Pourquoi je n’ai pas écrit sur Pokemon Go cet été, les raisons du silence

L’été passant, personne n’a pu rater le phénomène Pokemon Go. Le jeu a fait la une de tous les journaux un peu sérieux, à l’exception de Mais où va le web, bien sûr. A ce propos, vous avez été quelques-uns (quelques milliers tout au plus), à me demander pourquoi je n’avais pas écrit sur le jeu vidéo de l’année, le jeu vidéo qui fait se déplacer des centaines de badauds dans des avenues, dans des musées, dans des boutiques (dans des banlieues ?).

Bon, évacuons d’entrée de jeu ce qui a pu se dire sur le sujet : jeu vidéo édité par Niantic, société appartenant à Google, Pokemon Go fonctionne grâce au couple réalité augmentée / géolocalisation. En gros, il faut attraper des bébêtes qui se superposent à la réalité filmée par votre smartphone. Mais est-ce utile de le préciser ? Comme le jeu a généré pas mal de situations cocasses et de fantasmes mêlant totalitarisme et stratégie marketing, on peut facilement comprendre le buzz qui agitât la scène estivale. Et c’est vrai, dans tout ça, je n’ai pas traité le sujet, pourtant il y avait de quoi. Voici donc un retour sur le pourquoi du comment :

J’étais en vacances

Ben oui, tout simplement. J’avais même prévenu que je ne publierai probablement rien pendant l’été. Mais voilà, avec ces confusions de plus en plus pernicieuses entre vie professionnelle et vie personnelle, on en oublierait presque que les vacances sont là pour arrêter de bosser. Pour lâcher son téléphone, couper le réseau.

Du coup, je n’ai pas pu écrire sur les Pokemon légendaires qui auraient pu croiser ma route cet été, entre Saint-Trojan les Bains (oui, ça existe) et l’île de Ré, où j’ai l’habitude de côtoyer toute la clique de l’élite des blogueurs. Ils se reconnaitront.

Je suis contre l’accumulation du capital, et des Pokemons

Oui, je n’ai jamais vraiment eu de passion pour l’accumulation. Je sais que la collectionite est une tendance lourde du capitalisme, et probablement une des raisons même des maux de l’humanité : il faut « posséder ». Une maison en banlieue, un compte Facebook, une barbe de hipster ou un Pokemon. Puis il faut ranger dans des cases, comparer, faire entrer en compétition, etc.

Roland Barthes disait que « La passion du classement apparaît toujours byzantine à celui qui n’y participe pas », et il n’avait pas tort, même s’il n’a pas eu la chance de connaître le jeu Pokemon, dieu l’en préserve. Qui plus est, j’ai toujours du mal avec l’intrusion que peut représenter un Pokemon, tout virtuel qu’il soit, dans un espace public. J’oserais même dire que la virtualité n’exempte pas des responsabilités de l’existence (celle-là même pouvant être actualisée, et donc plus du tout virtuelle, ajouterait sans doute Deleuze).

Et puis pourquoi vouloir sans cesse tout capturer ? Foutons la paix aux Pokemons, voilà vingt ans que les pauvres bestioles sont traquées par des pré-ados aux cheveux gras, enfermés toute la journée dans des boules minables et sortis seulement pour se mettre sur la gueule avec d’autres bestioles qui n’ont rien demandé. Il serait temps d’arrêter avec cet image de l’Homme maître et possesseur de la nature. Libérons les Pokemons.

J’ai ce côté totalement réactionnaire

Au bout d’un moment, il faut savoir se regarder en face. Honnêtement, je n’ai rien contre le jeu Pokemon, du moment qu’on s’arrête à la version Bleue. A la limite, la version jaune passe encore, même si c’était l’occasion d’installer une hiérarchie absolument dégoûtante entre Pikachu et ses confrères pas moins mignons.

Je ne peux pas non plus nier qu’ayant ici-même chroniqué un certain nombre d’ouvrages portant sur l’économie de l’attention et les stratégies d’occupation du temps de cerveau disponible, il est devenu difficile de ne pas lever le voile sur ce qu’est réellement Pokemon : une fabrique à comportements standardisés. Bien sûr, je ne nie pas que le jeu puisse être absolument drôle et envoûtant, bien que totalement inauthentique et aliénant.

Loin de moi l’idée de retirer aux joueurs leur sacro-saint droit au divertissement, mais je n’en pense pas moins. Bref, vous pourrez y voir une tendance imbécile à ne pas aimer ce que les autres aiment, ce qui ne m’empêchera pas dans un futur proche de priver ma propre fille de Pokemon Go et d’ajouter « tiens, ça c’est du jeu vidéo » en lui tendant une Game Boy Color à écran cristaux liquides, édition 2001. La veinarde.

