Cyberpunk Reality, ou comment cacher la politique derrière la fiction

Cyberpunk Reality, ou comment cacher la politique derrière la fiction

Ça n’est pas vraiment dans les habitudes de Mais où va le web de rédiger des chroniques sur un seul ouvrage, qui plus est quand il s’agit de la production d’un collègue. Néanmoins, une fois n’étant pas coutume et vue la teneure de l’ouvrage en question, l’exercice semblait pertinent.

Cyberpunk Reality est une réalisation aux multiples facettes qui constitue une vision à 360° d’un réel torturé par l’abyssal puits de questions techno-éthiques propres à notre temps.

Cyber Reality, pourquoi ?

Remettons les choses dans leur contexte : le livre dont je vais vous parler est un recueil de billets publiés ces quelques dernières années sur le site internet du confrère Saint-Epondyle. Je dois avant tout saluer l’initiative qui a consisté à publier sous un format papier les quelques pensées qu’il a pu avoir. Le papier fait quand même moins mal aux yeux.

A bien regarder la couverture, on s’attend de prime abord à se voir conter des fictions rocambolesques et étoilées, on comprend vite qu’il s’agit avant tout d’une synthèse politique subtilement camouflée derrière un faux semblant romanesque. Saint-Epondyle est un activiste dissimulé qui fait parler les livres, les films et les philosophes pour lui-même. L’art de l’ouvrage réside dans sa capacité à mobiliser les bonnes références pour former un savant medley critique du monde qui est, de la technologie qui vient, des valeurs qui s’y adaptent.

Concis, exhaustif et un brin naïf

Je ne vais pas mentir, Saint-Epondyle est au fait de tous les romans, films et autres supports à sciences fictionnelles, cultures Punks et dystopies que vous pourrez croiser dans les rayons d’une bonne librairie. Orwell et Huxley sont ses évidences, Philip. K Dick et Alain Damasio ses frères d’armes. D’ailleurs, si Cyberpunk se veut passion pour ces personnages, on y lit en filigrane une peur panique du temps qui passe et du monde qui grossit : taille des villes, natalité explosive, matraquage publicitaire… bref, c’est un cauchemar malthusien qui génère une critique d’à peu près tout ce qui aliène, asservit ou éloigne l’homme de la nature.

Etrange paradoxe s’il en est. On prône un retour à la décence et au calme à travers un outil – Internet – qui lui même semble cristalliser toutes les angoisses. Si je devais dresser un profil psychologique de comptoir, je dirais que Saint-Epondyle est un provincial fraîchement arrivé à la ville et gonflé d’un idéal humaniste, trop humaniste.

Au secours ! Nous avons besoin de concepts !

Tempérons un peu, si le recueil régurgite à tout va des références quasi bibliques du domaine cyberpunk, il manie aussi avec une étonnante agilité les concepts nécessaires à établissement d’une vigoureuse critique de la technologie avec un grand T.

Les jonglages subtils entre panoptisme, totalitarisme, contrôle des masses et décervelage médiatiques permettent une prise de recul efficace sur les modes, techniques marketing et arnaques technologiques à l’œuvre en ce début de XXIème siècle. Quantified-self, finance algorithmique et transhumanisme sont chirurgicalement ouverts et dépecés pour en extraire les solutionnismes technologiques qui les composent. Tant et si bien que l’on aimerait voir surgir un début de programme politique qui n’arrive pas vraiment, il manque sûrement des pages à Cyberpunk Reality.

En effet, on nous y rappelle qu’Internet est « le jouet du capitalisme », un outil d’asservissement qu’il faudrait « détourner » pour en abolir les velléités de contrôle. Le fusil à l’épaule, on conclut presque que « le règne des corporations et du mensonge achèvent de consommer le divorce entre l’humanité et la nature ». L’eau à la bouche, nous apprenons que oui, il faut construire cet avenir « conquérant » et regagner notre place dans le réel et dans le virtuel, dans ce « hors-sol » artificiel que les multinationales nous imposent.

Puis l’on s’arrête.

Oui, on s’arrête trop tôt dans un sourire forcé qui regarde avec compassion les Wikipédia, Mozilla et autres logiciels libres qui dessinent tant bien que mal « l’agora des idées » fantasmée par quelques rares informés.

Une mise en bouche…

On y est, je reste un peu sur ma faim. C’est sans doute bon signe, mais la frustration est là. De Cyber Punk Reality, je retiens aussi quelques ambiguïtés, notamment quand il s’agit de savoir qui – ou quoi – nous tirera de tout ça. Les lanceurs d’alertes ? Ces héros trop indépendants pour qu’on leur confie notre sort ? Les citoyens : ce fameux « nous » informe qui n’est en fait qu’un « moi » étendu ? Le constat est là : l’argent gouverne le monde et de faux héros en cols blancs détournent les masses obscures qui ne participent que faussement à la chose publique à travers le média vérolé qu’est Internet. Allons plus loin.

…Qui ouvre l’appétit

Ce n’est que le début, et c’est le grand thème rassurant du livre. L’essai est jeune, comme l’est son auteur. Les lignes sont claires et le style élégant. L’exercice est – en soi – un début de réponse : écrire, écrire et encore écrire.

Cyberpunk Reality est cette « dissonance cognitive », ce flottement d’âme spinozien qui les conduisent, eux, ceux qui écrivent, à tisser la nouvelle toile critique qui pourrira les projets destructeurs et entropiques à l’œuvre au sol et dans les réseaux qui les font vivre.

Au même titre que de nombreux autres essais critiques et indépendants, il est conseillé de lire Cyberpunk Reality, véritable petite sonde du moment qui offre une synthèse progressiste et lisible des débats techno-sociaux en cours. Le contenu est disponible gratuitement sur saint-epondyle.net, le livre, plus agréable à manipuler, est en vente pour un prix qui reflète tout sauf le temps passé à l’écrire.

Bonne lecture.

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3 Commentaires
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Saint Eponyle
8 années il y a

Merci pour cette belle critique, référencée et tout ! Ma première critique un peu poussée et construite, également la première aussi longue que je reçois par écrit.

Merci beaucoup !

Depuis la fin de l’écriture, je ne fais que lire et entendre des choses qui auraient leur place dans le bouquin. A mon avis, laissons passer 10 ans et j’en sors une version augmentée et actualisée. M’étonnerai que l’avenir n’en donne pas la matière. 🙂

Ah, et concernant ta remarque « qui – ou quoi – nous tirera de tout ça [?] » ; je ne vais pas faire une réponse point par point, t’inquiète. Mais sur ce point précis, j’ai jamais dit qu’on s’en tirera. :p

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