit la capacité qu’à un individu à envisager sa liberté en fonction de son contexte social. La capacitation des individus est la meilleure solution pour aller vers une adhésion non contrainte à des objectifs partagés.
Par conséquent, les individus ont le droit et le devoir de créer des capacitations. La république garante de l’ordre social futur a pour responsabilité la mise en place d’un système incitatif axé sur la néguentropie. Il faudrait alors créer des territoires contributifs financés par des banques contributives dans le but de générer de la néguentropie dans ce nouvel anthropocène. Vaste programme.
Cependant c’est à la réalité qu’Amartya Sen se réfère quand il déclare que les capacitations sont la raison pour laquelle l’espérance de vie au Bengladesh est plus élevée qu’à Harlem. Entre les lignes, la soumission au consumérisme détruirait les relations sociales et le savoir.
Le possible et le souhaitable
Foxconn, l’entreprise qui fabrique nos iPhones, remplace peu à peu ses salariés par des machines, la loi de Moore qui définit l’augmentation exponentielle de la capacité de calcul inquiète des figures aussi éminentes que Bill Gates ou Stephen Hawking. Face à cela, de Keynes à Paul Jorion, il est admis que l’idée de la collaboration entre l’homme et la machine s’est érodée avec l’évolution de la technique puis l’ère de l’informatique.
Il est sûrement temps d’aller plus loin que le simple constat. Si, comme indique Paul Jorion : « Le bonheur général peut connaître plusieurs niveaux de compromis acceptables », il faut remettre l’économie au service de l’action politique. Le compromis Fordiste qui a permis l’élan économique du XXème siècle est à réinventer en des termes nouveaux, écologiques et partagés.
On regrettera que les sujets du financement de tels programmes et de leurs représentations sur la scène politique ne soient que des questions de fin de séance, comme trop souvent. Mais il convient d’admettre que le déterminisme technologique ne peut être la seule issue viable. Mais où va le Web avait déjà traité la question il y a quelques mois ici, la loi de Moore et l’automatisation ne sauraient à elles seules former un programme pour l’humanité.
Quand il s’agit de technologie; le possible n’est pas toujours souhaitable.
Une conférence avec un grand D.
[…] l’œuvre. La disruption (termes que Bruno Teboul reprend ici – entre autres – au philosophe Bernard Stiegler) ne permet pas à la masse de travailleurs de se réadapter aux exigences d’un marché qui tend […]
Bonjour , comme je viens des arts et de la poésie la sensation de l’anthropocène m’a été révélée très jeune (elle s’exprime déjà chez Delacroix ou Baudelaire (voir W Benjamin) ). Dans les années 60 la rencontre réelle avec Braque , Giono et artistes moins impressionnants (pour moi) me confirmait que j’étais dans l’ultime du scénario anthropologique. Puis Illich , Gorz,anders etc…et étrangement un créateur de savoir-faire laisser-agir comme Masanobu m’a révolutionné mes échanges avec la nature .(je cultive un jardin forêt comestible de 3 hectares ).
Je suis en pleine accord avec la pensée de B Stiegler . Il n’y a que sur les solutions que je m’interroge . Désautomatiser les automates pour les automatiser à fin néguentropique me semble incompréhensible?.Pour réparer le franchissement des 9 frontières avec la perspective de 10 milliards d’individus il me semble nécessaire de s’adapter à un minimalisme pragmatique et autonome qui s’allège de tout l’outillage toxique accumulé ces 50 dernières années ? Et je cherche à voir et incarner »la réalité vivante des particules cosmologiques » dans le sens centripète de l’harmonie de l’univers.Réalité libérée des artefacts toxiques afin de créer un nouveau sentiment : réconfortant, réconciliant, ancré dans les métamorphoses du vivant .Bref à partir du non-savoir s’ancrer dans des savoir-faire et incarnations par delà la cérébralité arrogante à domination sémiologique qui fonde le chaos anthropologique…A montrer… Amicalement . Jean-Marc Vallin