Être ou ne pas être Martien

« Nous ne pourrons jamais vivre ailleurs que sur Terre ». Voilà qui résume assez bien le propos de Sylvia Ekström et Javier G. Nombela dans leur ouvrage Nous ne vivrons pas sur Mars, ni ailleurs (Éditions Favre, 2021). Le spatial connaît pourtant de belles victoires : le Rover Persévérance s’est posé sans encombre sur le sol de la planète rouge le 18 février 2021, et le milliardaire Elon Musk parvient (presque) à faire atterrir proprement son vaisseau « Starship ». Qu’à cela ne tienne : l’auteur et l’autrice viennent tout de même doucher les rêves de vol habité sur Mars, une bonne fois pour toutes.

Se situer dans l’espace et dans le temps

Dans la première partie de leur livre, Sylvia Ekström et Javier G. Nombela rappellent avec pédagogie les quelques bases nécessaires à tout amateur d’astronomie. L’espace d’abord, celui qui sépare les astres, les planètes, proches ou lointaines. Cet espace que notre cerveau peine à se représenter. Si la terre avait la taille d’une belle orange, lit-on, « la Station spatiale internationale (grain de poussière) se trouverait à 2 millimètres de son écorce, la Lune serait à 2 mètres et Mars oscillerait entre 300 mètres et 2 kilomètres ». Plus vertigineux encore, la distance parcourue chaque année par la Terre : « 940 millions de kilomètres à la vitesse de 107 300 Km/h », un fait plutôt contre-intuitif tant ce mouvement est imperceptible.

Notre perception du temps n’est pas meilleure : au-delà d’un certain seuil, nos sens ne nous sont plus d’une grande utilité. Quand on sait qu’il faut 11 jours pour compter jusqu’à 1 million, et 32 ans pour compter jusqu’à un milliard, alors les grands nombres prennent forme dans notre esprit. D’un coup, il devient beaucoup plus évident que si la Lune est proche, Mars est vraiment beaucoup plus loin, et que les exoplanètes seront à tout jamais inaccessibles. Ces premiers exercices d’échelle ont le grand mérite de resituer le lecteur le monde qui l’entoure, et de rappeler en résumé que nous sommes tous petits dans l’univers, où nous venons à peine d’apparaître.

Qui rêve d’aller sur Mars ?

Il faut bien concéder qu’aller sur Mars n’est plus un rêve. Plusieurs robots ont bien fini par y arriver, parmi la cinquantaine de missions engagées à cette fin depuis le début des années 1960. L’année 2020, parce que la distance entre les deux planètes fut minimale, a été le théâtre de plusieurs missions du genre, américaine, chinoise (Tianwen 1), et même les Emirats arabes unis, avec la mission Al-Amal, qui ne s’y posera pas cependant. Il reste que pour le moment, le taux d’échec est élevé, et seuls les Etats-Unis sont parvenus à poser des appareils opérationnels au sol.

Le rêve d’envoyer des humains sur Mars cependant, en est encore un. Il est aujourd’hui principalement entretenu par des organisations comme The Mars society et Mars One. La première, fondée par le Dr Robert Zubrin, est composée d’une quarantaine d’associations dans différents pays. Elle a notamment mis au point deux expériences de simulation de vie sur Mars, l’une au pôle Nord (flashline mars arctic research station), l’autre dans le désert de l’Utah, (mars desert research station). Récemment, elle lançait une campagne en vue d’amorcer une simulation du même type en réalité virtuelle, dans un but plus ludique cependant. Notons que The Mars Society est également à l’origine de Marspedia, une encyclopédie en ligne, plutôt balbutiante à en juger le contenu. Mars One de son côté, « projette » une colonisation de la planète rouge à partir de 2029, et assume parfaitement bien le fait qu’aucun billet retour n’est prévu pour les premiers arrivants. L’organisation est cependant très loin d’avoir réuni les fonds suffisants pour commencer quoi que ce soit de sérieux en matière spatiale. Aucune de ces organisations n’a réellement les moyens de ses ambitions…

Le corps, cet empêcheur d’aller sur Mars

Les pages les plus savoureuses du livre de Sylvia Ekström et Javier G. Nombela sont sans nul doute celles où l’auteur et l’autrice font la liste des difficultés psychologiques, psychiques, et techniques qui rendent le voyage aller retour vers Mars impossible. Nous sommes certes déjà familiers du fait que passer dans l’espace plusieurs mois ne s’improvise pas. Les spationautes doivent se supporter, et dans une telle promiscuité, toute saute d’humeur peut vite dégénérer. En 1982, les cosmonautes Valentin Lebedev et Anatoly Berezovoy s’exaspéraient tellement qu’ils ne se sont plus adressés la parole pendant plusieurs semaines… Une situation intenable si jamais un incident devait survenir, car il demanderait la bonne coordination de toute l’équipe.

A l’extrême inverse, cette même promiscuité demande à envisager la naissance de relations charnelles et amoureuses. Outre le fait que cette question est encore un terrain miné à la NASA, notons que l’accouplement – entre un homme et une femme – dans l’espace est difficile car « toute poussée dans un sens fait s’éloigner en sens inverse l’objet (ou la personne) sur lequel cette poussée s’applique ainsi que l’auteur de la poussée. » L’actrice Vanna Bonta a d’ailleurs imaginé une combinaison, le « 2suit » spatiale censée résoudre ce problème.

