Sommes-nous l’ultime objet connecté ? Le numérique à la question au festival Futur en Seine

Paris, du 9 au 19 juin 2016, le festival Futur en Seine accueille débats et démonstrations autour du numérique et des nouvelles technologies. Difficile de manquer un tel rendez-vous annuel, à plus forte raison quand les sujets abordés sont éminemment actuels : bio-technologies, objets connectés, robotique… le festival de l’innovation technologique brasse large, une fois de plus cette année.

C’est à la Gaité Lyrique que je me suis rendu ce samedi pour assister à l’une des nombreuses tables rondes organisées par Futur en Seine. Le thème Sommes-nous l’ultime objet connecté ? a de quoi faire frissonner les curieux. De la Smartwatch d’Apple aux implants sous-cutané, le corps comme objet du réseau soulève tous les fantasmes et alimente les controverses entre technophobes, technophiles et techno-sceptiques.

Loin d’être une simple question technologique, l’extension de l’Homme par  les objets connectés est d’abord un sujet politique et éthique, c’est en tout cas l’essentiel de ce qui a été discuté par les intervenants de cette table ronde qui a réuni Daniela Cerqui, anthropologue, Sébastien Moussay fondateur de la société BodyCap (mesure des constantes pour les sportifs de haut niveau), Olivier Ami, informaticien et médecin, Clémence Gueidan, venue conter comment elle a choisi de se faire implanter une puce NFC sous la peau lors de l’Implant Party à Futur en Seine en 2015. Tout ce petit monde mis en musique par Amaelle Guiton, modératrice et journaliste chez Libération.

L’homme, simple élément du réseau, dans le réseau

Cela semble faire l’unanimité. En dehors des objets traditionnels tels les téléphones et les montres, l’homme est désormais connectable de multiples manières : tatouages, patches, puces, pilules. Pour Olivier Ami, la marche vers la mesure permanente des « constantes » est lancée, on sait déjà « agir sur les neuro-stimulations afin d’augmenter localement l’activité neuronale ». De là à inventer le « fœtus connecté », il n’y a qu’un pas, et on y travaille.

Étranges scénarios, épouvantables même, si l’on cédait à la panique. Mais c’est sans compter sur les énormes progrès que les NBIC ont permis dans le domaine de la santé au cours de la dernière décennie. Et puis il ne faudrait pas céder aux fantasmes, pour Sébastien Moussay, il est nécessaire de différencier les applications dites de « confort » des applications plus critiques, dans la santé notamment, ou encore dans les secteurs militaire et le sport de haut niveau. Le but n’est pas nécessairement de « comparer ses performances avec ses amis sur Facebook », ce qui relève parfois de la pathologie, mais bien d’assurer un suivi discret et optimal d’une personne volontaire.

Futur en Seine 1

Olivier Ami, « Les GAFA ne sont plus des entreprises mais des États numériques qui gèrent nos données. »

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Mais la technologie en reste rarement là où l’homme a voulu l’y mettre. Suivant ses propres cycles, elle bifurque parfois. La noble tâche qu’est celle de « réparer l’humain » prend doucettement la voie d’un rêve presque eugéniste : celui d’augmenter l’humain. Pour Daniela Cerqui, l’anthropologue qui a suivi Kevin Warwick (le premier homme à se faire implanter une puce sous la peau), la motivation profonde d’un tel projet  serait de transcender la condition humaine.

Pour les partisans de cette véritable idéologie, l’humain est obsolète, dépassé, il devrait fusionner avec la machine pour en garder le contrôle. Difficile de savoir qui avalera qui dans ce méli-mélo de code et d’organes où l’on confond semble-t-il, progrès technique avec volonté de puissance. Quand l’hubris de quelques orgueilleux trace une voie pour l’humanité, il convient de se demander où sont les garde-fous technologiques. Qui lèvera le voile sur ce que cache cette course folle vers cette arlésienne nouvelle de l’humanité, l’homme devenant Dieu lui-même ? Où sont les comités d’éthiques ?

