Humaitech : le business transhumaniste à l’assaut de la vie éternelle

Il y a quelques jours, un copain m’envoyait un lien en me précisant que « ça allait me plaire ». Ni une ni deux, je cliquais sur la cyber-missive des Internets pour me retrouver propulsé à la vitesse de l’ADSL sur le site internet http://humaitech.com/, une véritable petite perle du genre transhumaniste. Bon, j’ai peut-être un train de retard, le site a déjà quelques mois et je dois confesser l’avoir raté, ce qui est quand même super étonnant et en même temps pas tellement, avec ce web qui ne cesse de grossir derrière mon écran.

Qu’est-ce que le transhumanisme ? Wikipédia

Le transhumanisme est un mouvement culturel et intellectuel international prônant l’usage des sciences et des techniques afin d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains. Le transhumanisme considère certains aspects de la condition humaine tels que le handicap, la souffrance, la maladie, le vieillissement ou la mort subie comme inutiles et indésirables.

À cela s’ajoute que les sujets autour de la robotique et du transhumanisme sont légions; il ne se passe plus une minute sans qu’un directeur marketing jette un petit Tweet sur le sujet ou qu’un adolescent gothique en fasse un billet sur son blog. En outre, l’actualité des derniers mois a été riche en la matière : entre la très médiatique nomination de Yann le Cun à la chaire d’Intelligence Artificielle du Collège de France et la récente victoire d’AlphaGo (le fameux robot de Google) contre le meilleur joueur de Go humain, il y a vraiment de quoi fantasmer.

Néanmoins, on n’a toujours pas croisé Terminator dans la rue, et personne ne range dans son placard de robots-gonzesses ou robots-bad-boys pourtant hyper plébiscités par le marché. Ne parlons pas de transférer toute ou partie de notre âme dans un robot pour atteindre la vie éternelle, on en est encore loin.

Mais il y a peut-être un espoir avec la société Humaitech !

Humaitech est une société qui ambitionne de « prolonger la vie » grâce à la fusion d’organes artificiels et d’informatique très compliqué, mais alors vraiment très compliqué. Dans le jargon, on appelle ça les NBIC, pour nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives. Les NBIC sont hyper à la mode, à force que tout le monde en parle, on a vraiment fini par croire qu’on serait tous bientôt immortels. Comme l’assène le prophète-entrepreneur Laurent Alexandre : « certains d’entre nous vivrons mille ans ». Nul besoin de réfléchir très longtemps pour comprendre que si la prophétie s’auto-réalise un jour, il est peu probable que nous soyons tous logés à la même enseigne (un vieux problème de répartition des richesses).

Quoi qu’il en soit, Humaitech propose déjà de « transcender le corps humain grâce à la robotique », c’est-à-dire de se débarrasser bout par bout de ce vieux corps organique qui nous pourrit la vie (pas trop tôt !).

L’avenir appartient à ceux qui se transhumanisent tôt.

Bon, il faut admettre que l’entreprise Humaitech n’est pas la première du genre. Il y a quelques temps, je vous parlais du projet Initiative 2045, véritable Think Tank (enfin, plus Tank que Think quand même) dédié à la promotion du transhumanisme. Initiative 2045 propose déjà des avatars en précommande à court ou long terme : l’avatar A prévoyait pour 2015 un corps télécommandé à distance, l’avatar D (prévu pour 2045), est une enveloppe corporelle complète censée pouvoir accueillir un esprit humain (un vrai corps de substitution pour les personnes en fin de vie, nous dit le milliardaire Russe leader du projet). De son côté, HumaiTech ne travaille pas encore sur cette fonctionnalité de transfert de la conscience.

Faites votre shopping sur 2045.com

Avatar 2045

Si Humaitech réunit aujourd’hui quelques centaines d’ « ambassadeurs » dont on ne comprend pas vraiment la fonction, Initiative 2045 en réunit près de 50 000, ce qui n’est quand même pas négligeable. Il paraît que le Dalaï Lama lui même aurait soutenu l’initiative, mais l’histoire ne dit pas quel Avatar il aurait précommandé. L’histoire ne dit pas non plus s’il a bien regardé la vidéo de promotion totalement alarmiste placée sur la première page du site dans lequel on propose tout simplement de créer « un nouvel humain » pour faire face aux défis à venir (élégamment illustrés par des émeutes et des bateaux qui coulent). De cette néo-humanité, découlerait bien sûr une nouvelle ère spirituelle à la portée de tous (bla-bla-bla). 

Si le fond idéologique de ces sociétés est d’envisager un « néo-humain », c’est sans doute parce qu’elles n’envisagent pas qu’il puisse s’améliorer en étant tel qu’il est. Ce vieux réflexe pseudo-philosophique a servi d’autres objectifs dans l’histoire, mais évitons un point Godwin prématuré, c’est pas que je ne suis pas tenté mais c’est vraiment trop facile.

