« Vous devriez être à même de discuter avec une entreprise de la même manière que vous discutez avec un ami. »
Ainsi parlait Mark Zuckerberg qui, il y a quelques jours à peine annonçait en fanfare la grande arrivée des bots sur Facebook. « Bots », raccourci pour robots. Les bots auxquels Mark fait référence ne sont pas de froids monstres métalliques mais de petits agents conversationnels ou « programmes informatiques autonomes supposés intelligents, doués de personnalité, et qui habituellement, mais pas toujours, rendent un service ».
En version courte, les bots sont des entités virtuelles avec qui on pourra discuter ici ou là, sur un site Internet ou dans un service de chat (on parle alors de chatbot). Avec plus de deux milliards d’utilisateurs sur Whatsapp et Messenger, Facebook a trouvé là le bon moyen d’aller un peu plus loin dans la grande conversation (marchande) qu’est Internet.
Le corolaire de cette botisation du web, c’est que chaque marque pourra désormais « publier » son propre assistant virtuel dans nos services de chat pour nous informer, répondre à nos requêtes, nous aiguiller dans nos choix. Ça n’en a peut-être pas l’allure, mais c’est une véritable révolution qui est à l’œuvre. Les bots vont changer notre rapport à la machine, à l’information et à la consommation.
« Bots » : extensions du domaine du web
Les bots ajoutent une « couche conversationnelle » à ce qui n’était jusqu’alors que du réseau et des pages web reliées entre elles par des liens. Si l’on considère les efforts considérables déployés par les marques pour satisfaire les exigences de leurs clients, alors les bots arrivent à point nommé. En effet, il est coûteux et complexe d’assurer une relation commerciale à distance : il faut des ressources pour lire les sollicitations et y répondre par mail, via un chat, ou par téléphone. L’arrivée de bots capables de comprendre nos questions et nos intentions laisse présager de substantielles améliorations pour les utilisateurs et d’importantes économies d’échelles pour les entreprises et administrations présentes en ligne.
Tim est un des nombreux chatbots français que vous pouvez retrouver ici
Pour parler en langage économique, les bots font baisser les coûts de transaction, ces coûts liés au temps de prospection, de comparaison et de recherche qui précèdent une transaction. Il se trouve que sur Internet, ces coûts sont encore principalement liés à la complexité de certaines pages et arborescences de site web. A grand renfort d’intelligence artificielle et de compréhension du langage naturel, les bots sauront nous guider dans les méandres virtuels et par là-même réduire l’effort cognitif que nous fournissions pour gérer les contraintes de la navigation sur le web. Or réduire les frictions avec un service numérique, c’est réduire de manière générale les hésitations, rétractations et frustrations que génère la technologie (une aubaine pour les e-commerçants).
En résumé, les bots seraient une réponse à l’inefficacité des interfaces hommes-machines actuelles, ils sont l’huile dans les rouages.
Coup de bot sur l’emploi
Il y a fort à parier que web tout entier fonce dans cette brèche qu’est la botisation de lui-même. Le versant positif de ces assistants virtuels (tels que Siri, Google Now, Echo ou encore Cortana, mais il en existe d’autres), c’est qu’ils savent interpréter nos requêtes sans que nous ayons besoin de les adapter pour eux : nous pouvons leur parler normalement, comme à un ami. Les cas d’usage sont sans fin : trouver une information dans un site internet, rechercher un horaire, comparer des prix, comprendre une notice, discuter avec une administration, commander un bouquet de fleurs…
D’une certaine manière, ces technologies vont renforcer la Numérisation-de-tout qu’Internet amorçât il y a vingt ans. Et qui voudrait retourner au temps d’avant Internet ? Personne.
Mais ne laissons pas là ce tableau tout rose. En devenant de plus en plus intelligents, les bots vont inévitablement transformer ou mettre la main sur un certain nombre d’emplois dans les services d’assistance, centres d’appels, boutiques et autres points de contact humains avec le client ou l’administré. Quoi qu’en disent les assistantes virtuelles de Nespresso et de Pôle emploi, les bots ne sont pas seulement complémentaires, ils sont substitutifs à l’humain.
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Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette robomorphisation du web inquiète. Voyant arriver les assistants virtuels dans les entreprises, les syndicats graissent leurs bottes. C’est le cas au Crédit Mutuel CIC où la direction sollicite ses salariés pour « alimenter » le robot Watson (IBM) qui pourrait menacer de les remplacer dans certaines tâches, Force Ouvrière n’a pas traîné pour dégainer un tract signalant que pas loin de 50% des jobs dits « de classe moyenne » sont susceptibles de disparaître au profit de l’intelligence artificielle. Il faut croire qu’avec autant de séries télévisées sur les impacts socio-économiques de la robotique, Arte et consorts finissent par trouver un écho dans la société civile.
