« Ars Longa, vita brevis »
L’aphorisme d’Hippocrate n’aura jamais aussi bien résonné. De sa traduction « La vie est courte, l’art long » ou encore « la vie est courte, la science interminable », on pourrait décliner d’innombrables interprétations tout à fait actuelles.
C’est ce qu’a fait la troupe de Théâtre emmenée par Élodie Darquié et Maryse Urruty en montant une pièce originale nommée Il était une fois l’Internet, une œuvre audacieuse qui marie univers geek et 6ème art. Les deux auteures font connaissance à Science-po Toulouse et décident « d’allier leurs compétences sur un projet alliant jeune public et numérique ». Le projet prend forme et la pièce est présentée la première fois à Pas Sage en Seine à l’été 2015. Mais où va le web ne pouvait décemment pas passer à côté d’une telle initiative, je suis donc allé rencontrer Élodie et Maryse à une Ubuntu Party à la Villette. Enquête.
Vulgariser le fonctionnement du web, amuser les enfants
Comment parler d’Internet aux enfants ? Sauriez-vous leur expliquer ce qu’est un serveur, le cloud, ou encore la fibre optique ? Tâches compliquées et pourtant nécessaires dans ce monde où les gamins baignent si jeunes dans la technologie alors que les interfaces graphiques n’existaient même pas quand nous avions leur âge… Tout ceci est malheureusement très abstrait, voire totalement abscons, et le défi du binôme a été de « rendre la technologie concrète en dissipant la magie qui peut exister autour en créant des images poétiques pour que les enfants puissent se représenter ce qui se passe à l’intérieur des câbles ».
Et à l’intérieur des câbles, vit Data, l’héroïne extravagante d’une histoire qui file à la vitesse de la lumière, de la box Internet au site Wikipédia, en passant par les sept couches de réseau qui composent cet oignon qu’on appelle aussi Internet. Si l’univers est métaphorique, il repose sur un socle informatique solide, un ingénieur réseau pourra donc voir la pièce et y retrouver ses petits sains et saufs. À ce propos, concilier traitements graphiques, sonores, dialogues et justesse technologique a nécessité « un gros de travail de recherche et de documentation », on ne s’en étonnera pas. L’étape suivante a consisté à faire naître « des images pouvant coller à la réalité technique et créer un univers cohérent où pouvoir raconter une histoire ».
A titre d’exemple, les serveurs Internet dont nous parlions plus haut deviennent pour les enfants « Une bibliothèque dont les livres ne disparaissent pas quand on les emprunte » et le fameux cloud dont tout le monde parle n’est quant à lui qu’un « box où ranger ses meubles », bref, des images fortes qui illustrent un jeu d’acteur haut en couleurs. En effet, Maryse Urruty interprète l’intégralité des personnages de l’histoire avec une aisance déconcertante, (les passages de Mamy Modem à la jeune Data sont impressionnants, il faut bien le dire). Il était une fois Internet est un véritable récit conté (un curieux conte connecté, disent les auteures), doté d’une ambiance sonore qui vous plonge dans un bain de machines frais et envoûtant.
Les enfants adorent imiter les voix des personnages et hurler « vitesse lumière » en reprenant la chorégraphie de Data !
Ça n’est pas la première fois que des artistes font rimer Théâtre avec numérique, je vous parlais récemment de la pièce Le prochain train, montée par Orah de Mortcie, cette dernière questionnait nos usages des technologies avec finesse, du côté d’Il était une fois l’Internet, on est plutôt dans la pédagogie et l’explication des processus. Or à l’heure où l’on veut placer devant chaque élève une tablette avec en prime une solution Microsoft sur l’étagère, il devient nécessaire, voire vital, de fournir un minimum d’explication sur les tenants et les aboutissants de nos choix technologiques. Si Élodie Darquié et Maryse Urruty n’ont pas fait le choix de la lecture critique, leur œuvre est néanmoins une bonne introduction qui éveille la curiosité des plus jeunes, et c’est déjà pas mal. Quelques précisions en vidéo :
Enfin, notons bien que le fin mot de l’histoire d’Il était une fois l’Internet est selon moi tout sauf neutre, en effet, la pièce donne à voir un web fait par et pour les humains. A tel point que l’ambition affichée des auteures est faire comprendre aux enfants que ce web, c’est le leur, et qu’ils en seront les bâtisseurs : « Les enfants ne sont pas seulement consommateurs de contenus, ils sont aussi acteurs ». Or s’il ne fallait faire passer qu’un seul message, ce serait bien celui-là. Tout ce qui permettra l’appropriation d’Internet par les gens (en devenir) doit être encouragé, c’est peut-être la seule manière de construire demain des réseaux encore plus proches des Hommes.
Car oui, expliquer aux enfants (et même aux adultes), ce qui se joue dans les câbles, dans les boîtes, derrière les ventilateurs et sous les pixels, c’est leur permettre de saisir les dessous de la surface qui semble être Internet alors qu’elle n’en est qu’une surcouche, une représentation temporaire choisie par les humains à un moment donné et suivant certains intérêts (je parle bien sûr ici des plates-formes de contenu, des réseaux sociaux, des applications mobiles). Il était une fois l’Internet a le mérite d’ouvrir un accès au cœur – au core – d’Internet, préalable essentiel pour penser les réseaux et demain peut-être inventer un web heuristique et herméneutique, c’est à dire cet espace où l’on créé, où l’on s’exprime et où l’on fait des découvertes qu’appelle de ses vœux le philosophe Bernard Stiegler par exemple.
Il était une fois l’Internet : infos pratiques
Si vous voulez voir (avec vos enfants) Il était une fois l’Internet, rendez-vous à la Cité des Sciences et de l’Industrie :
- Les mardi 22 et mercredi 23 décembre à 14h et 16h30
- Le jeudi 24 décembre à 14h
- Les mardi 29 et 30 décembre à 14h et 16h30
- Le jeudi 31 décembre à 14h
Par ailleurs, les auteurs sont susceptibles de se produire partout où on les y invitera (Théâtres, écoles, centres sociaux, festivals, makerspaces…). Ainsi, si vous disposez d’un espace de 40m² et que le sujet vous parle, n’hésitez pas à les contacter sur leur site internet (elles fournissent même les coussins pour s’asseoir).
images © Elodie Darquié & Maryse Urruty (CC-BY-NC-ND)
[…] je rencontrai Maryse Urruty et Elodie Darquié lors d’une Ubuntu Party à la Villette (voir l’article ici). A l’époque toute jeune, la compagnie se produisait déjà dans les hauts lieux de la […]