« Il y a des phases dans l’histoire où les techniques défensives progressent plus vite que les techniques offensives. Ce sont des périodes où les guerres deviennent plus rares parce que le coût de l’attaque est plus élevé que celui de la défense. À d’autres moments, ce sont surtout les technologies offensives qui se développent. Ce sont des époques sanglantes où les guerres se multiplient, car attaquer coûte beaucoup moins cher que se défendre »
J’ai lu le livre de Giuliano Da Empoli, L’Heure des prédateurs. Plus en raison de l’impressionnante couverture médiatique que pour le propos lui-même. L’exercice de Da Empoli est celui d’un historien sens dessus dessous, comparant deux périodes aussi éloignées que la nôtre avec l’Italie de Machiavel et des borgiens, au XVe siècle – pour en tirer ce qui sonne comme un avertissement : « Une ère de violence sans limite s’ouvre en face de nous » (p. 49).
On ne pourra pas enlever à l’auteur de côtoyer les grands de ce monde, et d’en révéler l’immense cynisme, celui d’un Bukele au Salvador, s’auto-désignant comme le dictateur « cool », celui du prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed Ben Salman – évincant ses ennemis avec horreur. Mais aussi celui des « seigneurs de la Tech », D’Alexender Nix (Cambridge Analytica) adepte de la technique consistant à montrer la température dans les salles de cinéma pour y vendre du Coca-Cola, à Yann Le Cun, qui « fait penser à un Austin Powers qui serait devenu beaucoup moins rigolo avec l’âge » (p. 98)
Réchauffer l’atmosphère, au sens propre comme figuré, c’est là le projet d’une caste qui serait malade de son pouvoir et aveugle à ses retombées sur un débat public déjà éclaté façon puzzle, se nourrissant allègrement du « wokisme » (on aurait aimé l’ajout de guillemets), soit, selon l’auteur, l’addition des particularismes et leurs rejetons affectuels algorithmisés. Altman (Open AI), Brin et Page (Google) sont ainsi renvoyés à leurs hubris autistes (littéralement), à présent au service d’un président de l’instant, Trump, qui ne lit jamais rien, pas même une demie page. Des chiens dans un jeu de quille donc, sauf que les quilles, c’est nous.
Il n’est pas le premier à conclure sur l’idée que « L’IA est une forme d’intelligence autoritaire, qui centralise les données et les transforme en pouvoir » (p. 128) – pourquoi pas. Mais encore ? Défaut de la « Big history » romancée, elle peine à donner des prises, et chute sur l’anecdote d’un Maire français se battant contre Waze, presque en vain. J’en repars avec des questions : que faire d’un tel récit tendanciellement performatif ? S’agit-il vraiment de décrire le réel ou d’inviter là encore, à la sidération ? La prochaine étape consiste moins à se plaindre de l’époque qu’à lui opposer une réponse structurée. Se défaire des dépendances aux « Borgiens » est sans doute une étape importante. Regarder dans les yeux nos propres systèmes algorithmiques, locaux, nationaux, tout aussi gouvernants, est déjà une possibilité.
L’heure des prédateurs ou la fabrique de la sidération
