Les mardis de l’innovation sont des rendez-vous publics organisés par Marc Giget (presque) chaque semaine dans Paris. Il m’arrive de m’y rendre pour suivre les interventions qui sont dans l’ensemble de très bonne qualité, je n’en fais pas systématiquement des chroniques mais j’ai tiré quelques enseignements de la dernière séance. Je partage donc mes quelques notes ici.
La conférence du mardi 01 décembre avait pour sujet « Les freins à l’innovation », variation autour du thème « culture de l’innovation et du progrès humain » qui chapeaute cette fin d’année aux Mardis. Marc Giget recevait Yves Bambarger, ancien directeur R&D d’EDF, qui a pu mettre du concret sur une introduction haute en couleurs.
Des barrières à l’innovation multiples et qui varient selon les pays :
En réunissant une douzaine d’études menées ces dernières années à l’international dans les secteurs privés, publics, grandes ou petites structures, on constate que de grandes tendances émergent pour justifier les freins à l’innovation. Ce qui n’exclut pas cependant quelques surprises. Ainsi, selon l’étude The pursuit of Standard Operating Innovation (Sparksgrove, 2015) les principaux freins à l’innovation sont les « mentalités », la « peur du risque » et la « faible tolérance à l’erreur ».
Du côté des entreprises Européennes, l’incertitude sur les besoins du marché, l’incapacité des indicateurs de performance (KPI) à calculer un retour sur investissement (ROI) et la manque de moyens semblent justifier le retard de certaines organisations. Il est à noter que le manque de temps est un élément qui revient souvent : trop occupées par le court-terme et les reportings d’activité incessants, les organisations mettent l’innovation de côté. Elles se déclarent également trop préoccupées par la gestion de leurs produits actuels pour s’occuper du futur.
D’autres entreprises comme Nokia ont souffert d’une culture trop axée sur la technologie et pas assez sur les besoins du marché (ce qui explique en revanche le succès de l’iPhone, est-il besoin de le préciser…). En France, la peur du manque de débouchées peut bloquer l’innovation, ce qui explique assez bien l’engouement récent des grands groupes pour les approches « Lean » qui préconisent des itérations fréquentes entre l’entreprise et son marché pour vite pivoter en cas d’inadéquation de l’offre. Parions que cette approche sortira la France de sa tendance à faire de succès technologiques des échecs commerciaux. En d’autres termes, il faut s’occuper du marché en amont et tout au long de la production. Ainsi, quand on demande aux entreprises européennes pourquoi elles n’innovent pas, on obtient ceci (étude eurobarometer 315 attitudes of european entrepreneurs towards eco-innovation) :
Quand on regarde les réponses des 1000 plus grandes entreprises au monde, la réponse donne ceci (pour le coup, je laisse la diapositive diffusée lors de la conférence) :
Et ceux qui réussissent ?
Il semble que deux invariants ressortent dans les entreprises qui parviennent à innover : la diversité des profils et la gestion du temps. Un capital temps bien tartiné amène l’innovation en permettant de sortir la tête de l’eau. Les entreprises les plus innovantes ont souvent vu leurs succès commerciaux émerger de projets « libres » des salariés (comme le service d’email de Google, par exemple).
C’est une véritable culture du travail qui est par là battue en brèche. J’ai pour ma part dans mon entourage un certain nombre de managers presque satisfaits de « ne jamais avoir le temps », comme si c’était là un gage d’efficacité. Or pour innover, il faut savoir se poser.
Cet élément a retenu mon attention et a été largement soutenu par Yves Bambarger qui déclarait passer une journée par semaine à scruter les innovations du secteur. Au passage, l’ancien directeur R&D a décidé d’un quota de 20% d’étrangers dans les prochains recrutements. Imposer une telle décision ne s’est pas fait sans mal, et surtout pas sans dialogue. En fin de compte, Yves Bambarger a surtout montré qu’innover était affaire de conviction, voire de négociation avec les départements internes de l’entreprise, les fournisseurs, les actionnaires. Ce témoignage a pour mérite de corroborer une autre étude qui rappelle que les facteurs facilitant l’innovation sont aussi la qualité de la stratégie, la focalisation sur les retours des clients ou encore la présence d’outils de collaboration efficaces.
Autre point marquant de la séance, Obama réunissant les entrepreneurs de la Silicon Valley en 2013 pour leur demander ce qu’il faudrait changer pour innover plus efficacement : sans surprise, ceux-là répondent que l’Etat est trop présent (ils oublient au passage d’où vient Internet…), les embauches d’étrangers trop compliquées et que les Etats-unis sont le pire endroit au monde pour entreprendre. De quoi relativiser les alarmistes bien de chez nous adeptes du french-bashing, en fait, personne n’est content.
Pour retrouver le programme des Mardis de l’innovation, rendez-vous sur le site.