On lit beaucoup qu’Internet est une « révolution », que les nouvelles technologies (NTIC, NTICI, BNC) sont « de nouvelles pistes de croissance » inexplorées qui « changeront la face du monde ». Pour autant, les 20 dernières années d’innovation sont-elles sans précédent dans l’histoire humaine ? Internet a-t-il vraiment changé la donne ?
C’est avec un coup de pouce de l’économiste Coréen Ha-Joon Chang que ce billet tempérera la prose qui romantise exagérément l’impact des fabuleux gadgets virtuels et matériels de notre époque.
Relativiser l’impact d’Internet, c’est avoir les pieds sur terre
Ha-Joon Chang est professeur d’économie à Cambridge, disciple de Stieglitz et détenteur du prix Léontieff, il est un des économistes hétérodoxes les plus écoutés de la décennie.
A l’en croire, on attribue à Internet un rôle émancipateur excessif par pure nécessité idéologique : faire accepter comme un axiome l’idée d’un monde libéré de toutes frontières (entendre frontières comme protections, régulations).
Ainsi, il ne faudrait pas « tenir le télescope dans le mauvais sens » quand on regarde le passé : si Internet a d’incontestables acquis, il ne peut pas se prévaloir d’avoir fait gagner aux femmes 3 heures par jour tout en propulsant leur existence sur le marché du travail. La machine à laver, si.
« Une étude du milieu des années 1940 réalisée par l’US Rural Electrification Authority indique que l’introduction de la machine à laver et du fer à repasser électrique a divisé par 6 ou presque le temps nécessaire pour laver 17 kg de linge (…) »
Le télégraphe explose littéralement Twitter
Avant l’apparition du télégraphe, un message transatlantique demandait 3 semaines de transport. Le fameux câble de Guillaume Amontons divise tout simplement par 2 500 ce temps d’émission. Quelques 300 caractères sont transportés en 6 minutes.
Twitter transporte ses 140 caractères en… disons 2 secondes, ce qui réduit par presque 200 la prouesse précédente. Loin encore des 2 500, de quoi rappeler à une certaine humilité.
Un ordinateur ne se mange pas
La machine à laver, le lave-vaisselle mais avant tout l’eau courante sont les révolutions qui ont réellement fait bondir l’humanité. Aller chercher de l’eau demande jusqu’à 2 heures dans la majorité des pays sous-développés.
Parallèlement, le taux d’équipement en terminaux connectés en Occident conduit à une « fracture numérique » qui a fait perdre de vue certaines évidences. A titre d’exemple, les initiatives comme « One Laptop Per Child » (L’ordinateur à $.100 pour le tiers-monde) soulèvent de nombreuses questions : l’accès à l’information et – disons le – au mode de consommation occidental doit-il constituer une priorité dans ces régions ?
Ne faudrait-il pas mieux « creuser des puits, étendre le réseau électrique, fabriquer des machines à laver moins coûteuses ? »
Le vocabulaire de l’innovation est-il trop exclusif ?
Internet nous a incontestablement fait gagner un temps précieux, notamment lorsqu’il s’agit de chercher et de trier. Cependant, résumer l’innovation aux start-ups digitales et au code informatique est contre-productif, voire dangereux. En vérité, même lorsque leurs impacts sont significatifs, elles créent relativement peu d’emplois.
La fascination pour l’immatériel ne doit pas éclipser l’importance de l’industrie classique. Dans un précédent article, Marc Giget, Président de l’European Institute for Creative Strategies and Innovation, déclarait que la mode au « FabLess » pour « pas d’usine » avait été une erreur stratégique et une illusion contemporaine (voir Le mythe de la destruction créatrice).
Accessoirement, le temps gagné grâce au réseau des réseaux n’a pas empêché la tendance à la réduction du temps de sommeil par habitant. Le système semble d’ailleurs auto-entretenir la dynamique moyennant toutes sortes de capteurs qui monitorent notre santé, notre sommeil (voir, Quantify-self, la société qui avait décidé de tout noter).
La révolution, ça n’est pas que des 0 et des 1.
En effet, une révolution c’est « ce qui tourne ». Par conséquent, la machine à laver semble tomber à point nommé pour devancer Internet dans cette définition.
Quand l’essayiste américain Jeremy Rifkin parle d’Internet dans La troisième révolution industrielle, il l’aborde comme une « manière de communiquer » qui accompagne d’autres changements. Il s’agit d’un moyen et non pas d’une fin.
Alors, ne nous laissons pas noyer dans ce qui n’est pour le moment rien d’autre que de la communication de marque. Le « This is a revolution » de Steve Jobs n’est en vérité qu’une approche Marketing, certes géniale, mais qui ne saurait prendre le pas sur la réalité des changements humains.
C’est chouette, Il marche bien le flux RSS ! 🙂
Un commentaire court par rapport à ton billet :
Il faut toujours garder en tête la pyramide de Maslow pour rester les pied sur terre, l’innovation ne vaut que si les besoins essentiels sont assurés !
Juste pour te féliciter, car j’aime beaucoup ton blog.
Tiens, au passage, une petite émission qui peut ouvrir quelques pistes concernant ce que pourrait être une « révolution » du numérique (qui certes est plus large qu’Internet) : http://www.franceculture.fr/emission-ce-qui-nous-arrive-sur-la-toile-une-societe-de-donnees-ce-n-est-pas-comme-une-societe-de-st 😉
Merci ! Intéressant ce passage sur le passage de la statistique aux algorithmes. On a souvent tendance à voir le côté négatif, commercial, panoptique (enfin, tout dépend d’où on se place), et on entend rarement parler du fait qu’ils puissent donner une autre vision de la société en établissant des liens inconnus. Je ne connaissais pas « place de la toile », je bookmark évidemment et je garde ça bien au chaud pour quand mes oreilles ont du temps.
C’est doux de lire un blog web-technophile qui relativise l’importance du web.
Petite précision du casse-couille de service : Amontons n’a jamais réellement achevé le développement de son télégraphe, c’est bien Claude Chappe qui a raflé la mise sous la Convention.
Oui, il faut savoir faire son auto-critique. Merci pour ce (précieux) élément complémentaire. Il faut en effet rendre à Claude ce qui est à Claude !
[…] linge et la pilule contraceptive au début du XXe siècle ? C’est pourtant ce qui a le plus changé la vie des femmes (donc de l’espèce humaine) durant ce siècle. Avec les progrès de la chirurgie et de […]
[…] rouet, la tronçonneuse, le pousse-pousse ou la liquéfaction du charbon – on pourrait ajouter la machine à laver, a divisé par 6 ou presque le temps nécessaire pour laver 17 kg de linge (sans pour autant […]