Sur invitation de Thomas Gouritin, journaliste et créateur de la chaîne Regards connectés, je me suis prêté à ce dangereux exercice de parler trop peu pour ne pas risquer d’être compris de travers. Quelques éléments de contexte, donc.
Heureusement Thomas fait un travail sérieux et ses questions m’ont permis d’aborder – notamment – le sujet de la technocritique et plus précisémment de ce qu’on entend par « déterminisme technologique ». Voici donc quelques minutes où je réponds à ses interrogations non sans cultiver moi-même quelques nécessaires doutes et hésitations. Il est aussi question dans cette vidéo de Google (enfin, Alphabet) qui sert ici d’épouvantail pour exprimer un phénomène de dépassement du droit par la technique que les adeptes connaissent déjà sous le nom de disruption. Google n’est peut-être pas l’exemple approprié pour aborder cette notion – en tout cas pas le seul exemple – mais le principe n’en demeure pas moins réel, comme je l’explique plus précisément ici. La vidéo – à mon sens – n’exprime pas forcément les nuances que j’ai pu apporter au cours de cet entretien, faute au format. C’est aussi pour cette raison que je m’autorise ce laïus post-entretien un peu égocentrique…
Concernant la notion de constructivisme social, je pense qu’elle est importante pour contrer les discours fatalistes de « fuite en avant » technologique. L’idée est surtout d’expliquer que le passé comme l’actualité nous montrent tous les jours qu’il est possible de décider de son avenir technologique autant qu’il est possible de faire des choix quant à une politique économique – c’est à dire au moins en partie. La récente interdiction d’Uber à Londres illustre parfaitement ce phénomène, tout comme les nombreuses initiatives sous forme de coopérative qui tendent à contrer le super-capitalisme des plateformes (même si dans le cas d’Uber, le principe de l’application n’a à la base rien de formidablement nouveau d’un point du purement technique, l’innovation réside surtout dans le modèle, dans l’usage). J’aborde plus précisément cette question dans cette recension de l’ouvrage de Trebor Sholz. Je reviendrai également dans quelques jours sur les critiques faites à la critique essentialiste de la technique à travers une chronique de l’ouvrage d’Andrew Feenberg, (re)penser la technique, (stay tuned, c’est super intéressant).
Ce qui me fait penser que j’avais déjà écrit un papier qui traitait de l’avenir de la technologie, sous le titre « où va le numérique ? », dans la Nouvelle Quinzaine Littéraire (c’est du papier, et ouais). J’en profite aussi pour signaler – parce que les puristes ont pu frémir – que le mot « technologie » est utilisé ici pour aborder (surtout) les techniques qui composent ce qu’on a coutume d’appeler « le numérique ». Il existe des centaines de familles de techniques dont certaines ne sont pas nécessairement concernées par cette grande convergence qui accouche des NBIC (Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) dont il est question ici, par exemple avec les implants neuronaux. A ce sujet, je parle d’ailleurs de faire de la « pédagogie », il ne s’agit évidemment pas d’affirmer qu’il faudrait accompagner l’innovation d’un discours capable de la faire accepter socialement un peu hypocritement (du genre « notre politique déplaît car nous n’avons pas assez fait de pédagogie »). Non, il s’agit bien évidemment de pédagogie sur la nature des techniques, ce qu’elles font, ce qu’elles nous font, les projets qu’elles embarquent et leurs impacts sur nous, sur l’environnement, etc. En fait, la pédagogie, c’est aussi ce que j’essaie de faire ici, sur ce site depuis plusieurs années (comme quoi, un seul mot peut parfois dissimuler d’énormes ambiguïtés).
J’aborde également au cours de cet entretien la notion de gouvernementalité, il m’a semblé intéressant d’en faire mention tant ce grand sujet est absent des débats publics. Les curieux pourront pousser la réflexion en consultant les travaux d’Antoinette Rouvroy, ici ou encore là. Pour une approche plus simple, je suggère cet article qui illustre le concept de « gouvernementalité algorithmique » dans le cas de la chine.
Par ailleurs, le Mouton Numérique reste l’incarnation collective et démocratique de ces questionnements et alternatives associées. Venez aux débats que nous organisons, tout simplement (les débats passés sont France Culture Conférences).
[…] Regards connectés – où va la technologie ? […]
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