Entre le possible et le souhaitable, qui doit décider ?

C’est bien la question. Si le progrès technique est une question politique, il s’agirait d’y greffer un peu de choix citoyen. Mais comme pour beaucoup d’autres sujets, la vulgarisation n’est pas toujours au rendez-vous. Dans un monde où la technologie nous est littéralement vendue comme une réponse à tous nos maux, difficile de prendre le recul nécessaire. Pour Olivier Ami, nous avons besoin de toute urgence d’un débat public et contradictoire. Il faut être proactif, si l’on doit attendre une hypothétique organisation mondiale, il est probable que l’on ne s’entende que dans deux cent ans sur des termes impliquant quelques ajustement dans les valeurs des uns et des autres.

Car c’est bien de valeurs dont on parle. Pour Daniel Cerqui, elles sont au centre du débat technique qui risque de les faire voler en éclat. Il y aurait par exemple incompatibilité entre vie privée et innovation technologique. Une pilule difficile à avaler car la controverse n’est évidemment pas si binaire, comme voudraient le faire croire ceux qui opposent le progrès technique de la Silicon Valley au sempiternel retour à la terre. Comme le rappelle Sébastien Moussay, un des axes fondamentaux pour le futur est bien de savoir à qui appartiennent les données, ces micro-parcelles de quotidiens qui servent à mettre le monde en 0 et en 1.

Ce nouvel eldorado de la donnée est aujourd’hui entre les mains des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), entreprises également leader dans la robotique et la santé, n’y voyons pas là un hasard. La convergence de toutes ces technologies produit déjà une nouvelle humanité en la projetant vers un avenir qui pour Daniel Cerqui ne relève d’aucun « projet de société ».  Un avenir qui n’est pas un devenir.

Le projet de société numérique est-il à Futur en Seine ?

Le projet de société numérique est-il à Futur en Seine ?

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Et pour cause, ces entreprises ultra-puissantes n’ont pas de projet de société qui ne soit celui de leurs intérêts propres. Mais ce serait une fois de plus binariser le débat que de les diaboliser sans comprendre les dynamiques qui les activent. Elles ne sont rien d’autre que les fruits trop mûrs d’une course effrénée vers la performance dans une économie mondialisée qui court après elle-même. Or si les garde-fous de l’innovation passent par un principe de précaution à la française ou de longs processus de validation éthique, il faudra compter avec un retard endémique dans cette grande compétition mondiale. Un coup de frein sur le PIB en somme. Ou plutôt un choix quant à la direction à prendre. Si comme l’écrit Ivan Illich « les valeurs limitent les outils », alors disons-le franchement : il s’agira de sortir de la marche du monde, pour le pire ou pour le meilleur.

Ou peut-être faudra-t-il convenir que la course vers l’homme connecté est inévitable car la technologie s’accorde parfaitement avec l’ère ultra-capitaliste. Ainsi, nous serions enfermés dans ce fameux « système technicien » décrit par Jacques Ellul, lequel suit ses propres buts et prospère quand on lui dégage la voie des « frictions humaines », aussi appelées régulations. Les valeurs, le droit, sont autant de ces frictions.

En attendant l’homme Dieu

Cette table ronde comme beaucoup d’autres, est l’embryon de ce débat public. Ne soyons pas naïfs, il ne concerne pour le moment qu’une ultra-minorité souvent déjà bien intégrée au milieu technologique. Mais il y a un début à tout.

Quant à savoir si l’homme – ou plutôt la femme –  connectée est à craindre, notons que quand on demande à Clémence Gueidan ce qu’elle fait de sa puce sous-cutanée (de la taille d’un grain de riz dans la main), elle répond qu’elle « n’en fait rien ». Il est encore impossible d’utiliser cette technologie pour payer un café ou entrer dans le métro. Si la jeune femme a voulu par cette expérience « éprouver le futur », force est de constater que l’environnement n’est pas encore adapté.

Laissons-nous encore quelques années.

Futur en Seine à la Gaîté Lyrique

Futur en Seine à la Gaîté Lyrique

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