Starting over

Qui sait lire entre les lignes des blockbusters apocalyptiques hollywoodiens s’est forcément posé la question : pourquoi est-il tellement plus simple d’imaginer la fin du monde que de le sauver ? Du Jour d’après (2004) à Dont’t look up (2021), le cinéma de fiction tend à montrer que face à la catastrophe, toute issue serait noire ou blanche. La vie ou la mort. Dans un article sur Financial Times, Rebecca Tamás (@RebTamas) s’interroge : un tel dualisme trahirait-il un désir de catastrophe ultime ? Et si oui, devrait-on aussi se demander, de quoi serait-il le nom ?

Revenons une minute sur le synopsis du film de Roland Emmerich Le jour d’après (bande annonce). On y retrouve les ingrédients classiques du film catastrophe : un scientifique désabusé (en l’occurrence un paléoclimatologue) que personne n’écoute, des élites hors-sol et bien sûr, un événement déclencheur qui change « le monde entier ». Dans Le jour d’après, c’est une énorme tempête qui frigorifie soudainement l’hémisphère nord, et ce malgré les avertissements du paléoclimatologue sur les dangers d’une fonte précipitée de la calotte polaire qui pourrait venir perturber les courants marins.

En quelques heures, les américains (il s’agira surtout d’eux) sont donc pour la plupart congelés, et les rares survivants – dont le paléoclimatologue et son fils – contraints de migrer vers le sud, en direction du Mexique. Le film raconte leur périple, dans un paysage d’immeubles enneigés sous des cris d’oiseaux en panique. Je partage avec Rebecca Tamás cette question : pourquoi ce film nous a-t-il fasciné·es adolescent·es, malgré sa pauvreté scénaristique, sa médiocrité scientifique ? Il y a certes, disions-nous, cette dualité qu’il propose face au désastre climatique : périr ou survivre. Mais peut-être aussi le sort fascinant réservé à ceux qui s’en sortiront. Ceux-là auront la garantie de laisser derrière eux ce mauvais souvenir : le changement climatique étant alors « terminé ».

Si l’on exclut ces quelques-uns, c’est bien un désir profond d’en finir qui domine, pour quasiment tous les autres. Une fin du monde oui, mais qui n’est pas pour autant une fin en soi. Ce point final est d’abord une pirouette qui permet de grandement simplifier la complexité devant laquelle nous nous trouvons face au réchauffement climatique et les questions épineuses qu’il pose, comme par exemple : que faire pour gérer l’inégale répartition de ses effets ? Mourir est finalement beaucoup plus simple que d’apprendre à partager les richesses, transformer les villes, rebattre les cartes de la propriété du capital, etc. Magnanime, Rebecca Tamás souligne sans trop y croire que la catastrophe ultime est peut-être une manière de susciter l’action par la peur, et donc de promouvoir des changements de comportements pour le meilleur. Elle alerte cependant, ces films ont eu sur elle l’effet inverse, la plongeant dans une situation de dépression, jusqu’à ce qu’elle déchante totalement : « ces films riment avec bravoure et résilience, mais il promeuvent également l’idée que la destruction serait inévitable, qu’on ne pourrait pas y échapper ». En effet, à la fin des fins, il n’y a plus d’espoir.

Sans nul doute, nos histoires et nos imaginaires sont performatifs. Ils ont le pouvoir de changer le monde, de modifier la manière avec laquelle nous répondons aux crises, de préférence avant qu’il ne soit trop tard. C’est en tout cas le point de vue du critique littéraire Martin Puchner dans son ouvrage Literature for a changing planet, où il avance que le traitement hollywoodien de l’apocalypse est problématique dans la mesure où il paralyse plus qu’il ne pousse à l’action. L’éco-fiction Don’t Look up l’illustre bien, avec ce même dualisme (mourir ou survivre) face à la catastrophe annoncée. Le problème immense au centre du film – et auquel nous faisons face dans la vraie vie – est ainsi lissé dans sa complexité. Nous aurions dès lors besoin, selon Tamás, de sortir de cette vision pernicieuse qu’est l’annihilation totale. En somme, sortir des récits apocalyptiques dont l’issue est toujours certaine, nous défaire de cette idée selon laquelle les effets du dérèglement climatique ne pourraient finalement pas être anticipés et atténués. Tout se passe comme si cette inévitable apocalypse, nous la mériterions, parce que la nature humaine est ainsi faite que nous détruisons fatalement tout ce que nous touchons.

Tirant le fil, Rebecca Tamás avance que c’est bien la nature humaine qui dans ces scénarios, se trouve placée sur le banc des accusés. Si, parce que l’évolution nous mène invariablement à produire des tonnes de déchets de toutes sortes, nous ne sommes qu’une espèce nuisible à nous même, aux vivants et aux non-vivants, alors notre sort n’est peut-être qu’un juste retour de bâton. Une punition divine aux relents sectaires. Thèse loufoque, mais mentionnée ici et là, en 2009 par exemple, dans le manifeste « Dark Mountain » de Paul Kingsnorth et Dougald Hine, des auteurs persuadés que nous serions déjà condamnés à cette inévitable chute qui dès aujourd’hui, devrait doucher tous nos espoirs.