Dans tous les cas, la sauce servie par Humaitech est tout sauf limpide, l’offre « va exister », mais on ne sait pas trop quand, il faut faire confiance à la feuille de route de l’équipe scientifique en charge (il y a d’ailleurs un appel aux dons afin de la constituer…). Pour justifier cette feuille de route, toute la mythologie marketing est servie préchauffée à partir des prévisions du grand-manitou du transhumanisme, j’ai nommé Ray Kurzweil. J’en ai déjà parlé, Ray Kurzweil est un scientifique très connu dans le monde de la high-tech. Avant d’entrer chez Google, il s’était fendu d’un bouquin appelé La singularité est proche, dans lequel il expliquait qu’un basculement (la fameuse singularité) allait bouleverser le monde en 2045, avec l’essor de l’intelligence artificielle (qui fonctionne vraiment ce coup-ci).

Si monsieur Kurzweil arrive à ce degré de précision, c’est parce qu’il a un lapin dans son chapeau : la loi de Moore. La fameuse loi de Moore prouve empiriquement depuis 40 ans que la puissance d’un ordinateur double tous les dix-huit mois. En prolongeant cette courbe et en y ajoutant un peu de poudre de perlimpinpin, Ray Kurzweil en déduit que les robots-humains sont prévus pour 2045. CQFD.

Humaitech se base sur les prédictions de Kurzweil

Humaitech

Bref, l’ère « post-humaine » est en marche. Si on n’en comprend pas vraiment les ressorts, une chose est sûre : mieux vaut prendre le marché maintenant, même si on n’a rien à vendre.

Mais alors, j’achète un corps de substitution ou pas ?

Je serais tenté de dire que tout dépend de votre compte en banque et de votre éthique personnelle. Heureusement, l’un annule souvent l’autre. Pas d’inquiétude pour les plus misérables d’entre nous, Josh Bocanegra, le patron de Humaitech, précise qu’il est soucieux de pouvoir fournir sa technologie aux plus démunis, notamment en étalant les paiements sur plusieurs mois. Pour le reste, faisons confiance au système de santé américain :

We believe it’s important for Humai to be available for everyone. Standard expenses for development will always influence cost but as new technology is developed to lower costs such as 3D printing price reduction is inevitable. We’re also exploring ways to make this technology widely available by leveraging life insurance plans and offering monthly payments.

Le site de Humaitech prévoit d’ailleurs toute une section pour répondre aux inquiétude que le transhumanisme peut générer. Car bien évidemment, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain technophobe. Les nombreuses innovations technologiques sur lesquelles s’appuient les transhumanistes ont toutes les bonnes raisons d’exister, l’idée n’est pas de remettre en cause la transplantation cardiaque ou le remplacement des organes dysfonctionnels (qui sont d’ailleurs issus d’années de recherche intenses et transdisciplinaires, souvent co-financées par la sphère publique).

Réparer l’être humain, c’est une chose, l’augmenter en est une autre. Et il n’est pas évident de déterminer un seuil à partir duquel une technique serait « naturellement humaine » ou « au-delà des limites », et de quelles limites d’ailleurs ? Que dire du silex, de la roue ? Qu’est-ce qui est déjà en nous ou à l’extérieur ?

Pour prolonger la réflexion avec Nietzsche, rendez-vous sur ce deuxième billet dédié au transhumanisme

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Saint Epondyle
7 années il y a

Certes. Pour un peu tu serais tombé sur la bande annonce de Deus Ex III et l’aurais prise pour la réalité. Ceci dit ces initiatives dont l’avenir jugera de la pertinence ont quand même le mérite (lol) de ne pas questionner les présupposés qui les fondent. J’ai nommé l’infinie croissance. Il faut guérir de la mort ! Sinon on va Mouuuurrir ! Hé hé. La course est lancée, mais pas sûr qu’elle donne de meilleurs résultats que la pierre philosophale de Nicolas Flamel.

Sedna
Sedna
7 années il y a

Hello,

La saga de jeux vidéo Deus Ex traite en effet du transhumanisme, non sans finesse. Pour t’y introduire, je ne saurais que te conseiller le numéro que lui a dédié le magazine Icare (haha :D). Ça ne se restreint pas à une simple analyse vidéoludique, mais revient au contraire sur les thèmes traités par les jeux, leurs références et influences, etc.

Janus Bifrons
Janus Bifrons
7 années il y a

Une question me taraude : quel est le soi qui deviendrait immortel ? D’après la biologie, ce ne sont pas mes cellules puisqu’elles ne cessent de mourir et de se renouveler (jusqu’au jour…). Je ne suis donc pas mon corps. Raisonnement que Kurtweiler & cie proroge (jusqu’à l’absurde, peut-être) : je ne suis pas mon corps mais un ensemble de datas ? Suis-je réductible à des datas ?
Abime de reflexion : qui suis-je ? Dans quelle étagère ?

Une vision d’horreur pour finir : Poutine forever. Kim Jong Il pour l’Eternité. Avez-vous remarqué d’ailleurs qu’il ne prend pas une ride ? L’Humanité n’aurait-elle pas matière à perdre tout espoir si les despotes et les mégalos de la Silicon Valley deviennent immortels ?

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