Le bruit et l’odeur (de l’espace)

Mais le propos de Sylvia Ekström et Javier G. Nombela ne s’arrête à ce défi que l’imagination saura toujours relever. A travers plusieurs analogies avec la Station spatiale internationale, l’auteur et l’autrice rappellent que d’autres difficultés plus sérieuses sont à envisager. D’abord, dans un espace fermé, les sens sont mis à rude épreuve. Dans l’ISS, c’est une odeur d’antiseptique, de déchets et d’odeur corporelle qui domine. On finit bien sûr par s’y habituer, mais il y a aussi le bruit : un minimum de 60 décibels n’est pas sans conséquences sur les capacités auditives des voyageurs. Niveau santé, on sait que les astronautes voient souvent flou du fait de leur mauvaise circulation sanguine en apesanteur. Le disparition du cycle jour / nuit est également un coup dur pour le moral, dans un environnement confiné où chaque jour la Terre s’éloigne. Ajoutons à cela que boire son urine recyclée et risquer de subir des radiations mortelles sont des petites choses qui font monter l’angoisse.

La situation sur une fois sur Mars ne serait pas plus réjouissante. L’essentiel du voyage consisterait à rester enfermé dans de tous petits espaces sans fenêtres – probablement des tunnels de lave – justement pour éviter les radiations. Mais un problème plus pressant concerne Sylvia Ekström et Javier G. Nombela : le retour à l’apesanteur. Après plusieurs mois à flotter dans l’espace, les astronautes de l’ISS peuvent sentir le poids de leurs lèvres et de leur langue. Il leur faut plusieurs mois avant de retrouver leurs pleines capacités. Pour l’auteur et l’autrice, ce problème rend « presque rédhibitoire » toute mission habitée vers Mars. Une fois sur place, il n’y aura ni comité d’accueil ni équipe médicale de disponible. Même en passant outre cette limite, les difficultés ne s’arrêtent pas : la poussière martienne, très abrasive, abimera les combinaisons et le matériel, à commencer par la fusée ou le véhicule censé y ramener les marsonautes. A moins de prévoir un hangar pour les y conserver, ce simple point risque de compromettre un redécollage… Enfin, un petit chapitre ne manque pas de préciser que sur la planète rouge, et malheureusement pour Matt Damon, il est en réalité impossible de cultiver quoi que ce soit : « on oublie l’agriculture sur sol martien ».

***

Il y a bien sûr, mille et une autres raisons de ne pas aller sur Mars. Et la première d’entre elles est probablement que cela nuirait à la recherche scientifique. Nous y transporterions nécessairement des germes, des bactéries, qui pollueraient instantanément le site d’amarssisage et « le plus important but scientifique de ce voyage serait annihilé dès la première seconde de la présence humaine sur place ». Dans son livre, Life on mars: what to know before we go, le professeur d’astronomie David Weintraub allait même jusqu’à demander un moratoire au départ d’humains sur Mars (notons que lors des visites sur la Lune, la NASA fut totalement incapable d’éviter les « fuites » entre les poussières terriennes et celles de son astre, d’un côté ou de l’autre). Pour les auteurices de Nous ne vivrons pas sur Mars, ni ailleurs, il n’y a dès lors aucune raison de faire le voyage, pas même économique : « Mars ne rapportera pas un dollar, mais en coûtera des dizaines de milliards ».

L’ouvrage de Sylvia Ekström et Javier G. Nombela termine sous forme d’appel à la mesure, à la prise de conscience des problèmes du présent sur notre bonne vieille Terre : « laissons à Hollywood ce qui appartient à Hollywood » car « il n’y a pas de planète B, C ou D ». On conviendra que de ce point de vue, le livre n’apporte pas grand chose de nouveau sinon la complainte climatique habituelle, et justifiée, mais qui pèse peu face à la force des imaginaires contraires. Nous étions prévenus dès l’introduction, où les deux auteur et autrice concédaient volontiers demeurer incapable de convaincre les personnes passionnées par le voyage vers Mars : « les informations techniques et les arguments scientifiques exposés dans les pages qui viennent ne les détourneront pas de leurs folles espérances », et c’est peut-être ce qui manque encore à l’ouvrage : une plus franche remise en cause de l’imaginaire de conquête « propre à l’Homme » que le livre semble adopter, et qui mériterait d’être mieux discuté, et critiqué. Il suffit de regarder ce qu’Hollywood, Netflix, et le cinéma en général, produisent encore de séries (excellentes au demeurant, comme The First, ou Away) pour comprendre que la culture est tout à fait capable d’absorber les « arguments scientifiques » ou les difficultés psychologiques inhérentes au voyage sur Mars, et ainsi entretenir le fantasme de trajets interplanétaires. Si cette mise en spectacle est tout à fait légitime, et passionnante, on pourrait se demander à quoi devrait ressembler un récit de la non-conquête spatiale (une piste par là) !

Quoiqu’il en soit, Nous ne vivrons pas sur Mars, ni ailleurs possède toutes les vertus des ouvrages de vulgarisation scientifique grand public, et demeure une petite mine d’or pour se faire un avis solide sur l’utilité du vol habité sur Mars.

Irénée Régnauld (@maisouvaleweb), 
Pour lire mon livre c’est par là, et pour me soutenir, par ici.
 
Photo : Twitter/PegionsoftheDistrict (pour voir quelques autres détournement, rendez-vous ici)

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3 Commentaires
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Tyjar
Tyjar
2 années il y a

Je supprime votre blog de mes flux RSS. Votre obsession « auteurices » « l’auteur et l’autrice » est absolument ridicule. Je vous souhaite un bon entre-soi entre radicalisés. Cordialement.

Dao
Dao
2 années il y a
Reply to  Tyjar

randicalisé-es*

Paradoxalement, se couper de quelque chose en dénonçant un entre-soi, c’est en créer un soi-même. ¯\_(ツ)_/¯