Le “CookieWall”, solution pour continuer à tracer malgré le RGPD

Un article proposé par Karl Pineau (@KarlPineau), doctorant en sciences de l’information et de la communication et membre du collectif Les Designers Éthiques, un collectif qui promeut la conception de services numériques responsables et durables.

Ces dernières semaines, il est possible que vous ayez constaté l’apparition d’un nouveau système de paywall sur les sites que vous fréquentez. Ce nouveau système se transcrit par une fenêtre que vous voyez apparaître à l’écran lorsque vous refusez le dépôt de cookies et le traçage de vos données personnelles. Elle vous impose alors soit de revenir sur votre choix, soit de souscrire à un abonnement payant sur le dit-site. Plus qu’un PayWall ou un CookieWall, il s’agit ici d’un PayOrTrackWall. Exemple ci-dessous sur le site de JeuxVideo.com.

D’où vient cette nouvelle pratique ?

Difficile de lister l’ensemble des sites y ayant recours à l’heure actuelle, mais nous pouvons déjà dire que cela concerne la majorité des sites des groupes Webedia et Pisma Media.

Cette pratique imposant à l’utilisateur de revenir sur sa volonté de ne pas être pisté ou de souscrire à un abonnement payant est la double conséquence directe du durcissement de la position de la CNIL concernant de la conformité des bandeaux RGPD et d’un avis de la CNIL indiquant que cette pratique d’imposition de l’abonnement payant pourrait être compatible avec un choix libre et éclairé de l’utilisateur.

Un choix libre et éclairé de l’utilisateur, vraiment ?

Le principe de base du RGPD est le consentement libre et éclairé de l’utilisateur à la collecte de ses données personnelles. Il ne fait pas de doute que l’interface mise en place ces dernières semaines permet bien à l’utilisateur de techniquement effectuer un choix. Soit il clique sur le bouton d’abonnement, soit il clique sur le bouton d’acceptation des cookies.

On notera d’ailleurs que pour une fois, les deux calls to action sont présentés sur au même niveau de hiérarchie d’information, quand bien souvent la fenêtre d’information RGPD classique met elle largement en avant l’acceptation du pistage.

Exemple sur le site du Monde.fr où l’option pour “continuer sans accepter” n’est pas mise au même plan que l’option “Accepter”

Néanmoins, peut-on décemment penser que cette interface proposant un choix entre payer ou être pisté permet un réel consentement libre et éclairé de l’utilisateur ?

Imaginons par exemple que vous cherchiez une recette de cuisine comme cela peut arriver de temps en temps. Vous cherchez sur votre moteur de recherche préféré “pizza aux quatre fromages” et l’un des premiers résultats à apparaître est bien sûr lié au site Marmiton, l’une des principales plateformes de recettes de cuisine.

Va pour Marmiton. En arrivant sur le site, celui-ci vous demande si vous acceptez les cookies. Vous ne souhaitez pas être pisté, donc vous refusez. Et là, une fenêtre s’ouvre pour vous demander soit de renoncer à votre choix et d’accepter le pistage, soit de souscrire un abonnement mensuel.

Ce renoncement au choix est d’ailleurs explicitement mentionné par le site : “je change d’avis […]”.

Dans ce cas d’usage, est-il raisonnable de croire qu’un utilisateur va souscrire un abonnement mensuel ?

Pour une recette qu’il pourra par ailleurs trouver sur d’autres sites gratuitement, qu’il n’a même pas pu lire auparavant et dans un contexte où il n’aura pas eu le temps d’évaluer réellement la pertinence de cette souscription ?

Vous-même, envisagez-vous sérieusement dans cette situation vous abonner à ce service ? Et plus généralement, envisagez-vous sérieusement de souscrire à un certain nombre des services ayant déployé ce type d’abonnement ?

En tant qu’utilisateur de JeuxVideo.com, notamment connu pour son forum, c’est-à-dire un espace d’échange, et non une source d’information, envisageriez-vous sérieusement de vous abonnez pour pouvoir y accéder ?

Il me semble que la réponse est évidemment : non. Et que tout le monde en est conscient. L’interface présentée à l’utilisateur constitue alors un bel exemple de leurre : en offrant un choix qui n’en est en réalité pas un à l’utilisateur, le service et son interface obligent ce dernier à choisir celui qu’il avait pourtant indiqué ne pas vouloir à l’étape précédente, car l’autre choix paraît encore moins acceptable.

L’économie de l’attention : une situation intenable

On ne peut finir ce billet sans évoquer ce qui constitue au fond le vrai problème de cette histoire : l’économie de l’attention. Le fait est qu’un grand nombre de sites, notamment de médias, se financent par le biais de la publicité ciblée et du traçage des internautes.

Il va de soi que le RGPD imposant le consentement de l’utilisateur à son pistage, l’usage grandissant des ad-blocks et autres plugins anti-pistages, et la volonté de Google d’en finir avec les cookies tiers, induisent une situation économiquement intenable pour ces services numériques. D’un côté, leurs sources de revenu s’amenuisent à vue d’oeil, de l’autre, leurs coûts de production sont quant à eux toujours présents. Le PayOrTrackWall que nous avons décrit est une tentative – bien mauvaise – de sortir de cette situation intenable.

Que peuvent donc faire ces services pour sortir de cette situation ?

Première hypothèse : sortir de l’économie de l’attention. C’est le choix opéré ces dernières années par une partie des pure players médias et qui ont renoué avec succès avec la pratique de l’abonnement : Mediapart en est l’exemple le plus connu, nous pourrions citer également Les Jours, AOC ou Arrêt sur images. Ici, le financement du service n’est plus dépendant du traçage de l’utilisateur.

Seconde hypothèse : renoncer à la publicité ciblée. Quel est le véritable gain d’une publicité ciblée par rapport à une publicité non ciblée ? Achetez-vous vraiment la paire de chaussures vue sur un site (mais dont vous n’avez visiblement pas voulue, sinon vous l’auriez achetée) qu’on vous repropose ensuite sur tous les sites que vous visitez ? Nombreux sont ceux qui remettent en question la plus-value économique de la publicité ciblée, qui ne rapporterait en réalité que quelques pourcents de clics supplémentaires, alors même qu’elle nécessite de tracer les utilisateurs en permanence.

Peut-on raisonnablement croire que Webedia et les autres sites pratiquant cette nouvelle forme de PayOrTrackWall choisiront l’une de ces deux voies ? Probablement pas. Mais l’on peut espérer que cette nouvelle interface sera vite rejetée, tant par les utilisateurs que les autorités de protection des données personnelles. La pression pour un renouveau du modèle économique continuera alors de s’accentuer sur ces sites, qui devront alors opérer de vrais choix.

En savoir plus sur ce nouveau système de “CookieWall” ? Je vous recommande cet article de PixelLibre : https://pixellibre.net/2021/04/cookie-wall-quand-vont-ils-arreter-de-nous-prendre-pour-des-abrutis/

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