J’ai déjà un Pokémon à la maison

Voilà enfin une raison un peu plus sérieuse de ne pas avoir pu parler de Pokemon cet été. Ayant téléchargé puis testé l’application moins d’une trentaine de minutes, je m’aperçu qu’un autre Pokemon réclamait mon attention dans une réalité qu’on ne peut pas éteindre. Pas de bouton OFF ni d’écran tactile sur cette machine humaine, cet être de culture qui évolue tous les jours.

Ma fille ayant atteint l’âge de six mois à l’occasion de la release officielle du jeu en France, il fallu choisir à qui fournir super-bonbons, temps disponible et balades en poussettes. Et je mets au défi n’importe quel jeune papa de faire plus de cent mètres smartphone dans une main, poussette dans l’autre, dans les avenues parisiennes. Même en août.

Je préfère la drogue aux Pokemons

Comme tout jeune papa dormant relativement peu, je prends tout un tas de drogues, psychotropes et opiacés afin de tenir la charge de cette vie densifiée. Si Pokemon délivre, il est vrai, sa dose de dopamine et autres shoots quotidiens, les hallucinations collectives du jeu n’égalent en rien un bon TAZ. Par conséquent, il est probable que je reste hors du coup jusqu’à la mise à jour du jeu en méthylènedioxyméthamphétamine sur le Play Store.

Et puis entre nous, si Pokemon Go produit son lot de morts imbéciles, comme le selfie en son temps, je préfère en finir avec une classique et non moins efficace overdose, qui aura le mérite de me rapprocher des mes idoles de jeunesse. Tant qu’à préférer un monde parallèle et dégrader la triste réalité quand il vient à manquer, autant faire ça bien.

Parce que à quoi bon ?

Enfin, pourquoi me noyer consciemment dans le raz-de-marée d’articles qui cet été, on ponctué nos flux Facebook et Twitter d’autant de publicité à peine dissimulées pour le jeu vidéo de l’année ? Le temps d’écrire quarante mots de ce billet dans Evernote, et voilà que le logiciel me proposait déjà une série de billets connexes pour bien me rappeler à quel point je n’étais ni original ni unique. Quelle perte de temps.

Pokemon Go

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Camille Gillet
7 années il y a

J’adore !

J’adore ton article, parce qu’en plus d’être drôle et attendrissant, il est très respectueux je trouve des deux avis sur PokémonsGo, tout en proposant en plus quelques pistes de réflexion.
Mention spéciale pour le phénomène de collection, j’avais pas percuté ça comme ça, mais c’est assez vrai, et je comprends quelque part mieux pourquoi, moi, je ne me suis pas mise à ce jeu.

Bref, je prends, et je partage ! Une belle rentrée, en somme.

Georges Bloyer
Georges Bloyer
7 années il y a

Ce post me fait un bien fou. A plus de 62 ans je trouvais ma réaction assez détachée envers ce phénomène contre nature pour moi, c’est à dire assez réac. Merci de son contenu argumenté dont je partage bien des éléments. Bon courage pour l’éducation de votre fille, mais je sens qu’elle est entre de bonnes mains.

Aldeas
Aldeas
7 années il y a
Reply to  Georges Bloyer

Parfois être un peu réac, ça aide à ne pas dire oui à tout ^^

Esther
7 années il y a

Chouette article, tout dans la tendresse, l’humour et le respect ! Je crois que tu as su poser des mots sur mes pensées et synthétiser de manière intelligible mon ressenti face à ce « phénomène » et tout ce qu’il entraîne…

SANDDELA
7 années il y a

Bon, moi j’ai écris sur mes premiers pas sur ce jeu malgré le regard pathétique de ma fille de 20 ans. J’ai fini par lui montrer le week-end dernier et elle était très fière quand même d’attraper son 1er Pokemon ! Au delà des pour et des contre, je suis impressionnée par la vitesse de la démocratisation de la Réalité Virtuelle et Augmentée. Fin Juin, c’était Vivatech avec quelques happy few qui testaient avec des casques adaptés. Et fin juillet, le monde VR et AR s’installaient dans notre quotidien avec un simple smartphone, même si l’expérience n’est pas la même bien sûr. La porte est ouverte !
Merci beaucoup pour cet article toujours extraordinaire, surtout pour quelqu’un qui n’a pas le temps d’écrire ! Et la meilleure expérience est celle de la vie ! Beaucoup de bonheur avec le p’tit Ppkemon qui deviendra trop vite grand !

Germain Huc
7 années il y a

Comme toujours ce regard perçant et décalé, cette verve et cet humour!
Mon associée, la quarantaine elle aussi, s’y est même mise avec ses deux ados, regrettant qu’il n’y ait pas de bestioles à capturer dans les alentours du cabinet médical… Le jeu nous a quand même bien fait rire lorsque nous avons imaginé qu’une bébête pourrait se tenir juste sur l’épaule d’un patient, ou sur l’épaule du médecin, et les situations cocasses que cela pourrait engendrer.
J’ai toujours eu tendance à trouver que le plus intéressant, dans les jeux, c’est ce qu’on en imaginait nous mêmes…

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