C’est là que la réflexion de Rebecca Tamás se fait réellement critique. La chute est selon elle, une perspective avant tout mise en avant par des populations qui en réalité, ont peu de chance de s’y retrouver confrontées. Des populations privilégiées, blanches, occidentales et sans problèmes financiers notables : « c’est très facile d’accepter d’être condamné, et donc de ne pas s’inquiéter du dérèglement climatique, quand votre maison n’est pas balayée par une inondation, quand vos enfants ne sont pas mal nourris en raison d’une sècheresse ». A revers, les personnes qui se retrouvent concrètement dans ces situations terribles de catastrophe n’ont d’autre choix que justement, celui de l’espoir. Ainsi, les citoyens des pays les plus touchés par le dérèglement climatique, comme les pakistanais par exemple, dont 1600 sont morts sous les inondations cette année, n’ont pas le luxe d’attendre la fin du monde. Ils sont besoin que des actions soient mises en place immédiatement pour éviter ou atténuer les prochaines catastrophes. Dans un registre un peu différent, on retrouve ces mêmes fausses inquiétudes chez les long-termistes, ces hurluberlus qui s’inquiètent de la mort du soleil mais dont on pressent qu’aucun dans sa vie quotidienne, ne souffre de la peur du lendemain par manque d’argent ou faute d’un toit.

Certains récits font exception, écrit Rebecca Tamás. C’est le cas par exemple du film The Road (2009), tiré du livre éponyme de Cormac McCarthy. Il met en scène un père et son fils déambulant dans les décombres d’un monde post-apocalyptique. L’histoire finit mal (spoil : le père meurt), mais le fils est finalement adopté par une famille bienveillante. On y retrouve un traitement plus fin et proche de la réalité, sensible aux pertes auxquels les humains font réellement face pendant ou après une catastrophe. Cependant, il est là aussi question d’un événement soudain, qui commence et qui finit. The Road entretient aussi ce désir d’une catastrophe brutale mais qui ne dure pas. Un imaginaire du désastre qui ne correspond pas nécessairement à la lente détérioration des conditions de vie auquel pourrait mener non pas un événement soudain, mais un processus au long cours comme le dérèglement climatique qui est par définition diffus, multi facettes, inéquitablement distribué.

***

Sans refaire l’histoire de la collapsologie et de ses nombreuses limites, je partage pleinement l’avis de Rebecca Tamás. J’imagine en revanche qu’il puisse exister des peurs, des angoisses et même des formes de désespoirs qui parfois, poussent à l’action. Il y a cependant une autre force motrice qu’il me paraît important de ne pas négliger. Elle est perceptible me semble-t-il, si l’on ne se contente pas de détecter cette « envie d’en finir », mais qu’on se demande avec quoi, et pour quoi. Car il s’agit bien souvent d’en finir pour repartir sur de nouvelles bases : faire table rase. Dans Le jour d’après, comme le rappelle Tamás, le soleil brille de nouveau à la fin du film. Dans Don’t Look up, on assiste en épilogue à cet hilarant pastiche « escapiste », où les plus riches habitants de la Terre se retrouvent sur une planète absurde peuplée de pseudo-dinosaures tout aussi comiques. Nous parlons ici de fictions hollywoodiennes, toutes éprises des mêmes sentiments et réflexes propres aux Etats-Unis. L’un de ces réflexes est l’appel incessant à ce processus de recommencement : « starting over ».

Indéniablement, l’idéal utopien nord-américain est pied-poing liés à cette mémoire collective (aussi construite socialement) : fonder coûte que coûte de nouvelles communautés par-delà l’influence des anciennes sociétés qui seraient par essence corrompues et malsaines. Cet idéal rime avec émigration, sur Terre et demain dans l’espace, avec la recrudescence d’idées escapistes (par exemple : aller vivre sur Mars), qui perpétuent cette quête d’un passage entre l’ancien et le nouveau monde. C’est ce qui explique pourquoi une petite communauté de « spatiofans » défend becs et ongles le voyage vers d’autres astres – quitte à vivre sous terre ou dans des boîtes en métal, quitte à manger la même nourriture infecte tous les jours, quitte à devoir s’imposer les mêmes visages toute sa vie durant. Quitte donc, à laisser de côté le fameux « way of life » à l’américaine qui pourtant, semble si cher aux élites du pays (dans la mesure où tout le monde n’en bénéficie pas).