Le tract FO en question
De l’importance de ne pas botter en touche
Si l’argumentaire exprimé dans ce tract résonne, c’est parce que la robotisation cristallise les angoisses relatives à l’emploi. On peut comprendre que les salariés défendent leur job dans une économie où retrouver un travail revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Cependant, il convient de garder la tête froide. Si Stephen Hawking (cité dans le tract) redoute l’avènement d’une intelligence artificielle destructrice pour l’humanité, Terminator n’est pas encore dans la bergerie pour autant.
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Dans notre cas, l’erreur du Crédit Mutuel aura sans doute été de présenter le projet Watson (20 millions d’euros, ce n’est quand même pas rien) sans avoir consulté au préalable les partenaires sociaux, les ressources humaines, ni accompagné le changement. Il fallait une bonne dose de mauvaise foi pour s’étonner de la levée de boucliers du syndicat. On ne fait pas une stratégie d’entreprise dans son coin, a fortiori quand les salariés sont indispensables à sa mise en œuvre.
Les questions que les chatbots posent
Si l’on devait trouver la bonne façon de poser la controverse, il faudrait probablement trouver le bon équilibre entre un messianisme high-tech barbare et un néo-luddisme primaire.
Les entreprises qui ne s’automatisent pas ni n’innovent sont déjà condamnées par la concurrence et ne font que retarder le problème, nous dit-on. En même temps, foncer tête baissée dans un pseudo-Eden technologique sans envisager les impacts socio-économiques qu’il soulève relève de la pure inconscience. Si les emplois « botisables » ne sont que peu ou pas qualifiés, ils sont toujours vecteurs de sens pour ceux qui les occupent. Néanmoins, les défendre par principe est aussi contre-productif que de les supprimer dans une froide rationalité économique. Dans un cas comme dans l’autre, on risque de se retrouver avec des services inefficaces et de légitimes mouvements de contestation.
« Si un robot peut vous remplacer, c’est que vous faites un travail de robot. »
Catherine Simon, Présidente d’Innorobo
Si des emplois doivent se tranformer, disparaître ou être nouvellement créées, alors il convient d’interroger la manière avec laquelle le « dialogue social » viendra renégocier la « destruction créatrice » qui semble s’imposer. Car cette destruction ne peut se faire sans ceux qui se retrouvent botisés – d’une manière ou d’une autre. Comme le signalait Marc Giget sur Mais où va le web l’année dernière : « l’emploi souffre de l’innovation ».
« Amazon n’a pas compensé la perte de 13 000 libraires en 3 ans. Dans le secteur musical, le digital n’équilibre clairement pas l’emploi perdu par la fin des supports classiques. Le constat semble partagé par tous, du MIT aux organismes internationaux : l’emploi souffre de l’innovation. »
Faire le constat du dilemme innovation / chômage est un premier pas. Mais pour inventer l’avenir, il faudra chausser ses bottes de sept lieues, et ce ne sont pas les idées qui manquent.
Trouver l’équilibre avec les bots
Pas question ici de réinventer la roue, de nombreuses propositions ont déjà été faites pour accompagner l’essor du numérique. Avant d’en aborder quelques-unes, rappelons le cadre de pensée qui les sous-tend : toute innovation doit être accompagnée d’une réflexion éthique et critique. Cela ne suppose pas que l’innovation ne doive pas se faire, mais qu’il faut toujours considérer l’environnement social qu’elle modifie. En parallèle, gardons-nous de présumer que le numérique a de mauvaises intentions : s’il peut parfois nous asservir, on ne se plaindra pas des progrès de la médecine ni de pouvoir utiliser un GPS (que le grand Léonard de Vinci lui-même, nous aurait envié).
Revenons à nos pistes de sorties. Outre le revenu de base inconditionnel qui pose à lui tout seul un certain nombre de questions, on pourrait évoquer la formation continue, la valorisation de formes alternatives de travail, les dispositifs de réorientation professionnels. Quiconque est passé par Pôle Emploi sait à quel point ces mécanismes pèchent par leur inefficience. Rien de très nouveau sous le soleil donc, preuve en est avec le dernier rapport du conseil national du numérique qui a su interpréter les changements en cours en reprenant ces propositions. Faut-il préciser qu’on est loin de la loi El Khomri.
