Les designers éthiques publient une méthode pour évaluer la captation de l’attention

Le collectif des designers éthiques vient de publier une méthodologie pour évaluer les fonctionnalités addictives d’un service numérique. En quelques étapes simples, l’outil permet d’analyser un parcours utilisateur et d’en redéfinir la navigation suivant des critères plus responsables.

Voilà déjà quelques années que le collectif des designers éthiques détricote les problématiques attentionnelles dans les services numériques. Après les événements « Ethics by Design » 2017 et 2018, c’est une étape plus concrète qui est franchie. Pour Lenaïc Faure, designer à l’initiative de la démarche, le phénomène de la captation de l’attention est loin d’être nouveau mais s’est amplifié ces dernières années. Alors que ses procédés sont connus, on s’intéresse trop peu aux effets pervers qu’ils peuvent produire : « les disciplines scientifiques (captologie) et les méthodes (modèle Hooked de Nir Eyal) pour mettre en place un design attentionnel sont connues depuis longtemps. Leur usage est documenté avec de nombreux indicateurs afin d’évaluer leur efficacité, mais il n’existe quasiment aucun outil pour mesurer leur soutenabilité et l’impact éthique de leur implémentation. »

C’est dans ce vide méthodologique que s’est inscrit le collectif. Le designer explique que sa méthodologie permet de « matérialiser et prendre conscience du design attentionnel mis en place dans un service ou produit et de juger s’il est vertueux ou non du point de vue de l’utilisateur. » Quand on déroule la méthode – ce que j’ai eu l’occasion de faire avec Lenaïc – on réalise  que les choix faits par les designers ne sont pas toujours conformes aux souhaits des utilisateurs qui utilisent un service. Plus concrètement : pourquoi disposer un bouton « flashy » à un endroit de l’interface : est-ce pour faciliter l’usage du service ou inciter l’utilisateur à basculer vers une fonction dont il n’a pas besoin à ce moment précis ? Faut-il, dans une fenêtre de Chat, tout faire pour inciter à encore plus d’interactions ? Est-il nécessaire de « stresser » l’utilisateur en lui signalant que son message n’a pas été lu « depuis 4 minutes » ? Etc. Pour Lénaïc, « l’évaluation de chacun de ces aspects et la priorisation des éléments à améliorer permet d’ouvrir un dialogue entre parties prenantes d’un service ou produit (IT, marketing, communication, etc.). »

A cet effet, la méthode se déroule en trois temps : l’observation pour identifier les éléments de design attentionnel, l’évaluation de chacun de ces aspects et la priorisation des éléments à améliorer pour agir et rendre le produit ou service plus responsable vis-à-vis de l’attention de l’utilisateur. Cette méthodologie fait bien sûr écho au « rétro-design de l’attention » qui consiste à observer la façon dont est captée l’attention de l’utilisateur en déconstruisant un service web – façon « rétro-ingénierie » (en savoir plus sur le site de la FING). Nous avions, avec le Mouton Numérique, monté un atelier similaire lors de la deuxième session d’Ethics by design (voir « services numériques, quels enjeux éthiques ? Comment les repenser ? »). Ce genre d’exercice permet d’ouvrir des pistes intéressantes pour reconstruire un service selon d’autres logiques. C’est aussi un excellent outil pédagogique pour comprendre le fonctionnement des mécanismes qui nous entourent, qu’ils soient mécaniques, algorithmiques ou graphiques.

Notons qu’il n’y a pas de réflexion sur l’attention sans réflexion sur les business modèles de l’attention. Cette méthodologie est justement l’occasion pour les designers et business-owners de questionner leurs modèles d’affaires : à quel besoin souhaitent-ils répondre avec ce produit ? Quelle est son utilité réelle ? D’où sont tirés ses revenus, et cela est-il conforme à la proposition de valeur marquetée au client ? Le design éthique n’a pas pour seule ambition de dénoncer les fonctionnalités malhonnêtes ou trompeuses, il permet également de pousser les créateurs à concevoir des services vraiment utiles et dont les externalités sont positives. Aussi, l’outils des designers éthiques peut s’inscrire dans un cadre plus vaste impliquant des cycles de design thinking ou encore une réflexion sur le modèles d’affaire via une matrice « Business model Canvas ». Comme l’explique Lénaïc, « l’outil va continuer d’évoluer dans les mois prochains avec de nombreuses améliorations pour permettre une prise en main plus didactique. Il sera accompagné dans le futur d’un dispositif numérique complet : ressources en ligne, diagnostique en ligne, boîte à outils… dans le but de proposer des ressources pour former et éduquer à un design de l’attention plus respectueux de l’attention portée par leur utilisateur. »

Ce vaste programme demande à ce que les professionnels s’emparent de la méthodologie, la commentent, la critiquent et l’améliorent. A vous de jouer : https://attention.designersethiques.org/

Irénée Régnauld (@maisouvaleweb)

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[…] act like machines. D) Amplify the best part of each. Je pourrais également citer la méthodologie des designers éthiques qui permet d’évaluer les fonctionnalités addictives d’un service […]

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[…] Au coeur de cette journée de réflexion, l’idée que nos comportements compulsifs et addictifs envers le numérique, et nos smartphones en particulier, sont étroitement liés à la responsabilité de ceux qui en conçoivent les interfaces. Autrement dit : si vous ne lâchez pas votre téléphone, c'est aussi de leur faute. Les Français consultent leur smartphone 26,6 fois par jour. Chez les 18-24 ans, on grimpe à plus de 50 fois par jour. Et ce ne sont bien sûr que des moyennes, qui paraîtront basses à bon nombre d'entre nous. La première conférence dédiée à la conception numérique durable en France Ce vendredi 12 mai, Ethics by Design est la première réponse française de taille apportée à ce problème majeur. Les designers éthiques publient une méthode pour évaluer la captation de l'attention | Mais o…. […]

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