Entendons-nous, ce désir de nouveau commencement n’a pas toujours vocation à ouvrir un Eden où la vie serait à la fois simple et facile. Pour redémarrer le monde, il faut du courage et de la persévérance. Il faut savoir prendre des risques et faire des sacrifices. Dans ce registre, la série The Walking Dead, où une épidémie soudaine transforme presque toute l’humanité en mort vivants, obligeant les quelques survivants à vivre reclus et à refaire (difficilement) civilisation, exalte à sa manière ce même sentiment de « starting over ». Autant qu’elle exalte les valeurs propres au nouveau monde : la liberté, la famille, les armes, l’esprit des pionniers. On y retrouve le même schéma traumatique que dans Le jour d’après : un événement soudain qui force au départ, qui pousse à la conquête, à la redéfinition des frontières. La suite, l’après, l’ailleurs : tout cela compose une toile faite de nouveaux défis et d’opportunités. Un nouveau Far West, avec ses vastes plaines vierges et inoccupées, offertes aux nouveaux venus qui ne manqueront pas de les exploiter, encore et encore.

« Starting over », c’est donc assumer la rupture entre l’ancien et le nouveau, mais aussi entre l’ennuyeux et le passionnant. L’apocalypse climatique – si tant est que l’on appartienne aux populations privilégiées que situe Rebecca Tamás – est plus exaltante qu’une adaptation fastidieuse et monotone aux conditions de vie qu’imposerait réellement un nouveau régime climatique. De la même manière, Mars intéresse plus (certains) humains que la Terre, parce c’est un défi plus galvanisant que la stagnation, plus excitant que de moisir dans l’opulence décadente d’un présent compliqué qui ne fait en aucun cas appel au courage, à l’aventure, voire à l’héroïsme. Bruno Latour l’évoquait dans un texte à la revue Bascule : « Mars ressemble à l’idéal de la planète, sans vie, et révèle de façon frappante comment ceux qui rêvent d’y migrer imaginent la Terre enfin débarrassée des lenteurs, des lourdeurs, des complications que la continuelle interruption des vivants impose à tout déplacement ».

Le récit climato-apocalyptique a puisé dans le catastrophisme hollywoodien classique. De ce point de vue narratif, le climat est à mettre sur le même plan qu’une bombe, une attaque chimique ou une catastrophe naturelle avant tout caractérisée par son caractère ponctuel. Pour être plus spécifique, je pense ici à des films comme Deep Impact (1998) ou encore Greenland (2021) qui mettent tous deux en scène la chute inévitable d’un astéroïde sur la planète Terre, et la destruction quasi-totale de celle-ci. Sans surprise, l’événement arrive : c’est la fin du film. Mais survivent quelques communautés choisies, élues. Celles-ci bénéficient alors d’une Terre nouvellement vierge. Cela relève sans ambiguïté du récit religieux bas de gamme : dans Deep impact, Elija Hood et Leelee Sobieski, alors adolescents, se tiennent la main, tels Adam et Eve, devant un monde dévasté, prêts à tout recommencer. Dans Greenland, les survivants redécouvrent le monde après une année d’isolement dans un bunker, et s’émerveillent devant une nature qui reprend délicatement ses droits.

***

Est-il encore besoin d’épiloguer sur le fait qu’existent, par-delà ces imaginaires raccourcis, quantités de récits mobilisateurs à l’endroit des questions environnementales, à l’encontre des apocalypses destinales ? Un détour par une récente conversation sur France Culture, Affinités culturelles, donne quelques versions de ces récits (il y en aurait d’autres mais celles-ci étant directement disponible, pourquoi m’embêter ?). On y entend la photographe Andrea Olga Mantovani, autrice avec Baptiste Morizot de S’enforester (éditions D’une rive à l’autre), raconter son passage dans la ZAD d’une des dernières forêts primaires d’Europe, la forêt de Białowieża, où des personnes se sont mobilisées contre l’augmentation des coupes annoncées par le gouvernement. Je cite Andrea Olga Mantovani qui conclut, expliquant que la ZAD a gagné : « Rien n’est perdu, la solidarité entre humains peut amener à de grandes réussites. Leur dossier a été présenté devant la cour de justice européenne. Grâce à leur action, Biaoveja a été protégée et fait office de jurisprudence pour les autres forêts primaires en Europe. » Quelques minutes plus tard, Zephyr, auteur de la toute poétique bande dessinée La mécanique des vides (Editions Futuropolis) évoque quant à lui la multitude d’émotions et affects auxquels l’art peut faire appel pour susciter l’action, et rappelle l’importance de « contrer les narrations hollywoodiennes apocalyptiques qui nous brossent un futur forcément conflictuel, forcément dramatique, qui voudrait que chacun s’entretue en temps de crise alors qu’on sait qu’on est bien plus faits d’entraide ». Autrement dit, l’humanité peut se révéler de mille manières avant l’apocalypse, avant de tout recommencer… comme avant.

Irénée Régnauld

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jojo
jojo
1 année il y a

Il est temps de vous intéresser aux origines du récit apocalyptique sur le réchauffement climatique : le faible nombre de climatologues dans les années 70, la création du GIEC, les positions du GIEC à ses débuts, les départ et débarquement du GIEC, le nombre de nouveaux sicentifiques climatologues nés avec le GIEC, la petite part parmi eu qui s’intéressent aux causes, la suppression du Moyen Âge des comparaisons passées avec not. les vignes aux UK, etc.

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