Trouver l’équilibre, c’est aussi mettre les entreprises technologiques face à leurs responsabilités. Les gaspillages que leurs stratégies de défiscalisation génèrent sont autant d’occasions ratées de redonner à la puissance publique les moyens d’investir dans le futur. Car jusqu’à preuve du contraire, l’État est encore indispensable quand vient l’heure de préparer l’avenir. L’innovation doit être une discussion franche et honnête dans laquelle chacun prend la mesure de ses actes.
Sans ça, il faut s’attendre à ce que certains d’entre nous sortent leurs bottes et battent le pavé. Si l’on doit en arriver là, pas sûr que les bots soient vraiment le problème…
« Cela ne suppose pas que l’innovation ne doive pas se faire, mais qu’il faut toujours considérer l’environnement social qu’elle modifie. »
Je suis d’accord. Sauf que cette considération n’entre pas, ou peu, ou jamais, en considération chez les milliards de start-ups qui pondent de l’innovation techno à tour de bras, avec l’ambition avouée de se faire racheter par un géant du web. Ces petites boîtes ont beaucoup trop à penser pour se préoccuper des impacts sociétaux hypothétiques au cas où fonctionnerait leur idée (et 98% ne fonctionneront jamais).
J’en ai eu l’exemple à porté de main ; une stratup qui prétend uberiser le marché de l’intérim, et qui se traduit par une précarisation ultime dans le cas où elle fonctionnerait.
Le maître mot de tout ça, à l’heure actuelle, c’est l’irresponsabilité.
Peut-être les mieux placés sur ce sujet, pour être responsables, seraient-ils les « géant du web » supposés racheter les idées et les passer en mode industriel. Sauf que personne ne veut se brider, et surtout pas une stratup ayant réussi à la Facebook ou Uber. Ils trouveront toujours au mieux de quoi se voiler la face, au pire du cynisme pour (se) justifier les bienfaits de leurs actes.
Tu veux dire que le monde de la high-tech serait gouverné par l’argent ? Pas vraiment un scoop non 🙂 ? Cela dit je ne mettrais pas tout dans le même sac, il y a de nombreuses PME du numérique, associations, coopératives, qui servent de garde-fou, voire créent des services alternatifs. Ceux qui disruptent sans considération ne servent que leur propre intérêt, n’ont au fond pas de vision sinon celle du développement de leur structure au milieu de ce qu’ils croient être un terrain de jeu pour la concurrence. Je ne prétends pas apporter des réponses toutes faites, au mieux, susciter le débat.
Pour moi on revient à la théorie centrale du libéralisme qui est de dire que la somme des égoïsmes individuels aboutit nécessairement au Bien commun, porté par la main invisible du marché. Cette pensée déresponsabilise les gens, les entreprises au plus haut point. sans compter que la responsabilité des entreprises se diluent de plus en plus par des chaines de décision toujours plus longues entre le propriétaire des moyens de production (l’actionnaire maintenant) et la personne qui produit effectivement le service ou le bien.
C’est encore une excellent article que tu signes, comme à ton habitude.
Le gros plus étant la vraie question que tu poses : Bien, on sait que c’est l’avenir, que c’est comme ça, et qu’on n’a pas le choix. On sait que des métiers vont disparaître. Maintenant, il faut peut-être réfléchir à ce qu’on va faire de ces changements, et comment les opérer. Ceux qui hurlent à la fin du monde à cause de ce remplacement semblent oublier toute la période d’industrialisation.
Et là où on voit qu’on a un putain d’enjeu, c’est que (arrête-moi si je dis une connerie), si au 19ème siècle (et 20ème) on a merdé sur ce remplacement, en créant des milliers de postes sans âme, sans but, sans raison d’être (provocant ainsi un véritable mal-être au travail et problème à grande échelle dans les services), il est nécessaire de ne pas se louper cette fois-ci sur les changements à venir.
La fin d’une chose n’est pas un mal, ce qui craint : c’est de ne pas chercher à préparer l’après correctement. Et tu le soulignes vraiment bien.
PS : ton image de fin est glaçante…
Merci Camille, je te retournerais bien le compliment. La problématique du sens au travail est sans doute la question du XXIème siècle en Occident. Autant dire qu’il y a pas mal de poussière sous le tapis…
Tres bel article ! Reaction a chaud :
On sait deja que les voitures autonomes sont plus sures que celles pilotees par des homo sapiens. Dans quelque temps, on pensera sans doutes : « qui mieux qu un robot peut orienter et conseiller un client,il y a tellement a savoir… » .
