Frankenstein a 200 ans, et les Mardis des Bernardins ont pris le parti de déconstruire ses fantasmes et allégories transhumanistes à coups de pierres philosophales et autres ressources romantiques avec Jean Duchesne, Nathanaël Jarrassé et Monette Vacquin. Frankenstein peut-il nous aider à comprendre le transhumanisme ?
Qui n’a jamais entendu parler de Frankenstein ? Qui se souvient lequel du créateur ou de sa créature répond le mieux à ce terrible nom ? Savant fou ou monstre difforme, le mythe a largement dépassé le récit initial, et les multiples adaptations nous font perdre nos repères. Il ne manque plus qu’un pas pour que Frankenstein incarne les espoirs d’un transhumanisme déchu, que le Collège des Bernardins, n’a pas manqué d’interroger ce mardi 13 décembre 2016.
Quel meilleur endroit que cet ancien monastère cistercien, situé en plein cœur de Paris, pour fêter le bicentenaire de l’œuvre de Mary Shelley, auteure du premier Frankenstein, replaçant ainsi les fantasmes transhumanistes modernes dans la lignée des folles espérances nourries par l’hypothétique existence des pierres philosophales de l’époque médiévale ? C’est à l’aide de Jean Duchesne, auteur de Incurable romantisme ?, Nathanaël Jarrassé, chercheur à l’Institut des systèmes intelligents et de robotique et chargé de recherche au CNRS, et Monette Vacquin, psychanalyste et auteur de Frankenstein aujourd’hui : égarements et délires de la sciences moderne que les Mardis ont exploré ce mythe « Frankenstein » afin de saisir en substance les tenants et les aboutissants du courant transhumaniste et d’en éclairer sa part d’ombre.
De gauche à droite, Nathanaël Jarrassé //
Luc Evrard (présentateur) // Monette Vacquin // Jean Duchesne
Le mythe « Frankenstein »
Voilà déjà deux cents ans que le Docteur Victor Frankenstein est né sous la plume de Mary Shelley. Âgée alors de seulement 19 ans, la jeune femme a déjà tout d’une figure romantique. Tout d’abord, elle ne connaîtra jamais sa mère, la philosophe Mary Wollstonecraft, qui meurt des suites de son accouchement. À 17 ans, elle entame une relation avec le poète Percy Bysshe Shelley, un homme marié. Leur romance s’écrit dans le cimetière où est enterrée sa mère, avant que la première femme de Shelley n’ait le bon goût de se suicider.
Mary et Percy se marient donc et fuient le scandale en Suisse où ils retrouvent le poète Lord Byron et la belle-sœur de Mary, enceinte de ce dernier. C’est au cours de l’une de ces soirées genevoises que le pari est lancé : qui des quatre écrira l’histoire la plus extraordinaire ? Séjour visiblement inspiré, puisque verront le jour les prémices du Vampire de Lord Byron et la version achevée de Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley.
Pour Jean Duchesne, le mythe « Frankenstein » ne se formera qu’ensuite, avec la réception du public qui amalgame créateur et créature, rompant ainsi ouvertement avec l’ordre moral établi : le mal peut venir du bien qui est la science. Nous sommes en 1816, les dés de la révolution romantique sont à présent lancés. L’ordre immuable du Classicisme ne tient plus et le rationalisme des Lumières flanche. Ni la transcendance, ni la raison ne viendront sauver ce séisme culturel. Ni le beau, ni le bien, ni le bon ne peuvent désormais prétendre à une quelconque universalité.
Mary Shelley : monstrueux romantisme
De nouvelles catégories hybrides voient le jour, comme le sublime, à la fois beau et effrayant. La transgression devient une fin en soi. C’est la liberté qui s’exprime à travers les expériences, désormais singulières, de chacun. Le héros romantique n’est que le substrat de l’auteur lui-même : Mary Shelley est le Docteur Frankenstein. C’est cette femme qui suit avec frissons les expériences de Giovanni Aldini qui semble ramener à la vie des cadavres en les faisant bouger sous l’effet de l’électricité, découverte quelques années plus tôt par Luigi Galvani.
C’est cette femme qui transgresse l’ordre classique et la raison en suivant son mari, tout comme Victor Frankenstein brave le plus grand des interdits en voulant créer la vie dans son laboratoire. C’est cette femme, enfin, qui perd son premier enfant dans cette traversée, tout comme Victor Frankenstein perdra le sien en représailles du monstre qu’il a créé et qui ne peut se faire aimer.
