Tristan Nitot est le fondateur de l’association Mozilla Europe, membre du comité de prospective de la CNIL, il participe actuellement à l’aventure Cozy Cloud (espace de stockage en ligne personnel) et est l’auteur du blog blogstandblog.org. Pour faire court, il est une des figures du web libre. Dans un ouvrage synthétique et efficace : Surveillance://, il propose une plongée précise dans les techniques de surveillance dont nous faisons l’objet sur internet.
Réjouissez-vous, Surveillance:// n’est pas un énième manuel compliqué à l’usage des aficionados des forums de logiciels libres ou pour développeurs confirmés. Il s’agit plutôt d’un guide didactique et opérationnel pour approcher le concept de surveillance sous toutes ses coutures. Au delà de la pure description, Tristan Nitot s’attache à montrer que le modèle même du web repose sur la surveillance, et qu’il existe des solutions concrètes pour construire des alternatives et protéger sa vie privée.
Aider à la construction d’un édifice critique
Le problème avec la surveillance dite « de masse », c’est qu’en plus d’être mal connue, elle fait l’objet d’une certain acceptation de la part du marché. Pour beaucoup d’entre nous, elle est un compromis nécessaire à l’amélioration de notre expérience technologique. La mission première de Tristan Nitot est de battre en brèche ces fausses bonnes opinions : la surveillance n’est ni souhaitable, ni même légale.
L’auteur signale qu’au niveau Européen, l’article 8 de la convention européeenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés déclare que « Toute personne a le droit au respect de sa vie privée. » De leur côté, les CNIL européennes rappellent que « L’accès à des données à caractère personnel aux fins de sécurité n’est pas acceptable dans une société démocratique dès lors qu’il est massif et sans condition. »
Pour autant, les choses ne sont pas si simples, la récente loi sur la surveillance a rebattu les cartes en obligeant les fournisseurs d’accès à ouvrir des « boîtes noires » afin de capter des flux de données sur ordre du premier ministre. Pour comprendre ces concepts de base et s’y positionner en tant que citoyen et consommateur, Surveillance:// est un outil redoutable. On pousse le lecteur à se constituer pas à pas un édifice critique, on y explique les dangers d’une société sous surveillance (autant pour les citoyens que pour les dissidents de pays sous régime totalitaire), on y rappelle pourquoi il est essentiel de conserver certaines informations chiffrées.
Uber sait qui découche
L’ouvrage est clair à en devenir scolaire, il nous emmène dans autant d’endroits que seul le web semble pouvoir en héberger : entreprises privées, institutions et agences de surveillance, lanceurs d’alerte, l’écosystème qui touche à notre vie privé est méthodiquement dépecé. Ainsi, on apprend que la société Uber est capable de savoir qui découche, ou comment certains trackers sensoriels sont en mesure de repérer l’activité sexuelle d’un (ou de plusieurs) individus.
Tristan Nitot pointe du doigt ces anecdotes pour lever le voile sur les dangers véritables de ces pratiques comme par exemple récupérer les données relatives à la santé d’un individu pour moduler le prix d’une assurance, d’un prêt, etc. Uber sait qui découche, mais sait également qui se rend régulièrement dans un hôpital spécialisé dans la lutte contre le cancer, c’est là d’où les abus peuvent naître.
Cependant, même en sachant cela, les consommateurs (c’est à dire nous) ont encore du mal à passer quitter ces sphères qui nous rendent totalement captifs. Force est de reconnaître qu’il est difficile de résister aux nombreux produits gratuits de Google, surtout quand les alternatives restent si peu utilisées et qu’elles sont non interopérables avec les solutions des acteurs qui dominent marché. L’interopérabilité, c’est un autre cheval de bataille pour Tristan Nitot qui déplore la duplicité des normes qui rendent souvent les utilisateurs captifs d’une marque.
Au passage, l’auteur n’oublie pas de s’adonner à une certain auto-critique : loin de s’adresser aux seuls novices, il rappelle à la communauté du logiciel libre qu’elle se doit de réaliser des logiciels simples, faciles d’utilisation et en mesure de rivaliser avec les grandes firmes technologiques qui offrent des expériences optimales.
Maîtriser son empreinte numérique
Enfin, Surveillance:// est un guide opérationnel : il vous livrera les clés pour vous défaire d’un certain nombre de pratiques parfois fallacieuses. Personnellement plutôt bien informé sur le sujet, j’y ai tout de même découvert un certain nombre d’applications intéressantes comme par exemple Datarmine, qui chiffre les données issues des réseaux sociaux sur internet (attention, les métadonnées telles que les heures d’envois ne sont pas chiffrées et permettent des recoupements).
Pour conclure, Tristan Nitot propose une forme de charte nommée SIRCUS (Systeme Informatiques Redonnant le Contrôle aux utilisateurs) et incite surtout prendre conscience de la réalité de la surveillance en ligne (il y a du boulot). Un ouvrage à mettre entre absolument toutes les mains, et dès l’école si possible (à l’heure où l’Education Nationale signe des partenariats avec Microsoft, la tâche semble compromise).
Pour aller plus loin :
Il y a tellement à dire sur la surveillance en ligne, je vous encourage donc à vous plonger dans ces articles déjà publiés ici :
- En savoir plus sur les conditions générales d’utilisation qu’on ne lit jamais, c’est par ici (c’est un documentaire !)
- Si vous pensez que vous n’avez rien à cacher, rendez-vous là (encore un documentaire)
- Prendre un peu de hauteur sur la géopolitique de la surveillance, cliquez par (un essai bien ficelé !)
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