Donc on conduit moins bien, on renseigne moins bien, on fait souvent moins bien qu un bot…
Ca a au moins le merite de poser une bonne question : comment va t on employer notre temps demain ?
Certainement a faire la guerre comme le professe Attali si on ne partage pas mieux les richesses.
Ca tombe bien le debat repart sur le revenu universel.
Je me prends donc a rever pour nos enfants de la semaine des 35 heures de poesie, de recherche fondamentale, de musique et d exploration spatiale.
Pendant ce temps la les bots s occuperont des contingences materielles… a moins qu ils mutent en super intelligence et nous atomisent 🙂
Merci, le temps, et le sens, sont sans doute les questions les plus intéressantes que l’humanité – toute entière – pourrait un jour se poser, grâce à la machine. Et en effet, si c’est trop compliqué et trop prise de tête de se poser toutes ces questions philosophiques, alors on pourra laisser les machines nous anéantir (ce ne sont sûrement pas les poètes qui stopperont Terminator !).
Bonjour,
Avec Benjamin, je rêve moi-aussi d’un temps laissé à nos enfants pour une semaine à 35 heures de poésie, de recherche fondamentale, de musique et d exploration spatiale, » et plein d’autres choses selon les aspirations de chacun.
En revanche, rebondissant aux propose de Camille, je ne me reconnais pas dans ce « on » qui a effectivement merdé en créant des milliers de postes sans âme, sans but, sans raison d’être (provocant ainsi un véritable mal-être au travail et problème à grande échelle dans les services).
Oui, il faut ré-apprendre à vivre en reconsidérant le temps et le sens donnés à nos activités. Ce changement ne peut être que stimulant, n’est-ce pas ? Comment le réussir ? Quel ars employé pour y concourir concrètement ? Au-delà des bots, quelle place peut y prendre le numérique ?
Et puis, derrière les bots, il y a toujours et encore l’humain. Je veux dire que je ne parviens toujours pas à croire à une virtualité complète de notre vivre-ensemble : cela me semble irréaliste et pire, dangereux de le faire croire. Est-ce que je me trompe à penser cela ?
Bien amicalement
NS
Merci Sanz pour ce retour. Personnellement, je pense que 35 heures de poésie ça n’est pas suffisant. Je pense qu’il faut poésier plus pour gagner plus.
Je ne crois pas non plus à une virtualité complète, mais force est de constater qu’elle va croissante. Je ne crois pas non plus aux scénarios dystopiques ou les machines nous avalent tous crus. Et comme Benjamin, je pense que la question du Revenu Universel est centrale, avec tous les formats / tests possibles et imaginables à tester pour bien comprendre comment ce genre de pratiques s’inscrit ici ou là (ça a commencé avec le RSA), et la question de fond est toujours la même (néolibéraux Vs socialos-communistes) avec tout un tas de strates entre les deux… Bref pas de réponse de mon côté, seulement des questions… Si c’est pas malheureux !
[…] Entendez-vous ces bruits de bots ? Une réflexion sur la robomorphisation du web et de l’emploi pa…. « Vous devriez être à même de discuter avec une entreprise de la même manière que vous discutez avec un ami. » Ainsi parlait Mark Zuckerberg qui, il y a quelques jours à peine annonçait en fanfare la grande arrivée des bots sur Facebook, « Bots », raccourci pour robots. Les bots auxquels Mark fait référence ne sont pas de froids monstres métalliques mais de petits agents conversationnels ou « programmes informatiques autonomes supposés intelligents, doués de personnalité, et qui habituellement, mais pas toujours, rendent un service ». En version courte, les bots sont des entités virtuelles avec qui on pourra discuter ici ou là, sur un site Internet ou dans un service de chat (on parle alors de chatbot). Avec plus de deux milliards d’utilisateurs sur Whatsapp et Messenger, Facebook a trouvé là le bon moyen d’aller un peu plus loin dans la grande conversation (marchande) qu’est Internet. Le corolaire de cette botisation du web, c’est que chaque marque pourra désormais « publier » son propre assistant virtuel dans nos services de chat pour nous informer, répondre à nos requêtes, nous aiguiller dans nos choix. Ça n’en a peut-être pas l’allure, mais c’est une véritable révolution qui est à l’œuvre. Les bots vont changer notre rapport à la machine, à l’information et à la consommation. A lire : Des algorithmes, des Moutons et des hommes (débat, Mediaschool Paris) et Hegel et les robots : de la dialectique du maître et de l’esclave à l’ère numérique. (@MaisOuVaLeWeb). […]