Si la science était habituellement un objet de moquerie pour la littérature classique, Mary Shelley renverse la tendance et s’en sert comme prétexte afin d’explorer les limites de ses propres expériences de vie, et par là même, du genre humain. Si Victor Frankenstein cherche à sortir de l’humain, c’est en réalité pour saisir le mystère de l’homme à travers la monstruosité de sa création.
Paradoxalement, quand aujourd’hui un technoprophète à la Hans Moravec prédit que bientôt « les humains seront considérés comme une espèce ratée » ou obsolète face au devenir de la technologie, que reste-t-il de cette question primordiale de qu’est-ce qui fait l’homme ? En oubliant son objet, qui est l’humain, le transhumanisme ne risque-t-il pas de passer à côté de l’avenir de l’humanité en prétendant pourtant le devancer ?
Un transhumanisme déjà périmé
Les trois intervenants sont unanimes : « le transhumanisme est déjà périmé ». Si aujourd’hui, en 2016, la science est capable de réparer l’homme sous diverses manières, l’augmentation des performances humaines ou la prolongation de la vie restent des chimères. Si la participation d’athlètes paralympiques, comme Oscar Pistorius, à des championnats mondiaux dits « pour valides » a fait couler beaucoup d’encre, c’est sans compter le handicap que représentent ces prothèses au quotidien.
Il ne suffit pas d’enregistrer un score X à un temps donné. L’homme qu’on aime croire augmenté est en réalité plus proche de l’expert technique qui a appris, toujours avec difficultés, à manier l’outil qui l’aide à combler le manque qu’il perçoit. Sa soi-disante supériorité tient dans la mise en avant d’un critère prédéterminé, au détriment de tous les autres. Dans le même ordre d’idée, Nathanaël Jarrassé confesse lors du débat que mains robotiques et autres exosquelettes s’avèrent extrêmement décevants. L’homme est un être complexe qui agit au rythme de ses perceptions. La pauvreté de l’échange et du ressenti proposée par ces systèmes techniques devrait rationnellement tendre à dissoudre les dernières élucubrations transhumanistes.
Transhumanisme, la pierre philosophale des tribuns de la Silicon Valley
Force est néanmoins de constater que la Silicon Valley regorge de ces tribuns, à la fibre souvent plus entrepreneuriale que scientifique. Allant à l’encontre des Comités de recherche et des rapports du type Ethique de la recherche en robotique établi par la CERNA, ils jouent sur la corde sensible des pierres philosophales modernes et jouissent d’une surmédiatisation qui rend concevable l’impossible et biaise le réel état effectif de la recherche d’aujourd’hui.
Tout se passe comme si la reconnaissance d’une quelconque négativité scientifique était rendue inconcevable face aux espoirs fantasmés du grand public.
Pourtant, si depuis 2004, une puce électronique greffée sous la peau peut vous donner accès aux nuits endiablées du Baja Beach Club, les performances de la famille geminoïde du Docteur Ishiguro reste, malgré sa ressemblance physique avec toute personne existante ou ayant existée, somme toute relativement limitées. La mise en avant de ces avancées technologiques ne sont que peu, voire pas du tout, représentatives du travail de la communauté scientifique actuelle et il est bon de garder à l’esprit que l’intelligence artificielle n’est qu’un grand logiciel créé de toute pièce par une intelligence qui n’est, ni plus ni moins, qu’humaine.
La dictature de la raison
À trop vouloir perfectionner l’homme, les transhumanistes tombent dans ce que Monette Vacquin appelle avec Freud la « dictature de la raison ». En mettant le progrès technologique sur un piédestal, ils affirment avec Van Rensselaer Potter que l’homme n’est qu’un « modèle mécanisé » à définir, oubliant par là même la question fondamentale qui doit sous-tendre toute recherche scientifique, à l’instar de celle de Victor Frankenstein : quel est le propre de l’humain ?
Il n’y a pas encore, et n’y aura probablement jamais, de cyborg ou de surhomme, mais seulement des hommes qui apprennent à manier et à dompter la technique tant que cette question persistera dans le débat scientifique et sociétal. Pour cela, il faut résister à la tentation de prendre chaque nouvelle technologie comme une réponse, et oser au contraire la reposer sans cesse, comme nous l’invite, encore et toujours, Frankenstein ou le Prométhée moderne.
C’est en acceptant l’absence de réponse définitive que nous pourrons sortir de l’esthétique romantique instaurée par Mary Shelley et en concevoir une nouvelle pour le XXIe siècle.
Yaël Benayoun, chercheure en philosophie, adepte de l’anti-conformisme et étoile montante du monde numérique qui p(a)nse ce qu’il fait, de préférence avant de le faire.
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